Décès du violoniste El Ghazi : la condition de l'artiste en question
Un illustre artiste marocain, le violoniste le plus virtuose et le plus grand soliste du monde arabe, reconnu comme tel par sa «grande famille artistique marocaine» et par les milieux artistiques arabes et occidentaux de haut niveau, vient de perdre la vi
LE MATIN
03 Octobre 2002
À 18:11
Gratifié par un talent exceptionnel, il a acquis une haute formation en musique classique occidentale et en musique orientale dans des écoles prestigieuses, tant au niveau du violon que de la théorie musicale. Son apport à la musique marocaine et arabe est immense. Il travaillait dans la discrétion, inconnu du public, n'était aucunement préoccupé par la célébrité. Il était aussi remarquable par ses hautes vertus, sa noblesse d'âme. Tous ses proches, famille, amis, artistes, sont inconsolables. Tous ses amis artistes se sont engagés naturellement à agir promptement pour réunir tous les moyens à même d'assurer l'avenir de sa famille sans ressources, une jeune épouse au foyer et trois enfants dont un nouveau-né. Hommage aussi à ce groupe d'artistes qui ne se soucie actuellement que d'apporter soutien et affection à la famille du défunt tout en ne cessant de glorifier sa mémoire, de rappeler sa fierté et le fait qu'il n'a jamais rien demandé à personne.
Ce drame leur a fait prendre conscience de manière plus aiguë de la condition de vie précaire, de l'insécurité économique liée à la profession d'artiste de haut niveau au Maroc. Ils ont décidé de créer une association qui portera le nom du maestro Mohamed El Ghazi et qui aura pour mission de défendre les droits et intérêts des artistes.
Le plus éminent violoniste reconnu du monde arabe, virtuose et grand théoricien de la musique, originaire de Tétouan, vient de trépasser à l'âge de quarante-deux ans. L'illustre Mohammed El Ghazi, que Dieu ait son âme, n'avait pas les moyens financiers de se faire convenablement soignerd'une maladie cardiaque. Sa « famille artistique » qui connaît sa valeur et son immense apport à la musique marocaine, le pleure à chaudes larmes et s'organise pour assurer l'avenir de sa famille.
Un illustre artiste marocain, un génie du violon, le plus magistral du monde arabe, de l'avis de nombreux connaisseurs, vient de rendre l'âme dans la fleur de l'âge, dans la gêne financière qui l'empêcha de se faire convenablement soigner ; dans la plus grande discrétion aussi, car il était pratiquement inconnu du public, mais pour sa grande famille, la famille artistique qui le pleure à chaudes larmes, c'est une énorme perte que viennent d'éprouver la musique marocaine et arabe, et c'est aussi une merveilleuse personnalité, sur tous les plans, qui vient de la quitter. Des artistes, des musiciens extrêmement affligés d'avoir perdu un des plus chers amis, un maestro inégalable, un violon qui dirigeait tout orchestre de haut niveau, aussi bien en musique classique occidentale qu'en musique orientale, un soliste au talent et à la sensibilité infinis. Car le grand Mohammed El Ghazi, que son âme repose en paix auprès du Tout-Puissant, n'était pas seulement le plus virtuose violoniste arabe, l'unique concertiste partitionniste et théoricien marocain, il était en même temps paradigme des plus hautes vertus. La discrétion lui était chère, certes, il n'était aucunement préoccupé par la célébrité ou la fortune matérielle.
« Incroyable ce que nous sommes redevables aux musiciens »
Il avait atteint, sans qu'il n'en ait cure, les cimes de cette gloire la plus inaccessible qui soit, silencieuse et imperceptible par le commun des mortels, celle qui donne la lumière sur le visage, la plus exceptionnelle concédée directement par le Très Haut : un don artistique divin d'une rare ampleur, conjugué à une immense noblesse d'âme. Ses exigences étaient au-delà des revendications matérielles. Il recherchait continuellement la perfection de l'art et la perfection de l'âme car il est né avec leurs germes. Mais il voulait aussi faire vivre ses enfants dans le confort, et travaillait avec acharnement pour qu'ils ne manquent de rien. Il y avait aussi sa générosité, le peu qu'il gagnait, il le partageait. Et il avait sa grande fierté... et le refus de l'injustice, la douleur d'y penser chaque jour, la privation, la fatigue accumulée du travail sans répit...
Un jour, à la fin d'un concert donné par le grand maître du luth Saïd Chraïbi, un mélomane, Driss Benhida, s'écria : « Mais les musiciens nous apportent un bonheur immense, c'est incroyable ce que nous leur sommes redevables, et ils ne sont jamais assez récompensés !». El Ghazi dispensait un bonheur incommensurable par son violon…
Tous les proches d'El Ghazi sont effondrés et aussi perplexes devant cette mort «écrite» et pieusement acceptée certes, mais tellement inattendue, foudroyante, «trop bête» car il aurait pu se faire soigner. Perplexes aussi devant le sort de l'artiste…
A quarante-deux ans, El Ghazi est mort d'une crise cardiaque suite à une phlébite qu'il n'avait pas prise au sérieux. Par manque de moyens aussi, il n'a pas pris le temps de consulter un cardiologue pour avoir le traitement approprié et éviter la crise. El Ghazi travaillait d'arrache-pied nuit et jour à Casablanca, pour avoir l'argent qui lui permettrait de fêter la naissance de son troisième enfant, qu'il n'a pu d'ailleurs voir avant sa mort, sa femme ayant accouché à Tétouan, sa ville natale, auprès de sa famille.
