Fête du Trône 2006

Ethique scientifique et direction morale en Islam

La présente conférence est de nature à mettre en lumière ce que le Livre de Dieu a d'influence sur la direction morale. Le sens donc qui se dégage du verset coranique, à partir duquel le professeur Nassr Eddin Al Assad nous développe son exposé, stipule q

11 Décembre 2001 À 15:31

«Ne vois-tu pas que Dieu fait descendre du ciel une eau par laquelle Nous faisons croître les plantes aux fruits variés ? Les montagnes, de même, sont marquées de stries diaprées : d'aucunes blanches, d'autres d'un rouge aux tons divers, quelques unes d'un noir fourré. Et parmi les hommes, les animaux, le bétail, il s'en trouve de couleurs différentes. C'est ainsi que de tous les serviteurs de Dieu, seuls les vrais savants savent Le craindre».
C'est là un sujet vaste, c'est pourquoi je me contenterai, par souci de concision, d'éléments partiels et d'allusions rapides et significatives.
L'énoncé coranique : «De tous les serviteurs de Dieu seuls les vrais savants savent Le craindre» apparaît dans les deux versets cités plus haut et fait partie des versets relatifs à l'univers et à la création véhiculant la capacité de Dieu d'obtenir de l'eau qu'Il fait descendre du ciel, des fruits de diverses espèces et des montagnes aux différentes couleurs dont des blancs, des rouges des noirs de jais et de créer des humains et des animaux d'espèces différentes. Ceci représente pour les savants un enseignement et une leçon qui les rapprochent de la connaissance du Très Haut au point de les rendre davantage prédisposes à le craindre. Dans ces exemples illustrant la capacité de Dieu dans Sa Création, rien n'indique que la connaissance s'établit uniquement par la science religieuse, elle s'effectue aussi avec exactitude par le biais des sciences matérielles comme la physique, l'astronomie, la géologie, la génétique et différentes autres branches scientifiques.
Le sens qui se dégage des deux versets est clair et le contexte auquel ils réfèrent est en corrélation directe. Il faudrait en inférer que les sciences religieuses, autant que les sciences matérielles, sont du ressort de Dieu. Il serait même plus juste de dire qu'il s'agit en fait d'une seule science dont les éléments se complètent et entrent en interaction sans distinction entre ce qui est profane et ce qui est religieux. Nos prédécesseurs en avaient d'ailleurs tout à faire conscience et comprenaient ainsi la science. A titre d'exemple, on rapporte que Omar ibn Hassan apprenait les mathématiques et l'astronomie de Ptolémée de son maître Omar al Abrihi. Un faquih est alors entré et leur a demandé ce qu'ils étudiaient, Al Abrihi lui répondit alors : «Je suis entrain de commenter le verset coranique où Dieu dit : «N'ont-ils pas vu comment Nous avons édifié le ciel au dessus d'eux?» et je suis en train d'expliquer comment ce ciel a été élevé. Par ailleurs, commentant cette relation qui lie sciences religieuses et sciences profanes dans son exégèse, Fakhr Eddin Arrazi dit : «Al Abrihi est dans le vrai, car celui qui est le plus versé dans la connaissance des créations de Dieu est plus à même d'en saisir la grandeur et la majesté».
Le Livre de Dieu est à l'origine un livre de direction morale, d'exhortation et de législation, mais dont plusieurs des versets nous incitent à réfléchir et à en méditer le contenu.
Mais, cet exercice de la raison diffère d'une catégorie de personnes à l'autre. D'où le fait que chacun ait compris le Coran selon ses capacités intellectuelles et que jurisconsultes et exégètes ne sont pas parvenus aux mêmes explications et aux mêmes conclusions sur plusieurs cas qu'ils ont abordés. Ceux-ci n'emploient ni les mêmes sources, ni les mêmes instruments, ni les mêmes modes dans leur argumentation. Mais ils demeurent néanmoins tous des croyants ayant foi en Dieu et en Son Livre et se conforment à la sunna (Tradition du Prophète). Leurs divergences donc constituent en fait un effort intellectuel (Ijtihad) sur lequel ils seront tous rétribués alors même qu'ils se tromperaient dans leur interprétation.
