Elite, gouvernance et gestion du changement
Le GRET, fidèle à sa tradition de débat sur des thèmes de prospective et de changement, organise pour cette année en collaboration avec la Fondation allemande Hanns-Seidel et l'UFR des Sciences Administratives de la Faculté de Droit de Rabat un colloque E
Il faut d'abord souligner cette évidence que toute société a besoin d'élites qui les secrète et les forme avec des méthodes qui lui sont propres, et ces élites jouent un rôle dans son mode de gouvernance. La différence étant autrefois entre une élite fondée sur la naissance et élite issue des systèmes de concours et de recrutement. Ce système étant largement dépassé et la différence se fait aujourd'hui entre société à élites larges, développées, relativement faciles d'accès, et élites plus fermées, moins nombreuses et formées selon un schéma modelé à l'avance selon les systèmes de formation et de recrutement.
Ce système est aussi en perte de vitesse ; car dans ce monde de la complexité et de l'interdépendance, il est indispensable de disposer de responsables d'origines diverses pour permettre la concertation des points de vue et d'expérimentation.
Nous devrions prendre en compte une nouvelle donne : c'est que le pouvoir repose aujourd'hui sur de nouvelles ressources, de nouveaux référentiels et de nouveaux mécanismes de gestion. D'une source traditionnelle fondée sur la violence et l'argent, le pouvoir se forge une nouvelle assise, le savoir et plus particulièrement le " savoir du savoir ” selon la formule d'Alvin TOFFLER.
Cette évolution des fondements de la puissance va profondément affecter les équilibres en place, la configuration traditionnelle des élites et des hiérarchisations politiques, tandis que les individus, les entreprises, les élites, les technocrates, les experts se disputeront le contrôle de ces nouvelles sources de pouvoir. La société contemporaine évolue vers de nouvelles formes d'organisation sociale beaucoup plus diverses qui exigent de la compétence et du professionnalisme. Les élites sont obligées de s'y adapter.
Cette mutation, assumée ou subie, nous impose de faire une relecture de notre système des élites pour savoir si elle est en mesure d'agir et d'accompagner les changements en cours, si elle est capable de se renouveler et de se relégitimer pour mieux agir sur la société. Partout, au Maroc et ailleurs, le système des élites est en crise et à travers elles c'est la société toute entière qui est menacée de déstructuration.
Les fondements de la bonne gouvernance
Quelles sont les causes de cette crise ? Comment relégitimer le rôle des élites ? Quel type de projet politique pour les élites ? Comment repolitiser les élites ? Quel es leur rapport avec la démocratie et la réforme ? Pourquoi les élites ne se renouvellent pas rapidement et pas assez ? Quelle lecture socio-politique peut-on faire de ces élites et leur positionnement face à la réforme ? Quelle rôle peuvent elles jouer dans la Globalisation et la Mondialisation ? Comment peut on réhabiliter le politique et façonner une image positive de l'élite ? En un mot, comment les élites peuvent-elles maîtriser la complexité des temps modernes et assurer une bonne gestion du changement ?
On comprendra alors facilement l'intérêt et l'utilité de rouvrir le débat sur l'élite. L'enjeu est capital, le monde a changé, les élites sont elles aussi appelées à changer en mettant en place les fondements d'une Bonne Gouvernance. Répartir sans horizon mythique sans futur programmable, constitue un défi pour les élites. D'autant qu'elles doivent le faire dans un contexte inédit : celui de la gouvernance, et avec un enjeu majeur : la maîtrise de la complexité du changement.
Un contexte inédit ? Oui, celui où " gouverner ” n'est plus possible comme une souveraineté qui s'exercerait sans partage. En effet, d'un côté, une nouvelle réalité mondiale met en péril les fondements de l'action collective (le droit, la science, la politique, le savoir moderne) et, d'un autre côté, une capacité d'initiative renforcée chez les individus, les ONG, les mouvements de société civile et les instances territoriales, oblige à davantage de concertation.
