Afourer une diversité socio-économique
A deux heures de route au sud-est de Casablanca, Afourer apparaît de loin adossé comme dans un fauteuil au flanc de l'Atlas, la où ce géant vient rompre de son pied les charmes étalés de la plaine de Tadla.
De petite localité où seul le souk hebdomadaire faisait jadis animation, Afourer se mue aujourd'hui en petite ville desti110n première de nombreux montagnards de la région, jeunes paysans fuyant les hauts reliefs que la démographie, la sécheresse et l'érosion ne cessent d'appauvrir, où retraités nostalgiques découragés de remonter jusqu'au bercail enclave autour d'un point d'eau tarissant.
La route rectiligne venant de la toute proche ville de Béni Mellal entame ici ses longs méandres pour grimper vers Azilal, chef-lieu de la province, mais aussi vers des sites touristiques des plus prometteurs comme le lac de Bine El-Ouidane, les cascades d'Ouzoud ou la vallée des Aït Bouguemmaz, faisant d'Afourer la porte d'entrée d'une province qui ne mord de la plaine qu'une piètre portion.
Avec ses sources limpides couvertes de fraîcheur, ses oliviers, figuiers et grenadiers, l'endroit offre depuis longtemps une belle étape de repos avant l'intimidante escalade.
Mais on s'y arrête aussi à la descente. D'année en année, l'exode montagnard y fait inconsidérément grossir une bourgade et des douars satellites offrant toute l'image du Maroc des contrastes.
Dans ces contrées, la vie se pare en effet de contradictions, arborant modernité et archaïsme, richesse et pauvreté, sécheresse et aubaine des neiges éternelles.
Car, n'en déplaise à la plaine, le géant Atlas est avant tout généreux et sans lui elle joindrait la liste des grands espaces arides.
Depuis un demi-siècle, l'eau du barrage de Béni El-Ouidane -l'un des premiers et des plus grands du Royaume- court sous le mont Tazerkount qui domine le massif du même nom, dans un long tunnel de 10 kilomètres déversant ses flots à Afourer en deux canaux où seuls les grands nageurs peuvent s'aventurer.
Signes trompeurs
Cette présence de l'eau, source de vie et d'énergie, autant que la proximité d'une plaine prospère, pouvait prédestiner Afourer et ses habitants à un sort de riche bourg et de riches bourgeois.
Mais l'eau coule de la montagne et non vers elle.
La province d'Azilal, montagneuse et paysanne, s'appauvrit sous le coup de la sécheresse et du manque d'infrastructures et contemple d'en haut l'immense jardin que l'irrigation a créée dans la plaine. Ici la route sert beaucoup plus à descendre qu'à remonter. L'exode rural devient une tradition plus vive que celle, combien réelle, de la nostalgie du retour. Afourer se remplit et la demande des zones irriguées en main-d'œuvre agricole est vite surpassée par une offre toujours grandissante.
Les signes de richesse liés à l'irrigation peuvent être trompeurs. C'est d'autant plus vrai pour Afourer et ses environs que leurs 20.000 habitants ne sont ni de gros propriétaires terriens ni des adeptes d'un négoce que l'agriculture moderne environnante aurait pu favoriser. La grande majorité de ceux originaires du coin, issus de la tribu des Aït Oulghoum elle-même fraction des Aït Bouzzit, sont de petits fellahs aux parcelles de plus en plus démembrées par l'héritage. L'irrigation, la main-d'œuvre, les semences et les pesticides leurs reviennent cher, et la commercialisation de leurs produits tient du prodige. Services de l'agriculture et crédit agricole n'amoindrissent pas leurs ennuis. Leur attachement à la terre, prime d'une bonne dose d'analphabétisme qui les aide à ignorer les résultats comptables de leur labeur, les maintient dans un anachronisme où seule la solidarité sociale empêche le mal de vivre.
Quant aux autres habitants, ils n'ont pas de terres et comptent sur d'autres secteurs socio-économiques pour vivre.
Paradoxalement, Afourer qui aurait pu être un haut lieu de l'agro-alimentaire ne compte qu'une petite et vieille huilerie.