Cet effort intellectuel ne s'est pas opéré seulement sur les choses de la religion et uniquement avec les sciences religieuses, mais il s'est également étendu aux sciences de la vie et a également utilisé les sciences «exactes» selon les époques.
L'accumulation de ces connaissances a donné lieu à ce qu'on appelle «La culture arabo-musulmane», laquelle a développé un contenu, des méthodes et un style méritant d'être appréhendés à part entière.
Et c'est sans doute le Coran qui a balisé ce parcours en menant les Musulmans, dont des Arabes, d'une ère civilisationnelle à une autre, de l'étape de l'oralité à celle de l'écriture et de la codification laquelle représente le fondement même des sciences et de la civilisation. Cela ne veut pas dire pour autant que les Arabes avant l'Islam ne connaissaient pas l'écriture comme la critique littéraire contemporaine l'a définitivement prouvé et établi.
L'écriture en fait ne constituait pas pour eux la règle sur laquelle s'établissait la pensée et la littérature préislamique. Il a fallu attendre l'avènement de l'Islam pour que les Arabes fassent de l'écriture une règle de vie et le fondement de leur évolution. A ce propos, le premier verset révélé au Prophète (P.S) dit :
«Lis au non de ton Seigneur qui créa l'homme d'un caillot adhésif, lis ! La bonté de ton Dieu est infime. C'est lui qui fit de la plume (qalam) un instrument de savoir, et enseigna à l'homme ce qu'il ignorait».
Dans «...appris à l'homme par le qalam (plume)» il est clairement explicité que cet apprentissage ne s'est pas fait uniquement par la parole et la culture. C'est pourquoi, dès la révélation des versets suivants, le Prophète s'est empressé de nommer des secrétaires qu'il avait chargés de consigner par écrit ce que Dieu lui révélait. Depuis, d'autres versets ont insisté sur l'importance de l'écriture et des instruments qu'elle utilise et ont parlé du livre et des parchemins dans plusieurs circonstances pour en faire la description. Dieu lui-même jure par certaines lettres de l'alphabet par la plume et par l'écrit comme lorsqu'Il dit : «Nun, par le qalam (plume) et ce qu'ils tracent de leur main», ainsi que : «Par le livre transcrit sur un parchemin que l'on déploie» ; outre le fait que le terme livre est mentionné dans le Coran des dizaines de fois avec différentes acceptions, la religion même, est justement la religion du Livre, Chrétiens et Juif sont les «gens du Livre» et le Coran même est : «...Le livre ne comportant point de doute...», le livre des livres, le livre consigné par écrit.
Cependant, ce passage à l'écriture n'empêchait pas les compagnons du Prophète de mémoriser les versets dès leur révélation et ensuite le Livre Saint dans sa totalité. Ces versions sont authentiques mais ne sont rapportées que par certains compagnons, en plus d'après ces compagnons la plupart d'entre eux ne mémorisait que quelques versets comme le rapportent les nombreuses traditions recueillies. Ainsi, on rapporte que même Abdallah ibn Omar, que Dieu soit satisfait de lui, n'a appris le chapitre «La Génisse» qu'en quatre années ; c'est pourquoi on dà l'époque que lorsque la personne parvient à mémoriser «La Génisse», sa position parmi nous apparaît et grandit. L'écriture est un «état», mais aussi un phénomène linguistique et culturel qui nécessite forcément la diffusion de la pensée. C'est pourquoi le Coran ne cesse d'exhorter à la réflexion et à l'exercice de la raison ainsi qu'à la méditation sur le Créateur de la terre et des cieux et à la connaissance de ce que ceux-ci comportent comme éléments. Des versets de ce genre sont trop nombreux pour être recensés dans le cadre de cette conférence. Mais c'est là aussi un deuxième mode dans la formation de la