Spécial Marche verte

FIDC: créations et surprises nées de la danse

La troisième édition du Festival Inter110nal de Danse Contemporaine s'ouvre aujourd'hui à Casablanca. Son créateur, Lahcen Zinoun, est un personnage au parcours bien insolite, et grâce à qui la danse existe à un très haut niveau dans notre pays.

17 Octobre 2001 À 20:33

Tout de noir vêtu, confortablement installé sur un sofa blanc aux coussins tout aussi blancs, il a un sourire amusé un brin énigmatique, comme l'enfant qui se prépare à surprendre. Car Lahcen Zinoun porte éternellement en lui cet enfant émerveillé par le pouvoir de créer. Nous allons parler de tout sauf du Festival Inter110nal de Danse Contemporaine de Casablanca dont il est fondateur et organisateur, qui démarre ce 18 octobre, et dont nous sommes censé nous entretenir.
Son regard vif brille aux lueurs tamisées des lampadaires de son chaleureux salon très boisé où presque tout a été confectionné de ses propres mains. Sur le parquet habillé de tapis berbères, divans, coussins et fauteuils bas entourent des portes anciennes marocaines en bois transformées en tables par le danseur étoile. Les murs sont parés de toiles signées de sa propre main, qui révèlent son autre talent remarquable de peintre, peu connu du public. Portraits, nus, cavaliers et abstractions, par la grâce et la puissance qui l'habite, sa peinture évoque incontournablement la danse. Sur la bibliothèque, une autre de ses œuvres, une sculpture en bronze, représente son défunt père. La tête porte un fez rouge et le buste est enveloppé d'une étoffe de djellaba.

Une bourse pour danser

Alors qu'il se trouvait récemment en Tunisie, se mit-il à raconter, il fit connaissance d'une actrice et chanteuse palestinienne. Lorsqu'il écouta son chant «déchirant», dit-il, il eut beaucoup de mal à réprimer ses larmes. Malgré tous ses efforts pour les cacher, elles furent perçues par un Syrien présent dans l'assistance, qui vint aussitôt près de Zinoun et joignit discrètement ses larmes aux siennes, en continuant d'écouter le chant de cette Palestinienne. Au lendemain de cette soirée, Zinoun écrivit un bouleversant poème qu'il me lit. Il me lira ensuite un second, puis un troisième et encore un quatrième poème que lui inspirèrent d'autres thèmes. Puis il me confie qu'il est sur le point de publier son premier recueil de poésie. Voici une nouvelle surprise du danseur chorégraphe, alors qu'il vient juste d'achever la réalisation de son premier court-métrage, saut de biche inattendu dans le cinéma, qui fut très salué par les réalisateurs Souheil Benbarka et Nabyl Ayouch, rares personnes ayant visionné tout récemment le court-métrage en question au CCM, avant dernier montage. Parallèlement, Zinoun est en train d'écrire son autobiographie, «sans prétention» souligne-t-il. Tout de même, le parcours de ce grand artiste, qui se lança dans une carrière de danse classique au lendemain de l'Indépendance, dans un pays et à une époque où cela paraît tout à fait incroyable, pour parvenir au sommet de cet art dans le monde par sa nomi110n de danseur étoile, la vie de cet homme n'a rien d'ordinaire. Il me raconte alors une histoire qui enclenche de francs éclats de rire. Au terme de ses études secondaires, à la fête de fin d'année du collège, c'est le gouverneur de la ville (Casablanca) en personne qui lui remit son Prix en le félicitant affectueusement, «comme un père» de sa réussite. Conforté par cette attention, le jeune Lahcen se rendit quelques jours plus tard à la préfecture pour y rencontrer le gouverneur. Il lui quémanda des conseils et une aide dans la mesure du possible, telle une bourse, pour ses études supérieures. Le gouverneur lui demanda alors quel genre d'études supérieures il voulait entreprendre. «La danse» répondit Zinoun. Catastrophé, le gouverneur lui cria : «Tu n'as pas honte ?! Ou alors tu es devenu fou !!! De la danse ?! Tu veux une bourse pour danser ! Sors d'ici sur le champ et ne reviens plus jamais !!!». Zinoun se remémore cela non sans une pointe de tendresse, car son propre père avait eu une attitude similaire face aux projets de danseur de son fils. Ils étaient peut-être à cette époque deux hommes au Maroc à pratiquer la danse : Zinoun et son professeur au Conservatoire de Casablanca Feu M. Hamgar.