A sa mort il n'avait donc pas son épouse à ses côtés, il ne connaissait pas le visage de son dernier-né, le grand violoniste agonisant avait autour de lui ses deux autres enfants adolescents et ses amis artistes qui ont immédiatement intervenu pour le secourir et le transporter à l'hôpital, mais la Volonté Divine fut de le reprendre. C'est Abdelhamid Nejjari, son compagnon au violon qui joue à ses côtés depuis vingt ans, son ami inséparable et son voisin, qui l'a emmené en ambulance à l'hôpital et a contacté tous les autres qui l'ont rejoint aussitôt, mais les médecins n'ont pu qu'attester son décès survenu dès son arrivée entre leurs mains. Ses amis artistes se sont occupés des formalités de sortie de la morgue, après avoir fait venir son épouse, puis sont allés l'enterrer à M'diq près de Tétouan, conformément au désir de la famille. Ils ont ensuite aussitôt entrepris de s'organiser pour trouver les moyens d'assurer à son épouse et à ses enfants de vivre dans la dignité, sans manquer de rien tout au long de leur vie. On ne peut que rendre aussi hommage à ce groupe d'artistes qui ne se soucie actuellement que d'apporter soutien et affection à la famille du défunt tout en réfléchissant et en agissant pour assurer l'avenir de cette famille en ne cessant de glorifier la mémoire du maestro, d'insister sur sa fierté, sur le fait qu'il n'a jamais rien demandé à personne. Ils sont nombreux ces éminents artistes amis d'El Ghazi, inconsolables. « Nous serons toujours aux côtés de sa famille, et ses enfants sont les nôtres », disent-ils. Citons parmi eux la diva Hayat El Idrissi, les violonistes AbdelIlah Miri, Nejjari, le flûtiste Rachid Zeroual, le maestro Saïd Chraïbi, l'auteur-compositeur et ingénieur du son Monsef Adyel, propriétaire du studio d'enregistrement Adyel Music Production (AMP), et l'auteur-compositeur gérant de ce studio Karim Slaoui. « J'ai connu El Ghazi quelques mois après l'ouverture de mon studio, il y a près de 15 ans, dit Monsef Adyel. Je venais de débarquer du Canada (après mes études), hyper naïf, et pour la première expérience professionnelle dans mon studio, je venais aussi de me faire escroquer. Un jour, j'entre au studio et je trouve El Ghazi, avec Mustapha Bartoum, percussionniste et impresario, et Aziz Belmir, claviériste et compositeur. Une grande amitié est née depuis ce jour, nous avons commencé à travailler ensemble, à confronter nos nouvelles méthodes. El Ghazi était devenu pour moi plus qu'un frère, il me conseillait, m'orientait afin que je ne subisse plus de coups fourrés. Il se sentait chez lui au studio, il en avait les clés, il y faisait ses arrangements et ses enregistrements… Il était devenu le moteur du studio au niveau artistique, il y ramenait les musiciens et s'y occupait de tout. S'il ne tenait pas la baguette, il dirigeait tous les musiciens qui « s'appuyaient » sur son violon. Il avait une sensibilité exceptionnelle, des nuances extraordinaires, et demeurera toujours une grande école. Il a obtenu le Grand Prix du Violon dans une grande école espagnole de Tétouan et il a étudié l'harmonie, le contre-point, toute la théorie musicale au Conservatoire de Bruxelles. Il était très fort, sa solide formation classique, son ample technique lui permettaient de jouer à merveille autant Beethoven que la musique tzigane, l'oriental ou la musique andalouse. Il est l'équivalent de Saïd Chraïbi (maître du luth) au violon. Et de plus, comme lui, il était d'une grande bonté, d'une grande sagesse, et d'une modestie sans égales. Il était parfait, autant par sa grande éducation que musicalement ».