culture du Musulman et de sa personne. En effet, lorsque écriture et exercice de la raison deviennent un mode de vie et un moyen de réflexion, ils constituent le fondement de la science et de la civilisation. Les manifestations de ces deux modes s'accompagnent inévitablement de la libération de l'esprit du joug des superstitions, des mythes et des légendes. Aussi bien les phénomènes naturels qu'humains sont des créations de Dieu qui les conçoit et les fait évoluer selon une mesure précise, mais il appartient néanmoins aux Musulmans de les méditer et d'en sonder les profondeurs en vue de les analyser et d'en découvrir les secrets, les causes et les effets ; Dieu dit à ce propos :
«Il créa le soleil et la lune selon une mesure», ainsi que : «A la lune nous assignons des phases successives, jusqu'à ce qu'elle devienne semblable à la palme desséchée. Le soleil ne saurait rejoindre la lune, ni la nuit devancer le jour. Chaque astre doit voguer selon une orbite qui lui est propre».
(Ya sin, V : 39-40)
Tout le monde connaît l'histoire de Ibrahim, le fils du Prophète (P.S). Il y eut une éclipse du soleil à sa mort et les gens avaient commencé à dire que c'était parce que c'est le fils de l'Envoyé de Dieu. Mais ce dernier rétorqua pour les détromper : «Ni l'éclipse de la lune ni celle du soleil ne sont dûs à la mort ou la vie de qui que ce soit». Toutefois, d'après Ibn Omar, le Prophète avait ajouté que : «Ces éclipses sont en fait des signes de Dieu. Si vous voulez être dans le vrai, priez et invoquez Dieu».
Dieu le Très Haut a établi des lois fixes autour desquelles évolue la vie comme lorsqu'Il dit :
«Tu ne trouveras, en vérité, ni changement ni déviation dans les lois immuables de Dieu».
(Les Anges, V : 43)
Assimiler donc le véritable sens des textes et ne pas se contenter de les apprendre et de les répéter constitue le 4ème mode qui permit la mutation dont nous parlons. Ce mode qui permet justement de rattacher la connaissance à l'action et d'appliquer les connaissances acquises était celui là même dont usait de Prophète (P.S) lorsqu'il enseignait à ses compagnons les versets qui lui étaient révélés et leur apprenait comment en mettre en application le contenu dans leur vie quotidienne et veillait aussi à ce qu'on passe progressivement d'un ensemble de versets à un autre. C'est là d'ailleurs un mode d'apprentissage rapporté par la tradition. Ainsi, Ibn Mas'ud dit: «Chaque fois que nous apprenions dix versets, nous ne passions aux autres que lorsqu'on en avait assimilé le sens en vue d'une mise en application de ces versets dans notre vie quotidienne». De son côté, Abu Abderrahman Assalmi dit: «Ceux qui nous apprenaient le Coran nous ont rapporté qu'ils ont assimilé le Coran tout en le mettant en pratique par dizaines de versets de sorte qu'ils avaient appris, et le Coran, et sa mise en application conjointement».
Ibn Omar quant à lui dit: «Durant ma vie j'ai constaté que lorsque l'un parmi nous avait eu la foi avant le Coran, une fois un verset était révélé au Prophète (P.S), cette personne prenait connaissance de son licite et de son illicite et se comportait en conséquence exactement comme vous connaissez le Coran vous-mêmes. Mais j'ai aussi rencontré des gens parmi lesquels l'un avait reçu le Coran avant la foi. Celui-ci prend connaissance du Livre depuis la Liminaire (Fatiha) jusqu'à la dernière sourate sans différencier entre ce à quoi le Livre exhorte, ce qu'il sanctionne et les limites qu'il impose et finit donc par en disperser les versets comme il éparpillerait des dattes (sur le sol)».
Le cinquième mode concerne la formation de l'esprit et l'édification par la culture. Ainsi, une attitude critique devait être adoptée vis à vis des écrits des anciens qu'on ne devait pas se contenter de lire afin d'en répéter en tant que vérité immuable ce qu'ils contiennent. Ces écrits devaient être abordés avec un esprit critique et analytique afin que les lecteurs puissent identifier le vrai du faux par la preuve et l'argument.