La gouvernance ? Elle vise à organiser le débat public, à donner sens aux projets, à faire naître des valeurs communes, à forger une sorte de centralité citoyenne en place et lieu de la centralité politique, à créer un mouvement d'adhésion, à mettre en place les mécanismes de gestion des conflits et de régulation des rapports sociaux. Son exercice démocratique conduit à privilégier le processus sur l'acte de décider, l'humain sur l'institutionnel, la construction des repères collectifs sur l'application des règles universelles.
Dès lors, il convient d'envisager une nouvelle approche de gestion des politiques publiques qui lie Gouvernance, innovation et changement, s'articulant autour d'une intelligence partagée des acteurs.
Gouvernance et changement sont toujours liés : l'une concerne plutôt les pouvoirs, l'autre plutôt les évolutions d'une société. Mais dans une société qui se transforme en renouvelant ses modes de pensée, ses formes d'exercice de pouvoir. La Gouvernance ne s'associe au changement qu'en entrant dans l'arène, en intervenant elle-même dans l'action créatrice du nouveau, du neuf.
Le mythe de l'élite efficace
La crise du politique, chez nous et ailleurs, n'est autre qu'une crise de gouvernabilité. Face à la montée en surface des dérives multiples liées au climat malsain des affaires discréditant l'image de marque de l'Etat, devant l'échec permanent de la réforme et une volonté de modernisation plus apparente que réelle, la question "comment gouverner” la chose publique et avec qui est devenue obsédante, urgente. Comme l'a souligné René REMOND : "la politique n'est plus ce qu'elle était”. Ce que l'on croyait définitivement acquis, le savoir des gestionnaires, la répartition des rôles, l'efficacité de l'Etat, la disponibilité des ressources humaines et électorales, le mythe du service public, la sur-représentativité de l'élite, l'intégrité des partis politiques, le respect de la loi, l'engagement de l'élu, l'expertise de la technocratie est remis radicalement en cause appelant un travail intellectuel nouveau de mémoire et de reconstruction.
La thèse d'une élite efficace et gestionnaire est devenue l'expression d'une ingouvernabilité générale. Elle reste donc très ambiguë car elle est de ce fait porteuse de critiques tout à fait contradictoires. Le mythe de l'élite efficace et intelligente qui a alterné entre des moments de gloire et des moments de difficultés (cas du Mouvement National au Maroc entre hier et aujourd'hui) s'effondre peu à peu sous nos yeux dans l'indifférence générale. Elle est aujourd'hui associé à l'idée d'une pensée politique unique. Le cliché est fort car il est polyvalent et peut être utilisé sur plusieurs registres: celui de la fracture entre les élites et la nation, celui de l'incapacité des élites politiques et économiques à réformer la société ou même à la comprendre, celui des réseaux de solidarité qui unissent les groupes d'intérêts contre le pouvoir politique, celui du décalage entre le dire et le faire.
On n'en est donc pas à une contradiction près, les élites sont partout, monopolisent tout, mais restent impuissantes devant les problèmes de société. Enfermés dans leur monde élitiste, fonctionnant plutôt " à la domination ” et à la conservation de l'ordre social établi, à la connivence et au consensus, et pas assez au débat, elles font le jeu de la démagogie et de la prudence.
Cette crise appelle au débat et à la réflexion.
Notre but n'est pas de répéter ou de reproduire des synthèses de travail et d'analyses qui ont été avancées dans ce domaine. Notre but est autre. Analyser globalement, tout d'abord, ce que sont les élites, trop souvent limitées aux couches dites dirigeantes placée sous les projecteurs de la renommée.
Dire ensuite ce que les élites doivent être devant les mutations contemporaines qui affectent l'économie, la société, la politique et la culture dans le monde. Le changement aujourd'hui se fait de plus en plus dans la complexité et l'interdépendance.
Ni répétition donc, ni retour au statu quo ante, ce qui est important pour nous c'est de situer la problématique dans une vision prospective, celle du développement durable. Aujourd'hui, la question est celle des élites dans un monde globalisé et dans une démocratie " postmoderne ”, c'est-à-dire une démocratie dont l'autonomie et la liberté de choix de chaque individu sont à la fois une revendication et un but, une démocratie dont l'efficacité et le professionnalisme constituent une exigence des temps modernes. De l'Etat efficace revendiqué depuis le début des années 90, la réflexion s'oriente aujourd'hui vers un Etat compétent.
