La culture du dialogue dans le Coran
Le thème qu'aborde le professeur Abbas Al Jirari est développé à partir du verset coranique objet de la conférence ayant pour thème : «La culture du dialogue dans le Coran». L'habileté du conférencier est d'une indulgence remarquable. Il a pu tirer de la
Je vais aborder ce thème à partir du verset objet de cette conférence en me fiant à votre indulgence habituelle quant aux erreurs que je pourrais commettre.
J'ai divisé ma conférence en trois parties:
• Dans la première partie, je parlerai du verset dans le contexte du chapitre d'où il est tiré tout en développant ses significations syntaxiques et sémantiques,
• Dans la deuxième partie, j'aborderai les questions qui découlent de ce verset ,
• La troisième partie, elle, concernera la notion du dialogue.
Dieu dit dans Son Livre Saint: «Rappelle-toi enfin quand Abraham demanda au Seigneur comment les morts ressuscitent à son Appel: «Auras-tu des doutes à ce sujet?» dit le Seigneur - «Que non pas ! fit Abraham, mais je veux en avoir le coeur net» - «Prends quatre oiseaux que tu couperas en morceaux; répartis-en ensuite les membres sur quatre monts distincts, puis appelle-les: ils accourront vers toi en toute hâte. Apprends que Dieu est puissant et sage».
Ce verset est le 260ème de la sourate «La Génisse» un long chapitre qui, comme vous le savez, comporte 285 versets selon le recensement de Médine, 286 selon celui de Koufa ou 287 selon celui de Basra. Ce chapitre contient dans le Livre sacré 5 sections (Ahzab) moins le 1/8 qui ouvre le chapitre «La Famille de `Imran».
Notre chapitre est une révélation médinoise sauf le verset où Dieu dit: «Redoutez enfin le jour où vous aurez à comparaître devant Dieu» qui, bien qu'il ait été révélé au mont «Minan» pendant le pèlerinage d'adieu accompli par le Prophète, peut être néanmoins considéré comme médinois, le verset ayant été révélé après l'exode à Médine.
Le chapitre a pour titre «La Génisse» parce que Dieu rappelle à son prophète Mohammad le miracle qui s'est accompli pour Moïse avec le peuple d'Israël à cause du meurtre qui a eu lieu sans qu'on sache qui l'avait commis. Dieu révéla alors à Moïse qu'une vache soit égorgée et qu'on en jette un morceau sur le corps du mort qui ressuscitera alors et révélera le nom de son meurtrier.
Par ailleurs, ce chapitre comporte plusieurs autres récits et de nombreuses normes législatives. Ainsi, y sont narrées la Genèse ainsi que l'histoire d'Adam où Dieu y parle des croyants, des associonnistes et des hypocrites; ce qui fait dire à Ibn al Arabi: «Le chapitre de «La Génisse» comporte mille prescriptions et mille interdictions, mille normes et mille faits». L'importance du chapitre est telle que le Prophète (P.S) exhortait à sa lecture et à la méditation de ses significations au point où il disait: «Toute chose a un point culminant, celui du Coran est bien la sourate de «La Génisse»; ainsi que : «S'en saisir est une grâce, et s'en dessaisir est une détresse». Aussi, les compagnons, que Dieu les bénisse tous, s'empressaient-ils avec fierté pour l'apprendre et en expliquer les nombreuses significations.
Parfois même, de grand poètes de l'époque, comme Labid, un des poètes dont s'enorgueillissaient les Arabes en accrochant leurs poèmes au mur du temple de la Ka`ba, durent abandonner la poésie après audition de cette sourate. A ce poète, le Calife `Omar avait demandé de lui réciter certains de ses vers de poésie, mais il répondit: «Par Dieu ! Je n'ai plus composé aucun vers après que Dieu a voulu que j'apprenne «La Génisse».
Ajoutons néanmoins que même si c'est la 87e sourate dans l'ordre de la révélation, entre «La Famille de `Imran» et «Les Fraudeurs», elle est placée dans le Coran à la deuxième place après «La préliminaire».
Voilà pour le chapitre. Qu'en est-il du verset? «Et quand Abraham dit...» [Wa] (et) employé, généralement pour la reprise ou la liaison, coordonne ce verset à celui d'avant: «...Ce voyageur qui, passant près d'une ville...». [Idh] = (quand) cette copule peut exprimer soit l'instantanéité, soit une explication, soit une circonstance. Dans notre verset, elle introduit la circonstancielle d'une principale elliptique, c'est d'ailleurs le cas de tous les versets dans cette narration, qui commencent de la même manière.
[Ibrahim] : (Abraham), tous ici nous savons qu'il est le père des prophètes et qu'il est le compagnon de Dieu (Khalil); c'est, d'après les historiens, Abraham fils de Tarih ou Tarikh. Pour le Coran c'est le fils d'Azar comme en témoigne le verset: «Abraham dit alors à son père Azar», il en est de même pour le Prophète (P.S) qui dit: «Dieu, le Jour du jugement dernier, ressuscitera Azar pour qu'il rencontre son fils Abraham alors que le père aura le visage couvert de poussière et de boue». Néanmoins, pour les exégèses Azar n'est qu'un surnom caractérisant, car il veut dire en langue canâanéenne : celui qui se trompe.