Parmi ceux qui ont le plus clarifié en le détaillant ce mode scientifique, citons Al Hassan ibn al Haytham (M 430 H) lorsqu'il dit: «Ce qui est vrai doit être recherché en tant que tel. Cela ne veut pas dire que ce qui est intrinsèque n'existe pas. Cependant, la vérité est difficile à trouver, la voie qui y mène est pleine d'obstacles et de miroirs trompeurs. Les gens généralement font confiance aux savants alors que Dieu ne les a pas immunisés contre les erreurs et n'a nullement préservé leurs connaissances de faiblesses et de défauts. D'ailleurs, s'il en avait été ainsi, il n'y aurait pas eu de divergence entre les savants et leurs opinions ne se seraient pas opposées concernant les phénomènes de la vie. Certes, les choses en sont autrement, celui qui recherche la vérité ne recourt pas aux livres des anciens en leur accordant toute sa confiance, mais bien plutôt celui qui accuse leurs opinions, s'arrête pour en saisir le sens et en rechercher la preuve et l'argument. L'opinion ne devrait donc pas être celle de la personne qui se contente de son intuition marquée par la défaillance et l'approximation. Celui qui médite les écrits des anciens pour en puiser quelque vérité devrait s'opposer à tout ce qu'il y lit en investissant ses capacités intellectuelles dans ce qui y est écrit et ce qui s'y trouve à la marge de fond en comble et devrait aussi s'accuser et s'opposer à lui-même sans préjugé mais aussi sans tolérance. Cette attitude seule peut le faire parvenir à l'objectif qu'il s'était fixé et à la vérité des choses et situer ces résultats par rapport à ceux des anciens quant à leurs déficiences et à leurs insuffisances» (fin de citation).
La méthode de Ibn al Haytham a été appliquée par d'autres chercheurs après lui, des médecins notamment qui ne s'étaient pas contentés de recenser les idées des anciens, mais ont abordé leurs écrits avec un sens critique et d'analyse pour adapter ce qu'il y avait à critiquer.
Le 6ème mode consiste à ne point nous tromper en nous abandonnant à nos seuls sens, mais de douter des phénomènes jusqu'à ce que leur preuve soit établie. Cette méthode était en effet très répandue parmi les penseurs musulmans au point où al Jahiz dit qu'il ne faudrait pas se fier à ce que nous montrent nos yeux, mais plutôt à ce que nous montre notre raison, car nous nous trouvons face à deux juges : celui du sens de la vue et celui de l'esprit alors que ce dernier seul possède l'argument. Ce merveilleux auteur, après avoir raconté une de ses étranges anecdotes ajoute: «Je n'ai pas, cher lecteur, écrit cette histoire pour que tu y croies, mais pour le seul plaisir de te la raconter. Il ne me plairait pas que tu la tiennes pour vraie ni non plus que tu en rejettes totalement la véracité, mais que ton esprit tende à la remettre en question pour que tu puisses relever à partir des points de doute, les points de certitude».
Ce ne sont pas les exemples qui manquent pour illustrer d'autres méthodes d'approche, mais nous voudrions conclure en présentant une méthode de cette culture arabo-musulmane et qui est déduite de la quintessence même de notre religion, à savoir: l'expérience, l'analyse et l'examen critique. Ce sujet certes, nécessite un long développement d'arguments et de contre-arguments ne rentrant pas dans le cadre de cette conférence.