Une famille de danseurs

Zinoun quitta le Maroc à vingt ans pour des études au Conservatoire de Bruxelles, où il rencontra son épouse aussi danseuse, Michèle Zinoun. Dans leur brillant parcours, Lahcen fut nommé danseur étoile par le Ballet Royal de Wallonie, et Michèle danseuse soliste (grade précédant immédiatement celui d'étoile), par le Ballet Royal de Flandre. Ils interprétèrent à travers le monde de grands rôles, dirigés par les plus illustres chorégraphes. De La Peri à L'Oiseau de Feu, de Pélléas et Melissante à Oedipe Roi, la jeunesse de Lahcen n'est que succession de ballets prestigieux sur les scènes les plus fameuses du monde. A propos de son pas de deux avec la prima ballerina Vera Kirova dans La Peri de Skibine, la critique Marie-Angeline écrit dans un quotidien belge en 1972 : «(...) nous fûmes plus que comblés (...) puisque c'est l'admirable Vera Kirova et le racé Lahcen Zinoun qui dansaient (...). Ils incarnent à eux deux toute la beauté du corps humain et dansent de manière tellement transcendante qu'on en oublie vite le décor et tout ce qui nous rattache à l'espace et au temps pour ne suivre que les évolutions savantes, harmonieuses et techniquement parfaites des deux artistes (...)». En hommage à ses réalisations pour la danse, Zinoun fut décoré cette année Chevalier de l'Ordre du Roi Leopold par le Prince Philippe de Belgique. Quant à Michèle, elle a dansé les ballets de Skibine, Peter Van Dyek, Janine Charat, José Parès, André Leclair... Lahcen fut ami de Feu Noureev et Maurice Béjart le sollicita en 1977 pour diriger une filiale de son école Mudra au Sénégal. Mais Lahcen et Michèle sont alors à cette date décidés à rentrer au Maroc où ils créèrent, en 1978 à Casablanca, une école de danse et l'As116iation Ballet Théâtre Zinoun. Une école reconnue mondialement puisque ses élèves sont recrutés à l'étranger dans les plus grandes compagnies. Les enfants de Lahcen et Michèle sont aussi de grands danseurs, initialement formés par leurs parents. Kaïs Zinoun a dansé quelque temps à l'école Mudra de Béjart avant de remporter en 1988 le Premier Prix Inter110nal de Lausanne et de faire partie aujourd'hui de l'une des plus prodigieuses compagnies du monde, l'American Ballet Theatre de New York, sous la direction du tsar actuel de la danse, Mikhaïl Baryshnikov. Quant au cadet Chems-Eddine Zinoun, il poursuit aujourd'hui sa formation supérieure au sein de l'école d'Anvers.
Lahcen Zinoun est aussi apprécié dans le monde pour ses talents de chorégraphe. Si le Ballet Théâtre Zinoun ne compte que 9 danseurs permanents, il a réalisé des ballets grandioses avec un grand nombre de danseurs de compagnies étrangères engagés ponctuellement. De Bruxelles à Sofia, de Paris à San Francisco, les Zinoun sont célèbres dans les milieux professionnels de la danse avec lesquels ils entretiennent des contacts permanents. Le couple effectue des voyages fréquents en Russie, sa propre technique est d'ailleurs largement influencée par la méthode russe.

La force expressive

Depuis trois ans Zinoun a créé l'As116iation Contretemps organisatrice du Festival Inter110nal de Danse Contemporaine de Casablanca dont il est président, et qui tient dès aujourd'hui jusqu'au 21 octobre sa troisième édition. Cinq pays y participent, avec des compagnies de renommée internationale : le Théâtre de la Danse de Tunisie, Le Ballet de Belgique, la Compagnie Philippe Saire de Suisse, Le Ballet du Nord de France et la Compagnie Cesaroni/Viliani. Les représentations seront données à Casablanca aux Complexes Culturels Moulay Rachid, Sidi Belyout et Touria Sekkat, ainsi qu'à Rabat au Théâtre Mohammed V. Le programme inclut également une conférence-débat sur «La danse contemporaine» de Jean Philippe Van Aelbrouck.
La danse contemporaine incarne de manière privilégiée la force expressive du corps et de la danse. La danse nous fait prendre conscience justement des hautes facultés du corps humain en tant qu'œuvre d'art divine. La danse contemporaine est un cri de l'âme en rapport direct avec la 116iété et l'époque que nous vivons. «Son fond intellectuel se traduit par une expression qui reflète l'état actuel du monde, explique Michèle Zinoun. La danse contemporaine cherche à communiquer des messages, des sensations fortes. Le mouvement y est basé sur l'intériorité du danseur, sur l'idée, sur la force de vibration à livrer au spectateur».
Le Festival nous promet des moments forts, et il n'est pas improbable qu'il fasse naître chez le public la tentation de pratiquer la danse. La danse appartient à notre civilisation depuis ses origines, et il est de la nature de l'homme d'éprouver spontanément le désir de mouvoir son corps sur la musique. Ce désir ne doit pas être réprimé, car la danse est un puissant moyen d'expression.
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