Au Maroc, au cours de ces dernières années, le besoin de renouvellement des élites est exprimé de manière forte. Les élites sont à la fois contestées dans leur légitimité et dans leur engagement.
Le constat est accablant, les élites sont à la fois séparées de la société et coupées en segments ou en cloisons. La crise de méfiance est réelle. Le doute s'est installé à propos de l'efficacité des élites. Notre société est en désarroi. Celui-ci tient avant tout à l'impuissance de nos dirigeants et de nos élites à conduire jusqu'au bout le changement ; nos élites semblent être préoccupées par le maintien des équilibres traditionnels ou la recherche infructueuse des compromis et du consensus et, de ce fait, elles continuent à valoriser et à privilégier des formes d'intelligence non seulement inutiles mais régressives.
Le pari des partis : s'adapter et évoluer
La période que nous connaissons aujourd'hui au Maroc nous impose un tel débat. Le Maroc traverse une période de transition qui doit en principe se positionner et se clarifier dans les échéances électorales prévues pour le mois de septembre 2002. La transition démocratique ne sera que mieux balisée. Le Maroc a besoin de tous ses partis politiques pour enraciner la démocratie, mais à condition qu'ils fassent leur propre révolution. Nous ne voudrions pas faire le procès aux partis politiques, ni les discréditer. Ceux-ci sont indispensables pour tout système démocratique, ce qu'on voudrait leur demander c'est de se muer en forces d'innovation et de changement, c'est-à-dire de s'adapter et d'évoluer.
La Monarchie au Maroc, sous le nouveau règne du Roi Mohammed VI, aura à définir et à trouver une sorte de visibilité pour l'avenir en mettant en place les fondements d'une bonne gouvernance pour réaliser et conduire efficacement le changement.
Qu'est-ce qui a le plus manqué au changement ?
Question importante pour le débat, pour la clarification. Entre l'impuissance et le désarroi d'un côté et l'espoir chevillé au corps de voir "changer la vie” de l'autre, les Marocains attendent des réponses concrètes à leurs exigences, à leurs souffrances et à leur misère. Si le changement est indéniable, il faudrait être aveugle pour ne pas s'apercevoir que les Marocains ont relevé la tête, gagné en liberté intérieure d'eux-mêmes et commencé à rejeter les chaînes de la peur et du fatalisme, il reste que pour des millions de citoyens, l'enfer est au quotidien, synonyme de pauvreté, d'exclusion, de précarité, de maladie, de chômage et d'angoisse pour l'avenir ; leurs attentes ne sont pas exagérées, elles sont plutôt mal gérées. Arrêtons de faire l'amalgame.
Quelle est la responsabilité de l'élite dans cette situation ? Cette question est au cœur du débat actuel. Que faut-il faire pour que les élites deviennent les locomotives du changement et de transformation sociale ?
Les temps ont changé, les idées aussi, le monde change, les élites sont appelées elles aussi à changer. L'évolution est inéluctable. Sinon c'est le déclin ou dans le meilleur des cas l'immobilisme. Or, on le sait, dans les sociétés animales, le changement s'identifie le plus souvent à la mort, alors que les sociétés humaines ne meurent que d'immobilité.
On découvre aussi à l'épreuve des mutations qui affectent le monde, la nécessité d'une réflexion plus approfondie sur la mise en place de nouveaux mécanismes de gouvernance et de gestion. Tous les pays du monde sont concernés. La Maroc plus que les autres, parce que non seulement il a du retard à rattraper mais des actions urgentes sont à prendre pour entreprendre un processus global de modernisation et de rénovation.
