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Causerie de poésie et de peinture: un musée portatif

Un poète, Abdellatif Laâbi, et un peintre, Abdallah Sadouk, se racontent l'Orient, les voyages, l'exil. De riches souvenirs, oeuvres d'art au beau vécu réunies dans «Musée portatif», présent à la Galerie Al Manar à Casablanca.

25 Septembre 2002 À 17:38

Un poète et un peintre se rencontrent dans un musée portatif. Ils se racontent de longs voyages, leur vie nomade, leur nostalgie de l'Orient ou plutôt son imminence en eux, un Orient, tout comme le musée, portatif. Un Orient porté inéluctablement en eux malgré l'exil, malgré l'inclination cosmopolite, contre vents et marées ; transporté en leurs coeurs, en leur esprit, en leur force de création. C'est sans doute ce qui les guide vers l'universalité. Abdellatif Laâbi, le poète, et Abdallah Sadouk, le peintre, chérissent les oeuvres d'art qui peuplent le musée bohémien, celui-là même qui sculpte le paysage intérieur de chacun des deux artistes. Un décor exquis et vivant où chaque élément ne fait pas simplement partie du décor, mais incarne la beauté d'un vécu, la tendresse, une étape, un point de repère dans les pérégrinations. Ils content, ils content, les deux compères, et ils ne sont pas du genre à passer dans un endroit familier sans le regarder ; bien au contraire, ils prennent le temps d'en savourer chaque jour la beauté, fraîcheur du regard apte à percevoir celle de l'objet chaque jour nouveau. Plus l'objet est ancien, plus il évoque le passé avec force, et fraîcheur chaque jour nouveau. Car ce musée est familier, on ne le visite pas
quelquefois mais quotidiennement dans sa croisière, il est le bagage le plus précieux.
«Musée portatif», tel est le titre du livre d'art poésie/peinture où Laâbi «peint» ses poèmes et Sadouk «écrit» sa peinture ; édité par Al Manar et présent à la Galerie du même nom à Casablanca. Il accompagne l'exposition de Sadouk qui se tient à cette galerie Al Manar jusqu'au 30 septembre.
Le poète et le peintre font l'apologie de ces oeuvres d'art dont la valeur est inestimable parce qu'elle est chargée de valeur affective. En préface du livre, Françoise Ascal écrit: «Paysage intérieur, donc, (...). Dessiné par l'amour, l'amitié, les rencontres, l'attention portée à la beauté la plus humble comme à la plus singulière. (...). Fait de bois, de cuir, de clous, de laine, d'ivoire, de bronze, de papier, d'encre ou de terre. Fruit d'un savoir traditionnel d'artisans ou né de la quête solitaire d'un artiste».
Boîte à musique

Le poème de Laâbi cristallise le long périple de l'objet comme en quelques notes sur un luth, d'un air majestueux, lyrique et qui s'éteint en laissant d'intenses échos. La peinture de Sadouk vient comme une contrebasse, à la fois avec gravité et douceur, complice, prolongeant la résonance.
Le musée portatif est aussi boîte à musique. Musique de chambre. Ils chuchotent, les deux amis, se souviennent, s'émerveillent...
L'encrier charrie son bleu depuis l'Al-Andalus, rescapé de l'autodafé, Sadouk le fait apparaître comme une citadelle, les ciseaux et stylos y sont comme «Des oiseaux métalliques».
Laâbi n'aimerait pas que l'on dissèque son poème, mais les ciseaux étaient là. Chaire, mihrab, trône, c'est la «Chaise de circoncis». Objets monuments, comme cette étagère à niche qui se fait temple. Les peintures sont en noir et blanc, aquarelles lumineuses qui se diluent comme dans un rêve.
Dans d'autres poèmes il peint Kacimi, Gharbaoui, Saladi, Miloudi, Chebaâ, Mahdaoui, toiles accrochées au musée. Puis un bonhomme chinois «échoué sur la table», ... Les portraits de la mère et du père, les empereurs du musée.
Il évoque l'école coranique, le grand bâtisseur de la mémoire, la formation dont rayonne toujours la «baraka», quoi qu'il dise. Le soleil «jaune», or, éclatant, rayonne toujours.
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