Fête du Trône 2006

Le soufisme à Tadla au XVIe siècle

10 Décembre 2001 À 16:26

A l'entrée du cimetière de la petite ville d'Oued-Zem, penchée sur une colline de basse altitude, se trouve une modeste coupole.
Le tombeau, sans aucun luxe, est pourtant celui du saint-patron de la bourgade située sur l'Oued du Lion (Oued-Zem, de «izem» qui signifie «lion» en berbère).
Devant le sanctuaire se dresse une mosquée presque à l'abandon. Avec un puits à côté, l'ensemble a tout de même, à tour de rôle, l'attention d'un couple qui vit dans l'une des vieilles maisons avoisinantes.
Bon gré, mal gré, la mémoire de Sidi Abdelaziz est honorée, lui qui a vécu il y a quatre siècles, dans l'ascétisme.
Un ami originaire de la localité m'avait raconté il y a déjà plusieurs années : «Sidi Abdelaziz avait été vu en rêve avec visiblement une mine triste. Il a dit à son interlocuteur : "Ce n'est pas parce qu'on ne me fête pas au moussem, que je suis triste. Loin de là, je suis triste parce qu'on néglige l'eau et le bois sec». Le sens de ce rêve est que les prières quotidiennes sont délaissées, l'eau étant le symbole des ablutions, et le bois le moyen pour la chauffer . Mais à part cette parabole, aucun élément n'est à notre disposition pour cerner davantage la personnalité de Sidi Abdelaziz, si ce n'est qu'il est un des frères de M'hammed Cherki, dit Bouabid, le fondateur de la zaouiya cherkouiya.
Fondation de la zaouia
Le père Belkacem Zaâri n'est pas moins connu que le fils M'hammed, puisque son oratoire est jusqu'à nos jours visité sur la rive d'Oum Er-Rabiï à Tadla.
Après avoir appris le Coran entre les mains de son père, adepte du Cheikh Tebbaâ à qui il rendait souvent visite à Marrakech, M'hammed est envoyé à la zaouiya «Dir» au pays Dai qui sera connu plus tard sous le nom de Béni Mellal. Aux côtés de son contemporain et camarade de promotion Sidi Ahmed Ben Belkacem Saoumaï, il apprendra la science de l'époque auprès de deux maîtres : Saïd Othman Amesnaou et Sidi Ali Ben Brahim El Bouzidi.
Une première zaouiya est construite par Bouaâbid devenu l'héritier et le successeur du père, dans un site qui ne garde plus que le souvenir de ses cinq fils (Rijal al Miaâd) qui seront emportés par la maladie. Le professeur A. Boukari, dans son étude sur la zaouiya cherkaouiya, donne d'amples informations sur ce sujet. La fondation de cette zaouiya, dès le départ, devait à coup sûr, répondre aux aspirations du fondateur et à son statut. M'hammed Cherki, fin lettré et fortuné entretenait de très bons rapports avec les Saâdiens et par la suite avec le Sultan Moulay-Ismaël.
Ahmed El Mansour Ed-Dahbi l'avait invité pour assister à l'inauguration du palais "Al-Badii» à Marrakech. Bouaâbid, l'homme providentiel, aux vertus certaines, se voulait sans égal.
Complémentarité
Durant plus de trois siècles, le rayonnement religieux, scientifique et culturel de la zaouiya cherkaouia allait se répandre alors jusqu'à Fès, jalouse de sa réputation. Avec la disparition de la zaouiya «dilaïya», la tâche de la première devient encore plus importante dans la région pour recueillir élèves, visiteurs et professeurs. Le bon niveau de l'enseignement, des différentes disciplines, allait même marquer de bons points (son apogée) durant la succession indirecte du Cheikh M'hammed par Mohamed Es-Salah, son fils Mohamed El Maâti et son petit-fils Mohamed El-Arbi.
Le séjour du célèbre historien «El Ifrani» et le médecin «Benchekroun» est d'autant plus une preuve que la zaouiya n'était pas fermée sur elle-même, bien au contraire, elle procédait à des échanges avec d'autres zaouiyas (naciriyas, dilaïas, fassiyas, etc.)/
A la base d'un tel succès, il faut bien louer les rôles joués par les responsables des biens de la zaouiya et de ses finances (dépenses pour l'accueil et les repas des élèves et des visiteurs).
De Fès, Bensouda Taoudi, futur Alem, avait pris son bâton de pèlerin pour aller à la rencontre du Cheikh Mohamed El Maâti, auteur du célèbre ouvrage «Dakhira». Des jeunes Chekaouis se sont déplacés pour apprendre et consolider leur savoir à Fès en particulier. En définitive, de nombreux adeptes et élèves lauréats de la zaouiya allaient marquer l'histoire religieuse, sociale et soufie du pays, notamment :
- Mohamed ben Abi Bakr ben Mohamed ben Saïd Dilaï, né vers 1559, a fait également le tour des Chioukh de l'époque : Abdellah ben Hassaïn (Salé) et Sidi M'hammed El Moubarak (Tessaout - Moulay Bouazza).
- Abou El Abbès Ahmed ben Abdellah («Abi Mahalli» avait rassemblé une armée contre El Mansour Saâdi qui avait, dit-on, livré Larache aux Espagnols.
Après avoir occupé Marrakech, il finira tragiquement en 1614.
- Abou Mohamed El Hafiane Rotbi Sijilmassi, enterré à salé.
- Ahmed ben Belaïd "Ben Khadra», disciple du Cheikh Abdessalem ben M'hammed Cherki. Son oratoire est un des plus visités à Meknès.
- Sidi Kacem «Bouaâssria» qui avait constitué une zaouiya à une cinquantaine de kilomètres de Moulay Idriss Zerhoun. Il aurait laissé après lui disciples et confréries.
- Sidi Ali ben Mohamed ben Hamdouche (un Chérif alami aâroussi). Il avait vécu tout d'abord à Fès avant de fonder sa propre zaouiya, dans les environs de Moulay Idriss Zerhoun.
- Sidi Ali Ben Hamdouche était un «mejdoube» très sensible à l'écoute de la musique et des chants religieux. M'hammed Cherki serait notamment l'auteur de ce chant religieux récité jusqu'à nos jours dans les cercles soufis et qui commence ainsi :
«Ana Mali fayache, Ache Aaliya Menni
Naklak men rezki lache, oul khalek yarzekni»
Qu'on peut traduire comme suit :
«Pourquoi suis-je si inquiet, que puis-je faire de moi-même?
Pourquoi me tourmenter, pour ma subsistance, alors que c'est mon Créateur qui pourvoit à mon existence».
M'hammed Cherki, mort en 1602, laisse un impérissable souvenir.
En récompense à sa foi, Dieu perpétuera sa mémoire dans le cœur du Tadla et au Maroc, terre de prédilection des Saints.
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