Une nouvelle culture de la citoyenneté
La crise que connaît notre pays actuellement n'est pas seulement économique et sociale, elle est surtout intellectuelle et morale. Les repères ont pâli. Nous sommes en désarroi parce que nous n'avons plus confiance en nos élites, et même désormais de moins en moins en nous-mêmes. Nos élites sont impuissantes, car quelque soit leur engagement partisan, elles parlent de ce qui apparaît maintenant à leurs concitoyens comme une langue de bois. Le champ politique est perturbé par la démagogie ; les élites sont beaucoup préoccupées par la défense de leurs intérêts personnels que collectifs. Certes, il existe des îlots prometteurs qui développent dans notre pays une nouvelle culture de citoyenneté et de convergence. Mais l'une et l'autre doivent constituer le credo quotidien, la trame idéologique de tous les partis politiques.
Au cours de ces dernières années, l'élite politique marocaine présente un spectacle affligeant dans les domaines de gestion des affaires publiques et de mobilisation des citoyens. Le débat a perdu de sa qualité et de sa consistance, échange d'invectives et d'insultes, exclusion mutuelle, trucage des élections, absence de convergences autour d'intérêts collectifs.
Notre élite politique est en mal d'adaptation et de renouvellement.
Elle est prisonnière des schémas classiques et du modèle makhzano-patrimonial. Elle est peu impliquée dans le système de gestion et de gouvernance; sa culture politique n'est pas une culture de gouvernance, on n'apprend pas aux cadres, aux militants, comment gérer, transformer, agir, aimer son pays, monter des projets, étudier les dossiers, être citoyen. Elle ne maîtrise pas les indicateurs socio-économiques et démographiques de leur milieu. C'est une élite experte en discours mais avec une faible capacité mobilisatrice autour d'un grand dessein, d'objectifs collectifs, d'un projet d'avenir. C'est une élite masculine ou les femmes occupent une place secondaire et marginale ; c'est une élite nomade, instable et volatile, généraliste, quantitative, absente par l'écrit, très peu ou pas du tout impliquée dans le domaine de la culture, de l'art, de la connaissance, du savoir, de la technologie et du partenariat. C'est une élite versée dans l'intrigue, la jalousie, le dénigrement beaucoup plus que dans la mobilisation et l'incitation à l'effort collectif de changement. Elle est soit dans une situation de rupture ou de conflit. Prudente et attentive, elle supporte mal la critique. Elle est décalée, déconnectée par rapport aux mouvements de jeunes, de femmes et de la société civile. La fracture est réelle.
Des contraintes freinant l'enthousiasme
Globalement, l'image qu'ont les Marocains de leur élites est brouillée, les sondages d'opinion effectués dernièrement par " Maroc 2020 ” et " Al Ahdath Almaghribia ” le démontrent clairement. Non seulement, ils ne comprennent pas leurs élites mais ils doutent même de leur capacité à améliorer leurs conditions de vie et d'existence.
Elle est absurde et inconcevable que des gouvernements issus des mouvements critiques, de " progrès ” et de " démocratie ” puissent déclarer sans vergogne qu'ils sont incapables d'effectuer le moindre changement à cause des rigidités, des cloisonnements et du conservatisme de la société marocaine. Le problème de notre société c'est que personne n'ose le leur reprocher. Car c'est bien dans les partis politiques, les organisations syndicales et professionnelles et les administrations que l'on découvre la raison de ces rigidités et de ces cloisonnements. Que l'on ne s'acharne pas uniquement sur la responsabilité de l'Etat. Il faut s'expliquer toutefois sur la responsabilité.. Chacun de nous doit faire son propre examen critique. Pour ceux qui veulent réformer la monarchie, il faudrait qu'ils se réforment eux-mêmes tout d'abord pour l'exemple. Ce qui est certain, c'est que le modèle de gouvernance proposé par le Roi dès son intronisation n'a pas reçu d'échos chez ceux-là même qui voudraient réformer la monarchie.
Par ailleurs, on entend ici et là que ce n'est pas la volonté qui manque, c'est plutôt l'ampleur des contraintes qui freine l'enthousiasme : encore un alibi de taille. Oui, les contraintes sont réelles et personne ne peut les occulter, mais dans le domaine de la gestion publique, l'une des fonctions essentielles de tout gouvernement est justement de savoir positiver ces contraintes, surmonter les résistances, lever les blocages. Comment ? Par un engagement politique fort et durable pour venir à bout des pesanteurs organisationnelles. Cela suppose tout simplement un " pilotage interactif ” des réformes. Celui-ci sera de nature à favoriser une meilleure mobilisation des énergies par un aller-retour continue d'information et d'échange entre les différents partenaires et collectivités publiques. Les techniques du management participatif doivent être mises au service de l'entreprise de modernisation.
