Spécial Marche verte

Comédie : «Les Bonnes» de Jean Genet

Les Instituts français du Maroc organisent une tournée de la pièce de théâtre de Jean Genet Les Bonnes, dans une mise en scène d'Alfredo Arias avec en distribution : Laure Duthilleul (Claire), Marilù Marini (Solange) et Alfredo Arias (Madame).

22 Octobre 2001 À 20:32


Dans la mise en scène d'Alfredo Arias, Claire et Solange se parlent à travers un miroir ou plutôt de part et d'autre d'un miroir à double face. Peu à peu, les tâches auxquelles elles sont condamnées par leur condition de bonnes effacent cette mince séparation. Les deux femmes vont fusionner...Le tilleul au gardénal, poison destiné à Madame, est, à leur insu, réservé à l'une d'elles, Claire. Ainsi celle qui incarne illusoirement Madame va subir son sort dans la réalité représentée et dans une poétique et fatale substitution de rôles.
Les personnes intéressées peuvent acheter leur billet à l'institut français de Rabat, 2 rue Al Yanboua.
Tél : 037. 70. 11.22/38.
Tarifs : 70 Dh, 50 Dh ou 30 Dh.
Représentations des «Bonnes» dans les autres Instituts français :

Le samedi 27 octobre à Meknès
Le mardi 30 octobre à Marrakech
Le jeudi 1er novembre à Casablanca
Le miroir, la fusion,
la mort du metteur en scène
Claire et Solange se parlent à travers un miroir ou plutôt de part et d'autre d'un miroir à double face. Peu à peu, les tâches auxquelles elles sont condamnées par leur condition de bonnes effacent cette mince séparation.
Les deux femmes vont fusionner dans le dégoût qu'elles éprouvent mutuellement.
C'est dans la représentation même de leur destinée de servantes qu'elles vont trouver une issue à cette répulsion : en érotisant Madame et monsieur et en faisant de cette érotisation même une forme persécutoire, elles mettent en place un subtil mécanisme théâtral et passionnel qui conduit à la mort.
Le tilleul au Gardénal, poison destiné à madame, est, à leur insu, réservé à l'une d'elles, Claire. Ainsi elle qui incarne illusoirement Madame va subir son sort dans la réalité représentée et dans une poétique et fatale substitution de rôles.
Le personnage de Madame échappe aux deux bonnes, et, dans le même mouvement, les ramène au niveau de la représentation, leur permettant, ainsi, d'accéder à la mort, dans un acte suicidaire. Car la mort de Claire autorise la fusion à laquelle les bonnes aspiraient : lorsque l'une d'elles meurt, c'est leur compte qui se fond dans ce geste ultime.

Rendez-vous avec Jean genet Un film,
un balcon, un cirque

Nous étions arrivés à Paris depuis, peu, trois ans peut-être. Jean Genet, je l'avais appris, préparait alors un film dont le titre était la nuit venue.
Il s'agissait du voyage d'un jeune maghrébin qui, voulant rentrer dans son pays, prenait par erreur, en gare de Perpignan, le train pour Paris. Le film devait raconter une nuit à Paris, la découverte de la capitale, à travers le regard de ce personnage.
Jean Genet avait l'intention de constituer l'équipe de comédiens avec une troupe théâtrale dont chaque membre jouerait plusieurs rôles. Ils nous proposa alors de participer au film, à Marilù Marin i, à Facundo Bo, à moi-même, à ceux qui formaient notre compagnie, le TSE.
Je me rappelle qu'il m'avait réservé le rôle d'un laveur de cadavres, mais je devais aussi incarner de baisser nos manches sur nos mains. «On dira que c'est le signe de reconnaissance de votre tribu». Il nous avait vus dans Noces et Vierges au Théâtre Essaïon.
Pour mieux connaître notre travail, il vint ensuite à Toulouse où nous jouions Vingt-quatre heures. Dans le hall du théâtre, Jean Genet nous dit : «Vous, vous êtes là» en indiquant la direction de la scène . Et il ajouta, en pointant un panneau métallique qui signalait le balcon : «Et moi, je suis ici».
A la fin de la représentation, il me déclara : «J'ai entendu la plus belle phrase du théâtre» : «Violette préfère les chevaux à la littérature».
Sur le moment, je n'ai pas compris le sens de ce choix. A présent, rené de Ceccatty me suggère que le prénom lui rappelait peut-être la romancière Violette Leduc, dont il avait tant aimé le premier livre l'Asphyxie et à laquelle il avait dédié les Bonnes. Ensuite, il s'étaient brouillés parce que Violette Leduc n'avait apprécié ni le texte des Bonnes, ni la mise en scène de Jouvet...elle avait commenté : «Est-ce qu'on demande à racine d'écrire les poèmes de Rimbauld? Est-ce qu'on demande à Rimbaud d'écrire les pièces de Racine?» dans les éditions suivantes, Genet avait retiré sa dédicace.
Après le spectacle, nous sommes allés prendre un verre dans un café. Et le garçon , qui nous avait fait attendre pour nous servir, nous dit : «Pardon, Messieurs dames.»
Mais comme il n'y a avait que des hommes à notre table, il se reprit et s'excusa. Genet répliqua aussitôt : «non, non ne vous excusez pas. Allez jusqu'au bout de vos idées».
Puis il poursuivit ses commentaires : «Le théâtre n'a plus lieu sur la scène, mais sur les escaliers d'un avion, quand un président les descend...» Il n'était pas tendre.
D'un comédien, il dit «Il est si laid que la prochaine fois je lui lancerai un morceau de viande pour l'écarter de moi».
Je me rappelle aussi qu'il avait voulu imiter un geste d'un autre acteur, dont il avait vu une photo avec les pieds dans une étrange position. Jean Genet perdit alors l'équilibre.
Finalement son projet de film tomba à l'eau. Je sus, par son ami marocain qu'il avait eu également l'intention d'écrire une pièce pour notre troupe.
Mais on n'en a pas retrouvé trace dans ses papiers.
Un jour, bien des années après la mort de jean Genet, René de Ceccatty me parla d'un cirque tzigane qui l'avait beaucoup frappé, le cirque Romanès, dont le chapiteau était provisoirement installé sur un terrain vague derrière la Place de Clichy. Ce cirque était dirigé par Alexandre Bouglione qui avait été un ami intime de Genet, lorsque l'écrivain avait convaincu son amant Abdallah de devenir funambule.
Quelques minutes avant la représentation, rené me présenta à Alexandre Bouglione. Nous nous sommes parlé au centre de la piste et le directeur m'a rapporté des propos très gentils de Genet sur mon travail. Il était manifestement heureux et ému de m'accueillir.
Ainsi, le lien que j'avais cru interrompu avec Jean genet ne l'était pas. les liens poétiques de l'amitié me reconduisaient à lui. Et pendant que j'assistait aux numéros du cirque, enchaînés au son de la musique tzigane, dans une atmosphère à la fois pauvre et dotée de grâce, qui, avec très peu de moyens, mais avec une grande force d'évocation, créait un climat envoûtant et dépouillé, si favorable à l'émotion que peut procurer ce genre de spectacle par une nuit d'été au cœur de Paris, je me dis qu'un jour je pourrais demander aux acrobates, aux clowns, aux funambules, aux contorsionnistes de m'accompagner dans une aventure théâtre.
Pourquoi ne pas mettre en scène une pièce de Jean Genet dans cet environnement, les artistes continuant leurs numéros, sous ce chapiteau, dans un terrain vague? Je laisse au temps d'en décider.
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