Abraham, que Dieu le bénisse, est originaire de Babylone en terre d'Iraq, puis il a rejoint la cité d'Ur sur l'Euphrate et de là, la Palestine, puis l'Egypte où il a épousé Sara qu'avait accompagnée son esclave Agar. D'Egypte, il a rejoint le Hijaz ou il a construit le temple de la Ka`ba.
Ce prophète a été mis à l'épreuve à deux reprises. Une première fois lorsqu'il détruisit les idoles et que son peuple païn l'avait jeté au feu; mais le Tout Puissant l'en délivra, d'où le surnom «Khalil» (le compagnon de Dieu ), une deuxième fois lorsqu'il lui fut demandé d'égorger son fils et ce qu'il advint comme événements bien connus de cette histoire.
Rappelons d'autre part que pour le Coran et, d'un point de vue historique, Abraham est un «Hanif» c'est à dire appartenant à l'Islam premier et originel; il était donc Musulman. Ce verset est une partie d'un dialogue entre lui et Dieu.
Abraham ici demande à Dieu de lui donner à voir une vision, une image visuelle.
[Comment tu ressuscites les morts] : (Kayfa = comment) s'emploie en arabe soit pour nier ou s'enquérir, soit aussi pour s'exclamer. Ici elle exprime la manière et introduit un deuxième complément du verbe montrer. Abraham donc ne s'inquiète pas de la résurrection des morts, mais bien de la manière dont elle s'opère.
[Il dit : Est-ce que tu n'a pas encore cru ?] : le [a] de awalam le signe vocalique (hamza) est un adverbe interrogatif déterminatif d'un état, requièrent affirmation. Nous rencontrons cette forme dans plusieurs versets coraniques comme : «Est-ce que Nous n'avons pas purifié ta poitrine ?» ainsi que dans la poésie comme lorsque le poète Jarir dit :
«N'êtez-vous pas les meilleurs cavaliers
El les plus généreux parmi les hommes?».
Cet état déterminé par la «hamza» est néanmoins dénoté par la copule [Wa] elliptique du verbe «montrer», en d'autres termes : [Est-ce que je vais te montrer alors que tu ne crois pas ?]. Certains exégètes ont plutôt opté pour [... alors que tu crois], d'autres par contre expliquent ainsi : [ta foi ne te suffit-elle pas ?]. Cependant, un propos du Prophète (P.S) lève l'ambiguïté en niant toute attitude de doute chez le prophète Abraham puisqu'il y est dit : «Nous sommes plus enclin à douter qu'Abraham», en d'autres termes si le doute devait gagner Abraham, le Prophète (P.S) s'en trouve plus proche et puisque celui-ci n'a point douté, Abraham n'a forcément jamais eu cette attitude. En effet, Abraham ne doute nullement de Dieu et sa foi est toujours restée ferme, mais il aspirait par sa demande à tout autre chose.
[Il dit : «si»] Bala = (si) et non pas oui qui, lui, admet aussi bien une réponse affirmative que négative.
[Si, mais pour me tranquilliser] (mais) introduit la justification apportée par Abraham; il veut se tranquilliser et que son coeur soit apaisé et réconforté par la certitude.
Telle est la quête d'Abraham : un surplus de conviction. Autrement dit, sa foi n'a point fléchi.
Remarquons, Majesté, que le verbe introducteur du discours direct se répète dans ce verset quatre fois sans précision du sujet, ni incise. C'est qu'en effet le sujet est évident dans ce dialogue : Dieu dit ; Abraham dit et ainsi de suite...
[Il dit : alors prends] l'action ici est matérielle et se fait par l'utilisation des sens, elle apporte sa réponse à [montre-moi] qui, elle, est de visu donc tout à fait oculaire.
[Alors prends quatre des oiseaux] «oiseaux» vue la forme grammaticale admet le singulier et le pluriel et les deux genres masculin ou féminin.
Ici néanmoins, il est employé au masculin parce que l'adjectif numéral (Arb`a = quatre) est grammaticalement au féminin; le nom, inversement aurait été au féminin si l'adjectif numéral l'introduisant avait été au masculin.
[Prends 4 oiseaux et coupe-les] le verbe [saha] veut dire incliner ou changer de direction et a aussi le sens de couper. Chacune de ses deux significations se répercute sur le sens du verset comme nous le verrons ci-après. [Min = des] a été utilisé en tant que partitif pour exprimer la partie d'un ensemble comme si Dieu avait dit : prends n'importe quelle espèce d'oiseaux et non pas un genre déterminé.
[Puis répartis sur chaque direction une des parties]. Nous avons ici quatre directions indiquant les 4 points cardinaux sans préférence aucune.
Pour [Juz' = partie] la plupart des lecteurs du Coran préconisent la lecture (Juz'an] mais certains lisent [Juzu'an] et [Juzan] avec ellipse de la «hamza». [Puis appelle-les : ils accourront à la hâte].