Plus généralement encore, le souci de prévenir les oppositions passe par le recours systématique à la concertation. Ceci suppose l'organisation d'un débat public autour de ce qui constitue les enjeux sociétaux. La concertation opérée en amont des réformes favorise leur apprentissage en aval.
L'idée de contrainte est toujours présentée dans les discours et les organes de presse des partis politiques. Elle génère plus de confusion que de lumière, les Marocains ont du mal à identifier les responsabilités et à dégager une sortie de la crise.
La contrainte prolonge le temps mort. Elle empêche d'avancer parce qu'elle permet à ses détracteurs de borner le champs des possibles. Résultat, on se situe volontairement dans l'attentisme. On ne fait pas grande chose pour faire face au temps, et on a tendance à oublier que la valeur du temps de demain ne sera pas celle d'aujourd'hui ; le temps est dans un processus d'accélération. Demain on aura plus le temps d'attraper le temps perdu ; on aura toujours des difficultés à faire mieux et plus. Le coût de l'échec ou de l'attente sera élevé et justifiera à lui seul que toutes les précautions doivent être prises pour donner au processus de réformes les meilleures chances d'aboutir.
Des actions concrètes et immédiates
Il ne suffit pas d'affirmer de la volonté ou de l'engagement implicite, il faut traduire cela par des actions concrètes et immédiates. Depuis plus de 10 ans qu'avons-nous fait de concret pour gérer au moins le champs de trois priorités: l'enseignement, l'emploi et la sécheresse. Faut-il attendre une aggravation du climat social pour réagir? A cela les élites politiques sont et seront responsables du devenir du pays. Elles sont partout, occupent les postes clefs et empêchent le pays de s'adapter. Les grands chantiers de reforme sont traités avec beaucoup de lenteur et moins d'enthousiasme. La position des élites face aux dossiers de l'investissement, du code électoral, du projet de la réforme des collectivités locales, de l'intégration de la femme dans le domaine économique et social, de l'emploi, de la gestion des bidonvilles de la pauvreté, du monde rural et bien d'autres choses encore, témoigne de la frilosité de nos gouvernants face aux enjeux stratégiques du pays. C'est l'un des signes du mal marocain.
Le second signe, c'est le refus de la réalité aggravé par une sorte
d'autosatisfaction permanente sur tout ce que nous faisons. On a le sentiment que la culture de l'inertie et de l'attente s'est installée durablement dans les rouages du pouvoir. Les débats politiques ne manquent pourtant ni de d'intelligence ni de vigueur, mais ils sont, d'une certaine façon, hors du temps. Ce n'est pas par hasard que les Marocains s'en désintéressent et que nous sommes en même temps de plus en plus isolés dans un monde qui est en pleine révolution. Il ne s'agit pas de révolution politique ou géostratégique mais d'une révolution des activités humaines dans leur rapport au pouvoir, au travail, à l'argent, à la cité à la création, à l'organisation, à la gestion, à la culture, à l'économie, à la technologie, au savoir … et au monde.
La manivelle réformatrice tourne à vide. Le générateur dégénère. Les élites politiques sont devenues les gestionnaires de leur propre échec ; le système des élites est contre-productif.
Le pays souffre d'une sorte d'anémie collective, le système paraît verrouillé, dans lequel on parle en termes de partage de gâteau, de carrière ou de rentes de situation. Les élites et particulièrement les élites partisanes sont devenues des machines à gagner des élections plutôt que des machines à faire rêver. Ce qui les intéresse c'est la durabilité à n'importe quel prix, or celle-ci use et affaiblit.
Tous les Marocains aujourd'hui, politisés ou non, réclament de nouveaux hommes et de nouvelles femmes. Le mouvement pour le renouvellement n'est pas strictement marocain, il est universel, mondial. Il s'oriente d'emblée vers la formation et le développement d'une nouvelle race de gestionnaires de la chose publique.