Les seules activités modernes génératrices d'emplois qui vaillent d'être citées relèvent du tourisme et de la production d'énergie, avec un fleuron de l'hôtellerie 110nale -le Tazerkount- et une petite centrale hydraulique (2x45 mw) de l'Office 110nal d'électricité (ONE).
Comme il y a cinquante ans et grâce aux potentialités que la nature a offertes à cette région, la production d'énergie crée de nouveau l'événement à Afourer. Mais aujourd'hui c'est le guide suprême de la 110n, Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Souverain d'un Maroc indépendant, travailleur et créatif, qui lance un projet qui fera demain la fierté de tous les Marocains.
En effet, les caractéristiques techniques de la future Station de transfert d'énergie par pompage (STEP) feront d'elle une grande contribution à l'accès de notre pays vers les hautes technologies en ce début du troisième millénaire. Quant au coût du projet, 1,35 milliard de dirhams, il témoigne de la confiance des investisseurs et de toute la viabilité de l'économie 110nale.
La STEP consiste à pomper de l'eau vers un plateau en altitude à l'aide d'une énergie bon marché (celle des heures creuses où la consommation est faible), pour la relâcher et turbiner durant les heures de pointe. Il s'agira d'une formidable réalisation et les habitants qui le savent montrent toute leur satisfaction quant au regain d'activité qu'elle va apporter sur place.
Penser à la montagne
mais la possibilité de faire profiter la montagne de son eau revient également dans les discussions.
Le plateau d'Ighergher, qui accueillera le bassin supérieur de la STEP au milieu de chênes verts, comporte deux belles clairières où le long jaunissement de la sécheresse remplace vite le vert des petits printemps et fait oublier les furtifs blanchiments de quelques neiges éphémères.
C'est un miraculeux volume quotidien de 1,3 million de mètres cubes d'eau que la future station de pompage fera transiter, dès sa mise en marche, par ce beau site du mont Tazerkount.
Certains, motivés sans doute par la vocation hôtelière des jeunes de la région, rêvent déjà qu'avec moins de 0,1% de cette eau (une infime goutte d'un gramme de chaque litre), l'endroit se transforme un jour en un ressort touristique des plus modernes, tel qu'on peut en imaginer dans le cadre d'un développement protecteur de l'environnement. Dans ce paysage de rêve où souffle constamment une brise vivifiante et d'où s'offre un somptueux panoramique sur toute la plaine de Tadla, il y a beaucoup à faire non seulement pour le tourisme de montagne dans sa diversité, mais même pour un village de vacances nanti de piscines, de courts de tennis, d'hippodromes, voire de golf et de piste d'atterrissage.
D'autres y voient une université moderne comme celle d'Ifrane ou un grand lycée où les jeunes internes, éloignés de l'agitation des villes, pourraient mieux se consacrer à l'étude.
La STEP sera d'une capacité cinq fois supérieure (450 mgw) à celle de la vieille centrale d'Afourer qui, quoique l'un des tout premiers symboles d'un certain modernisme, contrastait toujours avec le lancinant sous-développement de son amont.
Il est un signe de bon augure de voir arriver ce projet à un moment où un grand effort est entrepris par l'Etat, les collectivités et les organismes spécialisés en vue d'améliorer l'accès des habitants de la région aux infrastructures sociales, en particulier l'électrification et l'eau potable. Cet effort devrait enfin abréger ces contrastes devenus si familiers dans la région que même la chanson populaire les a mémorisés dans ce qu'un originaire de la région a tenté de traduire :
Afourer est près de nous,
Mais l'eau nous fait misère.
Afourer est près de nous,
Mais nous manquons de lumière,
En regardant Sa Majesté Mohammed VI donner le coup d'envoi du projet, les habitants d'Afourer et ses environs ont regardé, avec espoir, vers l'avenir. Et au milieu de la foule enthousiaste, le poète traducteur, féru de chanson populaire mais aussi de guillaume apollinaire, ne s'empêcha pas de fredonner :
Sous le mont Tazerkount coule la vie. Et Afourer de son Roi est ravi.