Le Monde : Un premier Festival chargé d'enjeux
Le 1er Festival international du film de Marrakech a eu lieu du 28 septembre au 2 octobre. La compétition opposait neuf films, soumis à un jury présidé par la comédienne Charlotte Rampling, et s'accompagnait d'une série d'avant-premières. La création d'un
Le royaume accueille près de 700 tournages par an en incluant les films publicitaires. La valeur ajoutée en termes de création d'emploi est considérable pour le pays. Les attentats du 11 septembre ont chargé la manifestation d'enjeux géopolitiques dans cette terre musulmane. Son maintien a été présenté comme un acte d'affirmation politique, le festival se voulant un échange entre civilisations.
Tout aurait pu se passer paisiblement pour le 1er Festival international du film de Marrakech, qui s'est déroulé du 28 septembre au 2 octobre.
Une compétition, composée de neuf films - parmi lesquels Inch'Allah Dimanche, de
Yamina Benguigui, Mona saber, du Marocain Abdellaï Laraki, ou Mirror Image, du Taïwanais Ya-Chuan Hsiao - soumis à un jury présidé par la comédienne Charlotte Rampling, et une série d'avant-premières comme Hannibal, de Ridley Scott, Le Placard, de Francis Veber, Le Journal de Bridget Jones, de Sharon Maguire, annonçaient une manifestation festive destinée à émettre des signaux positifs en direction de l'Europe, et surtout des Etats-Unis.
Le Maroc accueille près de 700 tournages par an si l'on inclut les films publicitaires. La valeur ajoutée en termes de création d'emploi est considérable pour le pays, et la création d'un festival international de cinéma lui apportait une crédibilité alliée à un nouvel instrument de communication.
«A l'origine, l'opération était faite pour séduire l'industrie américaine», affirme Daniel Toscan du Plantier, président du festival.
Puis sont arrivés les attentats du 11 septembre, dont l'onde de choc devait forcément se faire sentir sur un festival organisé au Maghreb. «Je voulais tout arrêter le 12 septembre, reconnaît Daniel Toscan du Plantier, mais c'était hors de question pour la chancellerie du roi du Maroc.» La nature du festival se trouvait néanmoins radicalement changée. Les Américains annulaient immédiatement leur venue, en grande partie à cause des assurances, qui refusaient de prendre en charge tout voyage à l'étranger.
Le Festival de Marrakech se chargeait subitement d'un enjeu géopolitique et économique, d'autant plus que s'y ferait sentir une nette présence française. Le festival ne se définissait plus seulement comme le fer de lance du cinéma du Maghreb et du Moyen-Orient, avec l'ambition de faire du Maroc, selon les vœux de Souheïl Ben Barka, directeur général du Centre cinématographique marocain, la deuxième industrie cinématographique du monde arabe après l'Egypte. Il devenait le symbole d'un islam tolérant.
«Le festival a été conçu sans la donnée du 11 septembre, avance Sarim Fassi Fihri, président de la Chambre marocaine des producteurs de films. Non seulement il n'a pas été annulé, mais il y a eu un mouvement de solidarité. Nous sommes dans un échange civilisationnel. Cela coulait de source avant le 11 septembre, et après tout le monde a pris une claque. Les gens au Maroc se sont sentis au début écartés par le festival. Mais dès qu'on a dit que les professionnels marocains y seraient associés, les choses ont changé. Il se disait au début qu'on organisait sous les palmiers un festival parisien.»
«UN PEU PLUS DE SUBSTANCE»
Les événements du 11 septembre étaient dans l'esprit de tous les festivaliers. Ils étaient naturellement évoqués pendant la soirée d'inauguration - lors de laquelle était présenté Silence... on tourne, de Youssef Chahine (sortie en France le 12 décembre) -, où la tenue d'un festival à Marrakech était implicitement présentée comme un acte d'affirmation politique qui dépassait largement le cadre du cinéma.
Les attentats à New York et à Washington devenaient aussi l'enjeu d'un des colloques organisé par le festival, intitulé «Le cinéma pour quoi faire ?», où le réalisateur tunisien Ferid Boughedir faisait remarquer que «le festival se tient courageusement à un moment où l'on dit que l'affrontement Est-Ouest a été remplacé par l'affrontement Nord-Sud».
Ce contexte, qui offrait une nouvelle raison d'être au festival, semblait lui accorder les faveurs de plusieurs journalistes marocains qui estimaient que, malgré ses défauts, la manifestation devait susciter la solidarité. Ni le retard des projections, pouvant atteindre plusieurs heures, ni sa dimension festive et trop parisienne selon certains, au risque d'exclure la population locale, n'apparaissaient comme rédhibitoires.
«On est passé d'un festival qui aurait pu être paillettes à un peu plus de substance, estime André Azoulay, conseiller du roi Mohammed VI. Les Américains devaient être là à l'origine, mais leur absence n'est pas proportionnelle à leur importance. Le Maroc était devenu une terre d'élection à cause des tournages. Dans l'hystérie islamophobe, on se dit que les choses sont peut-être plus compliquées qu'on a voulu le croire. Le Maroc est un pays arabe, musulman, à 10 minutes de l'Europe et qui s'intègre au Moyen-Orient. Ce festival est une formidable plate-forme pour que la communauté internationale découvre le cinéma marocain.»
Encore balbutiant - huit ou neuf films marocains sont produits par an -, le cinéma marocain espère passer rapidement à une quinzaine de longs-métrages par an. Le Festival de Marrakech devra s'appuyer sur une bonne santé de la production locale pour maintenir son assise.