Certains sont allés jusqu'à affirmer que la médecine grecque et la médecine arabe représentent une seule et même époque puisque utilisant toutes deux un même mode de pensée, celui de l'éclectisme et non pas celui de l'expérience scientifique. Cette époque aura duré2 millénaires pendant lesquels Hypocrate a établi la méthode globale que Gallien a développé en détaillant ce qu'Arrazi a mis en application et que Avicenne a harmonisé et clarifié totalement et définitivement. Ce développement et cette progression allaient donner lieu par la suite naissance aux sciences expérimentales et à la chimie. D'autres par contre, critiquent cette approche en affirmant que la science arabe est différente de la science grecque qui, il est vrai a profondément influencé les Arabes qui sont parvenus à établir les premiers fondements scientifiques et au fait expérimental et ce, en rassemblant les cas d'espèce observés d'où ils tiraient les règles générales alors que la science grecque se fondait essentiellement sur des globalités sur lesquelles on tentait ensuite d'appliquer la réalité en usant d'inductions et de déductions.
Notre but ici n'est pas de discuter ces idées ni d'en développer les nombreuses ramifications. Nous nous contenterons par conséquent d'attirer l'attention sur le fait que les savants arabes connaissaient tant l'analyse et les déductions à établir que l'expérience scientifique dans les limites des moyens que permettaient leur époque et les connaissances scientifiques auxquelles ils étaient parvenus. Ce ne sont pas les preuves qui manquent à ce propos, nous nous contenterons de citer le médecin Abu Bakr al Razi (M 311 H) qui dit : «Lorsque nous avons remarqué que ces «joyaux» avaient tant d'effets bénéfiques dont notre esprit ne parvenait pas à saisir le principe agissant, nous n'avons pas pour autant opté pour le rejet de ce qui échappait à notre entendement, car en ce rejet résidait aussi celui de tous les bénéfices qui en découlaient... Nous avons plutôt adjoint ce que nous avons perçu par l'expérience et qui est établi pour vrai chez tout le monde. Mais nous ne tenons rien de tout cela pour une certitude, sauf ce qui a été dûment examiné et expérimenté».
D'où son conseil à ses élèves: «Opte toujours pour ce qui est établi, et ce qui rassemble le consensus de tous. Abandonne ce qui est rare et ne tiens pour vrai que ce que tu as expérimenté». Pareilles citations sont vraiment nombreuses pour qu'on les recense toutes ici. Nous retenons néanmoins une expérience élaborée par Ibrahim Ibn Sinan ibn Quorra au 4ème S de l'Hégire et qu'il utilise pour répondre à Aristote et à d'autres savants grecs concernant l'influence des couches atmosphériques supérieures et de la physique sur les phénomènes atmosphériques, dont par exemple les causes des précipitations en été dans certaines régions, phénomène que les Grecs appellent «antiperistasis». Ibrahim ibn Sinan dit: «Dans chaque assiette j'ai versé la même quantité d'eau pure froide et d'eau tiède et je les ai mises toutes deux au contact de l'air sec en même temps. L'eau froide s'est solidifiée et l'eau tiède a gardé quelque chaleur. J'ai répété l'expérience tout en portant l'eau tiède à ébullition : la surface de l'eau froide s'est solidifiée et la chaleur de l'eau chauffée était moindre que l'eau tiède utilisée dans la première expérience....». C'est à partir de cette expérience que les historiens occidentaux des sciences ont commencé à revoir les allégations affirmant que Roger Bacon serait le fondateur de la méthode scientifique se fondant sur l'observation empirique en sciences naturelles. Ainsi C. Pranth, un historien de la logique affirme que les résultats obtenus par R Bacon viennent en fait des Arabes..., établissant ainsi que les savants musulmans, non seulement fondaient leurs recherches sur l'expérience, mais opéraient celles-ci à partir d'une théorie. E Wiedeman dit à ce propos que les Arabes étaient les précurseurs de cette méthode et que tous les résultats de R. Bacon avaient déjà cours chez les anciens savants arabes.
Ce savant ajoute que si l'Occident a eu la chance de parvenir aux résultats de la recherche chez les Grecs dans leur forme classique définitive, il n'a pu en suivre l'évolution que dans des cas exceptionnels, mais que ce sont les Arabes qui ont pu en clarifier le développement progressif tout comme le font certains chercheurs aujourd'hui.