De la politique autrement
Nous avons besoin aujourd'hui d'une culture d'acteurs qui constitue un capital de savoir-faire, de savoir penser à consolider.
La démocratie est une chose précieuse qui ne doit pas être gérée par n'importe qui, le politique aussi. Elle suppose des fondements assurés de caractère déontologique. Il ne faut pas que l'exercice de pouvoir soit piégé par des ambitions partisanes, clientélistes et égoïstes. Il va falloir discipliner les ambitions et sanctionner les fraudeurs du jeu. Ceci appelle à une nouvelle culture de l'engagement public.
Le moment est venu de faire de la politique autrement.
le Roi Mohammed VI en a donné les signaux les plus forts en termes de gouvernance et d'une nouvelle approche de gestion de l' autorité et de la chose publique. Il faut donc arrêter de faire de la politique en chambre, avec des relations consanguines, clientélistes et partisanes. Cela suppose une modification des règles du jeu en place. Et c'est cela le bon sens de la gouvernance, mais elle implique aussi à introduire de nouveaux mécanismes de règlement des conflits et des blocages, mais aussi un comportement optimal pour l'homme public autour d'une série de valeurs.
Changer, serrer, desserrer, permuter, créer de nouvelles institutions, réduire le nombre de ministres ne changeront rien au vécu des Marocains, tant que les signaux forts émis par le souverain ou le gouvernement lui-même ne se traduisent pas sur le terrain, par des résultats tangibles. C'est bien la source de nos problèmes.
Comment réagir?
Nous avons besoin d'hommes neufs, compétents et motivés qui seront capables de mener une chirurgie fondamentale pour nous, c'est-à-dire d'une élite renouvelée ayant des projets, des idées, mais aussi une stratégie, car les idées ne sont rien sans stratégie.
Si nous n'avons pas de stratégie, c'est parce que la plupart d'entre nous, et tous les politiques, croyaient que des organes de commandes (traditionnellement les Ministères de l'Intérieur et des Finances) étaient suffisants pour mettre en œuvre des réformes.
Pendant ces trente dernières années, la société marocaine bouge toute seule. Nos élites ne semblent pas en tenir compte, on dirait même qu'elles sont incapables de le comprendre tant elles sont prisonnières de leur mode de raisonnement traditionnel.
Il est urgent de réinventer le politique autour d'une nouvelle approche de pouvoir producteur de comportements nouveaux, de pratiques managériales et de valeurs significatives de rapport sociaux nouveaux.
Pacte du renouveau social
L'enjeu est de définir un nouveau référentiel de ce que l'on pourrait qualifier de pacte de renouveau civil pour faire de la politique autrement, à partir du précepte de Jean MONNET «Rien ne dure sans les idées des hommes, rien ne dure sans les institutions».
Cette entreprise de réhabilitation du politique passe par un changement minimal, la nouvelle gouvernance, ou par un mouvement plus global, le renouvellement des élites.
Aux élections prochaines, prévues pour septembre 2002, c'est l'avenir du Maroc qui est en jeu et à travers lui, les forces de progrès doivent gagner pour consolider les fondements d'un projet sociétal, démocratique, moderne, solidaire, compétitif et ouvert sur le monde… L'élite dont a besoin notre pays est celle qui gagne, qui fait gagner et qui développe une mentalité de gagneurs en essayant de promouvoir l'initiative privée, en approuvant le succès des autres et en apprenant à réussir auprès d'eux ou en tirant les leçons de leur succès au lieu de les détruire ou de les dénigrer systématiquement ; cette élite renouvelée devra créer un contexte de progrès dans le respect mutuel en abolissant tous les facteurs négatifs qui concourent à susciter la jalousie, le dénigrement, l'oisiveté, le colportage.
L'élite que nous voudrions resurgir est celle qui doit susciter le culte de l'effort sans lequel il n'y aura pas de progrès et sans lequel les autres ne nous prendront pas au sérieux.