«Il avait tant de projets»
Lorsque Monsef Adyel et Karim Slaoui entrent au studio et voient la chaise vide d'El Ghazi, ils ont la gorge serrée. «Il a laissé un vide terrible, en tant qu'ami et au niveau de la musique », disent-ils. Feu El Ghazi leur portait en retour autant d'amitié et d'affection. Et il a donné à son dernier enfant pour prénom Monsef, tant il aimait Monsef Adyel et appréciait en retour ses qualités. Au studio AMP se trouvent quelques enregistrements du défunt que Adyel voudrait éditer en CD dont les revenus des ventes reviendraient à la famille du maestro. « Il faisait toujours des recherches sur sa musique, dit Adyel, nous avions des projets de plusieurs albums». El Ghazi avait commencé un album de musiques de Mohammed Abdelwahab en instrumental orchestré symphoniquement. «El Ghazi avait de grandes ambitions et elles était toujours tournées vers un produit culturel et non commercial, dit Karim Slaoui. S'il travaillait dans certains cabarets, et dans des hôtels, c'était « pour l'alimentaire » et à contre-cœur…Il voulait monter un grand spectacle de musique marocaine qui serait international. Il composait mais préférait effectuer des arrangements, créer des harmonies, de nouvelles phrases musicales, ce qu'il réussissait admirablement. Les arrangements consistent en plusieurs compositions qui tournent autour d'un thème principal, ligne directrice d'une musique symphonique ou d'une chanson. Dans un arrangement les instruments ne jouent pas à l'unisson comme dans certaines musiques traditionnelles, mais chacun d'entre eux joue des phrases musicales différentes. Cela se travaille sur partitions ou sur ordinateur avec des instruments synthétiques avant transposition instrumentale où il est possible de conserver certains instruments synthétiques. El Ghazi a fait des arrangements pour les plus grands noms de la chanson marocaine, comme Hayat El Idrissi, Rajae Benlemlih, Abdelhadi Belkhayat, Fouad Zbadi, etc. … J'ai joué avec lui et sept autres musiciens au Festival de Jazz de Montreux en 1996, se souvient encore Karim Slaoui…La voix de Slaoui est étranglée un moment puis il reprend : « Un artiste comme El Ghazi est un monument ; s'il existait un système social approprié et une protection de la profession de l'artiste, il aurait bénéficié d'une couverture sociale, il aurait touché un salaire très élevé, car il fait partie de l'honneur et de la fierté du pays… Il aurait pu en outre gagner beaucoup d'argent, mais c'était un homme de principes, c'est connu, sa grande correction faisait sa satisfaction personnelle».
Tous les grands artistes ont de nombreux souvenirs avec le maestro dans leur parcours professionnel, et il sera difficile pour plusieurs orchestres de qualité de jouer dorénavant sans El Ghazi. Il s'est produit dans le monde entier, à l'Opéra du Caire très souvent, en Palestine, aux Etats-Unis et en Europe. Dans les milieux artistiques en Espagne, au Portugal où il a donné de nombreux récitals, et dans le monde arabe, il était célèbre et réclamé. Nejjari qui a souvent accompagné le maestro pour des représentations à l'étranger affirme que le chef d'orchestre de l'Opéra du Caire, Salim Sahhab, impressionné par la virtuosité et la connaissance musicale d'El Ghazi a tenté avec insistance de le retenir de manière définitive dans l'orchestre philharmonique du prestigieux Opéra. « Il avait même fait intervenir l'Ambassade du Maroc et on lui avait proposé de mettre à sa disposition un logement dans le chic quartier Al Mouhandissine, précise Nejjari. Mais El Ghazi avait refusé tout cela, désirait travailler et créer dans son pays, faire évoluer la musique et la chanson marocaines. El Ghazi accordait plus de temps à son travail qu'à tout autre chose. Son plus grand plaisir était de répéter, d'écrire des partitions ou de faire des arrangements même lorsqu'il manquait de sommeil. Il avait aussi un grand bonheur à être entouré de sa famille et de ses amis. Il travaillait dans les coulisses, la discrétion… Il avait toute une autre vision de l'art, en concordance avec son extrême sensibilité. Il faut dire qu'il était de petite santé depuis son arrivée à Casablanca. Mais il n'avait ni le temps ni l'argent pour s'en occuper ».
« Il sera toujours présent »
Hayat El Idrissi, quant à elle, a eu une crise lorsque son mari lui annonça la mort d'El Ghazi. Elle a immédiatement été transportée en clinique. Il était très ami avec le couple, venait souvent chez eux et a tout le temps travaillé avec la diva. Le couple l'avait vu la veille de sa mort : « Il était très enthousiaste, parlait de ses nouveaux projets, dit Kamal Bennouna, l'époux de Hayat El Idrissi. Il a vécu dans la douleur et il est mort dans la douleur…». Douleur et angoisse de la précarité, de l'insécurité économique, douleur que lui causait la jalousie de ses ennemis, car il en avait aussi. « Il était trop brillant donc jalousé par les êtres mauvais qui cherchaient à lui opposer des entraves et lui causaient du
chagrin », soulignera Mustapha Bartoum.
« Il a fait les arrangements de toutes mes chansons et les a toutes jouées, dit Hayat El Idrissi. Il était pour moi plus qu'un frère. Il a tout donné à la chanson marocaine et ses rêves pour la musique étaient grandioses mais il n'avait pas les moyens financiers pour les réaliser. Il refusait de jouer avec des artistes médiocres, même si on lui proposait des millions. Tous ses proches amis qui l'aimaient vont créer une association qui porte son nom Mohammed El Ghazi , à sa mémoire, lui qui a fait tant de Hassanat, qui propageait le bien autour de lui ; une association qui assurera aux artistes des conditions de vie honorables. De même, nous ferons le maximum pour que l'avenir de sa famille soit assuré. Nous étions sa grande famille, ceux qu'il aimait, son âme sera toujours présente parmi nous, ses conseils, son école ».