Si nous nous sommes étendus sur ce sujet, c'est pour affirmer que nos prédécesseurs parmi ces grands savants arabo-musulmans ont semé les premières graines et ont consolidé les premiers fondements de cet esprit scientifique en les appliquant à leurs recherches.

Il ne convient certes pas de soutenir que ces règles avaient alors connu leurs formes définitives ni non plus que l'expérience scientifique et l'observation avaient été élaborées totalement chez les Arabes comme nous les connaissons aujourd'hui. Ce serait en effet là prétendre que la science s'est arrêtée chez les Arabes et la condamner aussi à l'immobilisme empêchant ainsi qu'elle évolue et se développe à travers les époques ultérieures à celle des Arabes. Nul ne peut certes soutenir telle allégation, que ce soit concernant les Arabes ou tout autre peuple, car la science et l'évolution de l'humanité sont une chaîne dont les maillons tiennent les uns aux autres aussi longtemps que la vie continuera sur terre. Cependant, méconnaître ou minimiser l'apport arabo-musulman dans les domaines scientifiques et civilisationnels reviendrait à déformer une vérité historique et à commettre une bévue dont l'équivalent serait l'exagération des apports d'un autre peuple.

Lorsque l'être humain parvient à ce haut développement de l'esprit scientifique, il devient apte à saisir cette vie que Dieu met à sa disposition. Cet homme peut alors parvenir à percevoir ce que comporte la terre comme richesses apparentes et souterraines, terrestres, maritimes et atmosphériques. Tous ces domaines feront alors l'objet de sa réflexion et de sa méditation en vue d'une mise en valeur des biens par le travail. Tous ces domaines, par la grâce de Dieu, cet homme parvient à en ouvrir aisément toutes grandes les portes pour atteindre les biens qu'ils renferment. Dieu dit à propos de ce qu'il a mis à la disposition de l'homme:


«Il vous a soumis les vaisseaux, fendant les flots par Son ordre; Il vous a soumis les cours d'eau. Pour vous, Il a assujetti le soleil et la lune à une gravitation invariable. Il a fait du jour et de la nuit vos zélés serviteurs». ensuite: «C'est Lui qui vous a soumis la mer dont vous tirez, pour vous en nourrir, une chaire fraîche « ainsi que: «Ne voyez-vous pas que Dieu a mis à votre service tout ce qui est dans les cieux et sur la terre ?» et enfin le verset qui nous semble résumer cette idée: «Tout ce qui est dans les cieux, tout ce qui sur la terre vous est assujetti par Dieu, de Qui tout procède. Quel signe pour qui sait y réfléchir!».


Après ces résultats, les savants musulmans se sont alors mis à réfléchir et à méditer, défiant tous les obstacles qui s'élevaient entre eux et la science.

Pour que les Musulmans puissent se charger réellement de cet engagement et s'acquitter convenablement du dépôt dont l'homme a accepté de s'acquitter alors « que les cieux la terre et les montagnes avaient refusé de le supporter», afin qu'ils puissent ouvrir les portes de ces domaines avec courage et détermination -la peur et l'hésitation jugulent certes l'esprit et la science et partout annihilent toute capacité- Dieu le Très Haut a dispensé les hommes quant à leur responsabilité intellectuelle pourvu que leurs efforts et leurs études soient fournis selon de bonnes intentions et s'assignent comme objectif la recherche de la Vérité. Dieu dit à ce propos:


«Il ne vous sera pas fait grief de vos erreurs, mais de ce que vos cœurs ont prémédité. Dieu est tout enclin au pardon, tout compatissant».


Le Prophète (P.S) dit de son côté: «Les actions valent par les intentions qui les animent», ainsi que : «Dieu n'a pas responsabilisé ma communauté concernant leurs réflexions et leurs omissions...».

L'Islam aura ainsi accordé aux savants le droit à l'erreur en tant que Droit de l'Homme. Cette religion a ainsi, conformément aux bontés que Dieu ne cesse de prodiguer aux êtres humains, surpassé tout ce qu'on pourrait imaginer en pardonnant son erreur au savant qu'Il incite ainsi à la recherche et à l'effort intellectuel, surtout lorsqu'Il lui accorde sa récompense quand bien ême ce savant se serait trompé. Cela étant, comment le savant ne se tranquilliserait-il pas? Et comment donc n'investirait-il pas les domaines de la recherche dans la tranquillité et la quiétude?

C'est là une des caractéristiques de la méthodologie islamique dans la formation de l'esprit du croyant, dans la conception de la culture arabe et l'édification de l'esprit scientifique des Arabes. Ce mode, avec ses caractéristiques et ses méthodes, constitue l'une des spécificités de cette culture arabe qui s'est répandue à travers le monde et s'y est imposée pour constituer l'un des affluents qui a nourri la renaissance européenne et continue d'abreuver la culture contemporaine.