Ces suggestions – ou ces rêves- passent par la mise en œuvre de nouvelles mentalités qui suscitent une donne éthique et qui font des hommes nouveaux, des hommes modernes que le système éducatif s'emploiera à modeler. Des artisans et des maîtres de leur propres destin dont les habitudes seront utiles à un développement effectif dans la concorde, la convivialité, la cohésion et la justice en leur donnant la conscience individuelle et collective du changement tant souhaité.
Ce sont ces objectifs qui nous ont conduit à débattre des élites et de leurs responsabilités face au changement dans un contexte euro-méditeranéen.
Pour permettre une vaste confrontation d'idées et un large échange d'expériences, le GRET a réuni d'éminents spécialistes de la gouvernance et du changement appartenant aux deux rives de la méditerranée (Allemagne, Belgique, France, Italie, Espagne, Portugal, Tunisie, Algérie, Maroc et Mauritanie). La variété des points de vue, des approches, des pratiques professionnelles témoigne de l'ouverture avec laquelle cette rencontre a été conçue. Elle doit aussi nous aider à mieux comprendre les processus évolutifs et les dynamiques de transformation que connaissent les systèmes des élites chez nos voisins.
Mais, il y a aussi une chose qu'on ne doit pas oublier, c'est que la globalisation appelle elle aussi à une restructuration de l'élite. La globalisation, la mondialisation et la construction d'ensembles régionaux ont crée de nouvelles techniques de pouvoir. Le système politique est plus ouvert qu'il ne l'a jamais été. Notre pays a besoin d'une élite qui serait en mesure de favoriser son ouverture et son ancrage dans le monde. La politique serait désormais piégée dans un nouvel ordre mondial qui dicterait sa loi, quelles que soient les préférences partisanes. Le débat politique aujourd'hui tourne autour d'une interrogation pressante concernant la capacité politique des élites de changer la société ou de transformer le système économique. Leur rôle sur le plan international est déterminant. Gauche ou droite, démocrates ou conservateurs, libéraux ou socialistes, peu importe: les marges de manœuvres budgétaires sont étroites, les réformes sociales prennent du temps, l'inertie des jeux d'intérêts freine ou interdit toute remise à plat des grandes politiques.
N'assiste-t-on pas à la fin d'un modèle d'élite?
Dynamiques sociétales
La référence obsédante au renouvellement des élites s'appuie forcement sur la recherche d'un nouveau modèle d'excellence professionnel, qui cela va sans dire, est sensé mené au statut de manager. Le profit du futur décideur, du futur gestionnaire, du future politique est celui qui sera en mesure de gérer la complexité et de fructifier l'interdépendance.
Y aura-t-il demain de «nouvelles élites» avec le développement de la nouvelle économie et l'émergence progressive d'une nouvelle société?
S'il est encore trop tôt aujourd'hui pour dessiner précisément les nouveaux traits des futures élites politiques, administratives et économiques, on constate par contre que des dynamiques sociétales nouvelles se profilent à l'horizon, annonçant une sorte de rupture salvatrice par rapport à un modèle qui a fait son temps.
Les programmes d'adaptation à la libéralisation des marchés et à la mondialisation s'appliquent aux relations nouvelles – des " réseaux d'influence transnationaux ” - et aux dirigeants, des hommes nouveaux, les futurs " décideurs mondiaux ”, qui possèdent un mode de pensée pluriculturel et non exclusivement national. Aujourd'hui, il ne s'agit plus de servir de modèle d'excellence mais de prendre sa place dans "la concurrence généralisée entre les différents systèmes éducatifs ”. mais dans ce cas, c'est tout le système de formation et d'éducation qui doit subir une purge réformatrice.
Les débats du colloque vont sans aucun doute nous éclairer davantage sur les pistes d'évolution possibles et apporter quelques réponses aux interrogations de nos concitoyens à propos de la nouvelle culture de l'engagement public.
Pour cerner cette problématique, quatre axes sont prévus pour le débat :
1. Fin des élites ou émergence d'un nouveau modèle ?
2. Systèmes de valeurs et gouvernance démocratique
3. Formation, mobilité et nouvelle culture politique
4. L'élite face aux nouvelles tendances de gestion publique.