L'humain au centre de l'action future

"Le complexe du hérisson" de Habib Mazini

Dès les premières lignes, Habib Mazini, plonge le lecteur dans les profondeurs nauséabondes des bidonvilles de Casablanca. Le décor planté, l'auteur brosse le portrait des personnages, des laissés-pour-compte, vivant au jour le jour et rêvant de richesse

21 Novembre 2002 À 16:48

Les personnages du dernier roman de Habib Mazini représentent les stéréotypes d'une société en décomposition, à la recherche de ses valeurs et de son identité. La métropole qui vomit, chaque matin, son lot de miséreux, les paysans qui vendent leur petit lopin de terre et viennent s'exiler en ville, les petits malins qui s'enrichissent au détriment des ingénus, les mafieux qui pullulent, les forts qui broient les faibles sert de toile de fond à un roman à l'humour caustique…L'auteur croque allègrement des scènes du quotidien, s'aventure au fin fond des bidonvilles, des boîtes de nuits et dans les arcanes des campagnes électorales. Tout un monde de misère, d'argent facile, et d'escroquerie se dévoile. Habib Mazini n'y va pas de main morte. Ses descriptions sont criantes de vérité. Ses critiques avérées.
Tout d'abord, il y a Bachir, le jeune homme à la mine repoussante mais doté du don de ventriloquie, qui refuse toute compromission, ses deux frères Brahim et Ziad, qui vont devenir, en un laps de temps relativement court et grâce aux affaires douteuses, de gros bonnets véreux, tant en politique que dans le monde des affaires. «Depuis qu'il est à Casablanca, il récolte les mauvaises surprises. Les gens rivalisent de bassesses et de tricheries pour atteindre de piètres fins. Sans gêne, ils exhument leurs sombres instincts, monnaient leur dignité, revendiquent fiévreusement de douteuses conduites». Dans la vie de Bachir, il y a bien sûr un avant et un après. Avant, il vivait heureux, loin de Casablanca et des malheurs. Après, la vie sera dure. Ce sera un combat permanent pour survivre. Un drame avait, en effet, dispersé sa famille, jadis unie et heureuse. La faillite de l'élevage familial, la mort brutale de la mère et aussi et surtout sa ventriloquie que d'aucuns considèrent comme la source de tous les malheurs.
«Son père voyait en lui un enfant habité par le diable et le rendait responsable de l'échec de son commerce. Comme pour le punir, après le drame, il a disparu pour soi-disant se repentir, sans se soucier de son devenir. De son côté, Ziad s'érige en donneur de leçon, prône la solidarité mais refuse d'aider son frère. Bel exemple qui ajoute l'hypocrisie à la mauvaise foi. Quant à Brahim, il ne lui voue que mépris. Bachir en a assez d'être leur bouc émissaire».
Porteur au marché, Bachir a un seul espoir : monter un jour sur scène, faire partager son talent aux autres.
De rares occasions se présentent. Mais la grande scène et un véritable public se refusent inexorablement à lui. Entre temps, la vie suit son cours dans le bidonville. Les jeunes filles ont trouvé la solution pour échapper à leur condition en exerçant le plus vieux métier du monde, les parents ferment les yeux et les jeunes ne rechignent pas à tremper leurs mains dans de sales besognes. Sauf Bachir. Même Brahim parvient à se hisser aux sommets en réussissant à se faire élire député. Il avait promis monts et merveilles aux bidonvillois.»L'honnêteté érigée en rempart contre toute compromission, la fierté en bandoulière, Bachir tempête contre le mode de vie de ses frères et de leurs acolytes». Le dénouement sera fatal pour les protagonistes, surtout les laissés-pour-compte d'entre eux. Dans leur désir de s'enrichir encore plus, Brahim et Ziad ont monté un projet immobilier et cherchent, par tous les moyens, à exproprier les habitants du bidonville. Bachir réusit à avoir finalement sa scène. Mais le sort s'acharne sur lui, puisqu'au cours de cette nuit de reconnaissance publique de son talent, le bidonville brûle. Des mains meurtrières y avaient mis leur feu. Ayant perdu tout leur bien, les bidonvillois, déjà suspicieux à son égard, s'en prennent violemment à Bachir, le frère des deux principaux suspects, ceux qui ont voulu monter un projet immobilier flambant neuf à l'emplacement du bidonville et qui cherchent à leur vendre des appartements. Battu violemment par toutes la populace, devenue hargneuse et vindicative, Bachir échappe enfin à ce corps tout à la fois hideux et animé de baraka. La mort devient la seule échappatoire pour les bienheureux et les honnêtes gens.
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