Cette culture arabe se fonde en outre sur une règle scientifique ayant trois principes fondamentaux.

1er principe : Ce que les Musulmans ont créé pour eux-mêmes comme sciences spécifiques à partir de leur religion et qu'ils n'ont ni pris ni adapté à partir de sciences antérieures des autres peuples. Des sciences telles que celle des fondements, la jurisprudence, l'exégèse, les lectures du Coran, les traditions avec leur terminologie et les biographies de leurs colporteurs ainsi que celle des compagnons et les relations des conquêtes. Chacune de ses sciences a ses annexes et ses domaines propres que les chercheurs musulmans ont largement développés et qui leur ont en outre permis d'atteindre un haut niveau méthodologique et intellectuel qui s'est traduit par un travail parcimonieux du contenu, accompagné d'une analyse se fondant sur une recension des sources, leur critique et leur authentification. Ainsi, nulle opinion ou réflexion n'était acceptée sans discussion préalable qui fasse apparaître ses arguments scripturaires et ceux fondés sur la raison. C'est ainsi que l'attitude scientifique s'est établie en eux avec ses règles, sa déontologie et son éthique pour qu'ils s'élancent ensuite vers la quête des connaissances dans un élan incomparable et qu'on n'avait jamais encore perçu chez d'autres nations. Cet essor sans pareil s'est effectué loin de tout esprit sélectif et réducteur et en dehors de tout accaparement des sciences religieuses et temporelles par un clergé, des templiers, des devins etc... La science parvenait ainsi à l'ensemble des gens en général et aux savants en particulier directement de sa source, pure et authentique.

2ème principe: Lorsque les Musulmans avaient fini d'établir les fondements de ces règles, et de définir les principes et les méthodes de celles-ci qu'ils ont puisés d'eux-mêmes et de leurs sciences religieuses, fondant ainsi des sciences authentiques parce que totalement endogènes, ils n'ont pas manqué de les renforcer par un deuxième mode scientifique authentique concernant leur langue et leur littérature.

C'est alors qu'on assista à la naissance de la grammaire, de la science des désinences et de la sémantique, de la rhétorique, de la philologie et de la stylistique tant en recensant leur poésie et en étudiant la généalogie qu'en rassemblant leur histoire. Ces sciences venaient ainsi enrichir les premières en formant une unité complémentaire où tenaient à exceller tous ceux qui quêtaient le savoir, afin qu'en soient construites les règles et qu'en soient fondés les principes. A l'époque, toute personne ambitionnant une formation en sciences exactes devait tout d'abord prendre connaissance de ces sciences théoriques sur la religion, la langue et la littérature avant de passer aux sciences expérimentales qui allaient faire son renom comme la médecine, la chimie ou l'optique. C'est qu'en effet, ces sciences théoriques nourrissent le chercheur de connaissances essentielles et le familiarisent avec l'observation et la réflexion.

3ème principe: Ce n'est qu'après cette étape que les Musulmans se sont mis en contact avec les sciences des nations étrangères conformément au hadith qui dit: «La connaissance est l'objectif du croyant qui doit la rechercher où qu'elle se trouve». Ils se sentaient alors tout à fait capables d'assimiler ces sciences qu'ils cherchèrent à faire traduire dans leur langue, lorsqu'ils ne parvenaient pas à le faire eux-mêmes. Ils étaient en effet parvenus à soumettre et à assimiler les possibilités créatives de leur langue qui avait évolué dans cet élan, les surpassant même des fois au point où elle s'était renforcée et s'était enrichie grâce à l'usage qu'on en faisait. Et c'est seulement ensuite que les autres sciences et connaissances ont pu s'enraciner en leur sein et couler naturellement dans leurs veines et leurs esprits tout comme leurs sciences originelles pour se nourrir et s'enrichir mutuellement. L'esprit scientifique a pu ainsi s'amplifier et s'étendre entre musulmans.

