Spécial Marche verte

Les terribles vérités d'un enfant des rues de Danilo Casti

«J'm'appelle Mehdi. Je crois que j'ai douze ans, mais j'sais pas très bien.
>«Qu'est-ce qui faut dire encore? Où j'suis né? J'sais pas. Ma mère, elle m'a pas dit. J'm'en souviens pas.

23 Décembre 2001 À 18:36

«C'était à la campagne, y avait de la neige et il faisait froid. Ici, c'est bien, y fait jamais froid. J'aime bien. C'est pour ça que je reste. A cause du soleil. Des fois j'entend les gens dire qu'y faut la pluie. Moi, j'aime pas la pluie. On trouve rien à manger. Les gens courent, y te voient même pas. Pour dormir, y faut se mettre d'accord avec d' autres...
«Pourquoi ? Parce que les places les mieux sont prises, tiens. Tu connais pas!»
C'est avec ces mots d'enfants à la fois simples et naïfs que le récit du petit Mehdi s'égrène tout au long de ce livre pour nous raconter son calvaire d'enfant des rues.
Il a fallu beaucoup de tact et de patience pour amener Mehdi à accepter de parler, nous apprend le narrateur qui intervient rarement, mais de manière opportune comme pour nous soustraire au rythme haletant dans lequel la lecture de ce témoignage terrible nous plonge. Pour donner aussi un semblant d'ordre au récit parfois cahotique du petit afin de faciliter la lecture et nous éclairer sur les circonstances des enregistrements étalés sur plusieurs séances.
En fait de narrateur, il s'agit vraissemblablement de Danilo Casti lui-même qui , semble-t-il, a suffisamment connu le petit Mehdi pour gagner sa confiance et l'encourager à livrer son secret à un magnétophone mis à sa disposition dans son propre bureau. C'est du moins ce que nous apprenons au cours de ce récit digne d'une tragédie dantesque.
Né en 1951 à Casablanca, Danilo Casti est psychologue-clinicien, mais également un homme de terrain en tant que travailleur 116ial en contact direct avec la réalité de la vie des enfants des rues.
L'histoire de Mehdi ressemble à celles, nombreuses, de tous les enfants abandonnés qui trouve refuge dans la rue. De père inconnu, d'une mère souvent absente, Mehdi a eu dès le départ la vie que la 116iété réserve à ce qu'elle considère comme des «enfants du pêché». Mépris, brimade, violence verbale, étaient son lot au quotidien: «Je suis allé à l'école coranique. C'est là que j'ai compris que je suis l'enfant du crime. Mais je sais pas quel crime!»
Pourtant il aurait pu avoir une vie normal. Adopté à six ou sept ans par un couple de villageois sans enfants, Mehdi a vécu intensèment durant quelques années, cette amour parental dont tout enfant a besoin. Il en gardera par la suite le souvenir d'un paradi perdu. Ce paradi aurait pu duré si ce n'était la méchanceté née de préjugés archaïque que l'injustice 116iales favorise .
Une première vérité se dégage de ce témoignage poignant d'unenfant que la 116iété a jeté dans la jungle de la rue: un enfant abondonné à lui-même, est d'abord un enfant d'une injustice qui n'a jamais été réparée. Ce n'est pas la pauvreté ou l'irresposabilité qui gnèrent de la manière industrielle que l'on sait, le gros des effectifs des enfants des rues, c'est bel est bien l'iniquité de la justice fondée sur une culture obsolète qui fait de la femme une éternelle mineure qui est à l'origine du mal. Au fond c'est la place reconnue à la femme et aux enfants dans la famille et dans la 116iété que le petit Mehdi, à son corp défendant, touche du doigt dans son sabir d'enfant.
C'est à la suite d'une injustice, notamment l'abus de pouvoir d'un notable du village, que le petit Mehdi, après la mort de son père (adoptif), a pris le chemin de la rue. Une femme seule n'anormalement Fini le paradi désormais, c'est la descente aux enfers qui commence pour ne plus en finir. De maison de correction en centre pour enfant, la vie du petit Gavroch marocain est un fleuve de larmes et de douleurs. Famine, froid, saleté, violence, mépris, viol, prostitution, séquestration seront son lot au quotidien. On apprend bien des choses de la bouche d'un enfants sur les adultes, des compatriotes comme des étrangers, particulièrement, des Saoudiens particulièrement versés dans le tourisme sexuel.
D'autres personnages sont évoqués dans ce récit, tous des enfants victimes des mêmes maux, qui se retrouvent dans la rue. Ils s'appelle Rachid, Zohra, Omar, il ont la même histoire, le même vécu, la même souffrance et le même espoir: en finir avec ce calvaire et retrouver une vie normale.
Et c'est la seconde vérité que nous offre la lecture de ce texte fort qui interpelle notre conscience et notre humanité: Se retrouver dans la rue n'arrivent pas qu'aux enfants des autres. tout un chacun, quelque que soient l'idée qu'il se fait de lui-même peut, à la suite d'un drame, d'une injustice mal réparée, exposer ses enfant à l'abandon et à la férocité d'une 116iété où l'enfant n'a pas de place.
La troisième vérité que le petit Mehdi met en évidence c'est que l'enfance des rues n'est pas une fatalité, une sorte de prix à payer au nom d'une logique de perte et profit.
Un enfant dans la rue, un seul, est un enfant de trop.
Merci Mehdi de nous apprendre ses vérités.
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