[Sa'yan = hâte] est un état. Certains exégètes commentent que c'est l'état d'Abraham. D'autres y croient l'état des parties de l'oiseau. En réalité, et pour que le verset véhicule le sens investi en lui, il faudrait en inférer que ce sont des parties d'oiseaux découpés en morceaux qu'Abraham interpelle et qui sont ressuscitées entier.
Car au fond, la morale du verset c'est le pouvoir divin de la résurrection.
[Apprends que Dieu est puissant et sage] rappelle donc, la puissance de Dieu qui accorde et retire, comme il l'entend, la vie...
Passons maintenant, Majesté à la deuxième partie de la conférence et où je voudrais aborder certaines questions que soulève le verset de départ. Je m'arrêterai donc à trois questions :
Première question : Elle concerne le fait de ressusciter les morts, donc la résurrection.
C'est là une question qui a de tout temps préoccupé l'esprit de l'Homme. Cependant, le Coran a tranché le problème dans plusieurs de ces versets comme lorsque Dieu dit :
«Du mort, Il fait surgir le vivant. Du vivant, Il fait sortir le mort».
(Les Byzantins, V : 19)
ainsi que :
«Vous ayant créé de terre, Nous vous y ferons retourner, et d'elle nous vous ferons sortir une fois encore».
(Taha, V : 55).
Le Livre Saint allait apporter la preuve de la résurrection et de la capacité de Dieu à faire renaître les morts d'une manière qui se veut simple, le fait étant bien sûr évident comme lorsqu'il dit : «Qui donc fera revivre les ossements alors qu'ils sont poussière ?» A cette question simple une réponse aussi simple : «Répond-leur : Celui-là les fera revivre qui les a produits la première fois, celui qui détient la science de toute création».
En dépit de cette évidence, la question est demeurée posée pour les hommes de science, les penseurs et les philosophes. Le cadre de cette conférence n'est pas pour qu'on s'étende sur ce problème, mais voyons néanmoins certains exemples.
Ainsi, Al Farabi, un philosophe musulman ayant subi l'influence d'Aristote, de Plotin et des néoplatoniciens qui tous croient en l'importance de l'âme et en son éternité, juge que seules les âmes ressuscitent sans les corps. Il a même été plus loin en soutenant que Dieu ne ressuscitera que les bonne âmes en dehors des mauvaises âmes.
Certes, pareilles affirmations ne pouvaient passer inaperçues, c'est pourquoi certains penseurs musulmans comme Ibn Tofeïl et Ghazali, dont l'attachement à la vision musulmane est évident, ont remis en question ses conceptions. Ibn Rochd (Averoès) le grand philosophe de l'Occident musulman, a tranché cette question en répondant à Al Farabi que l'important était de croire d'abord en la résurrection et que son «comment» relève de l'effort intellectuel (Ijtihad) et de l'interprétation (ta`wil).
En définitive, dans notre verset comportant un dialogue entre Dieu et Abraham, le Coran a apporté la preuve matérielle de la résurrection en la transformant d'une question abstraite et déductive à une question expérimentale utilisant les sens et ce qui est palpable. Ceci donc est la première question.
Deuxième question : elle découle, Majesté, de la quête dans notre verset, de la certitude. Ce prophète a foi en Dieu, mais voudrait parvenir à la Vérité et à la conviction qui le réconforte dans sa foi et qui n'admet ni doute ni trouble.
La vérité chez les théologiens dogmatiques est unique et ne peut être démantelée.
Elle a besoin de sa preuve et de son argument. Cette preuve qui est généralement rationnelle, divine ou abstraite ne peut s'établir que par l'intuition. Dans notre verset, elle est sensible et palpable et réalise pour Abraham ce que les logiciens nomment «la perception matérielle et avérée», d'où résulte la validation de cette vérité.
La vérification par la vision oculaire, comme c'est le cas pour Abraham, que le salut soit sur lui, dépasse de loin les autres formes de validation comme celle qu'on opère par analogie et celle à laquelle on parvient par la preuve de la raison.
La première validation n'est dépassée en effet que par celle de la vision extatique où on parvient à la vision du Vrai (Dieu Tout Puissant).
Ainsi Abraham, grâce à cette conviction, est parvenu à l'évidence rationnelle qui, elle, représente dans la méthode de Descartes l'un des principes premiers qui mène à la précision dans le raisonnement mathématique.
Troisième question : Abraham ayant la foi, n'étant point gagné par le doute et ne recherchant que la Vérité, il en découle la question de savoir si la foi augmente et diminue.
Cette question a été abordée par les théologiens, surtout ceux qui s'intéressent à l'unicité de Dieu. Tant pour le Coran que pour la Sunna (pratique du Prophète), la foi peut augmenter et diminuer. Ainsi nous trouvons des versets tels que : «Les vrais croyants sont...., ceux dont la foi redouble à l'audition du texte sacré». «C'est Lui qui emplit d'un réconfort apaisant le coeur des croyants pour accroître en eux la foi». Au Prophète (P.S), a qui on avait posé la question, celui-ci affirma : «Certainement, la foi augmente et diminue».
(à suivre)