Certes, ces sciences étaient tout à fait établies et construites chez certaines nations depuis longtemps déjà. On trouvait même parmi des Arabes, pendant la période préislamique, qui connaissaient un peu les langues de ces nations afin de s'informer sur leurs connaissances et leurs sciences.

A l'époque, les traducteurs continuaient à traduire en syriaque la science grecque qui s'était développée alors dans des centres où habitaient des Arabes ou bien résidaient à leur périphérie. Bien qu'une élite parmi les Arabes en eût connaissance, cette science ne leur était pas complètement parvenue et ne s'était pas développée parmi eux, parce que justement ils n'y pouvaient alors accéder que par leur seule langue.

Mais, avant que le IIIème siècle de l'Hégire ne s'écoulât, un nombre considérable d'ouvrages traitant de divers domaines scientifiques était passé à la langue arabe. Cette action de traduction s'était en outre accompagnée de compositions venant enrichir la bibliothèque arabe d'ouvrages arabes et d'autres traduits des autres langues. Ainsi, Fadl Allah ibn Abu-l-Fakhr Assa'aqui (m 726 h et ayant vécu centenaire) rapporte que Charaf Eddin, un calligraphe de l'époque, avait transcrit en six mois seulement, six cent soixante six ouvrages à Damas. Assa'aqui dit en outre qu'à la Nidhamiya à Baghdad, il a consulté un catalogue de 56 volumes répertoriant ce qui a été composé dans les divers arts et sciences jusqu'au califat de l'abbasside Al Mustansir (639 h).

Tous ces ouvrages, composés ou traduits, s'accompagnaient de commentaires, d'annotations et d'un examen critique qui de leur côté font partie de cet immense patrimoine que les Européens se sont mis à traduire à la langue latine au V siècle de l'Hégire correspondant au début du XI siècle de l'ère chrétienne. C'est ce mouvement qui a été à la base de la Renaissance en Europe grâce à ce qui a été pris chez les Musulmans comme méthodes de recherche dont nous n'avons pu indiquer que certains points tellement ce sujet demeure vaste et réclame par conséquent qu'études et prospections le revoient sous de nouvelles bases. En effet, on ne peut que s'étonner devant le nombre d'ouvrages arabes traduits en latin à cette époque : il suffit pour s'en rendre compte de voir les ouvrages qui ont été consacrés à ce sujet.

Ainsi, la science ne s'est réellement propagée chez les Musulmans qu'une fois qu'ils se sont imprégnés des principes des sciences arabo-musulmanes qui leur sont spécifiques. Ce peuple n'a entamé l'activité de traduction que sur des fondements intellectuels authentiques, une existence culturelle spécifique et des sciences endogènes qu'ils avaient eux-mêmes prônées et développées.

C'est une fois préparé de telle manière, que ce peuple a pu passer à une deuxième étape, préparation sans laquelle il aurait été colonisé par la culture traduite qui n'aurait pas manqué d'anéantir son identité au point où il n'aurait été en définitive qu'un simple translateur incapable d'évoluer.

Les Musulmans ont donc pu donner naissance à leurs sciences spécifiques qu'ils développèrent jusqu'à y exceller. Ils ont ainsi acquis une méthode scientifique propre à eux et ont mûri leur mentalité à l'assimilation de la civilisation à laquelle ils ont grandement participé et qu'ils ont largement divulguée parmi les autres peuples.

Aujourd'hui, le monde développé avance à grande vitesse, parcourt des distances considérables et s'élève avec force vers le développement et la prospérité, alors que de notre côté, nous adoptons la position du spectateur consterné. Nous importons d'Occident les théories littéraires et les écoles critiques puis nous en établissons certaines traductions dénuées de fondements et incapable de produire chez nous quelque élan intellectuel ou spirituel, mais participe plutôt à la sclérose intellectuelle que nous vivons aujourd'hui. Par ailleurs, nous importons aussi les résultats des connaissances scientifiques sans en connaître au préalable les origines, les principes et les méthodes requises.

Ne nous parviens donc d'Occident qu'une technologie finie et un champ d'application que nous avons l'illusion qu'ils nous appartiennent par le simple usage que
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