La classe politique réagit à la déclaration gouvernementale
Ce jeudi 21 novembre, le Parlement avait retrouvé en cette pluvieuse soirée ramadanienne ses ambiances de grand jour. La salle des pas perdus aux grands rideaux de velours rouges abritait des conciliabules forcément d'actualité, et éminemment politique. L
LE MATIN
22 Novembre 2002
À 21:32
A chaud, les politiques réagiront dans l'enceinte même du Parlement. Les couloirs marbrés s'étaient faits pour l'occasion studios, les caméras et les magnétophones se disputaient les premières loges et les journalistes n'ont jamais été autant nombreux sous la coupole. Il y avait de l'événement dans l'air. Driss Jettou, Premier ministre de l'après-27 septembre, celui-là même qui, issu de la technocratie, a formé sa majorité, faisait sa déclaration, présentait son projet de société pour un Maroc meilleur, plus juste, plus égalitaire, plus démocratique, plus compétitif. Amine Demnati, membre du Bureau Politique du Mouvement populaire - un parti de la coalition gouvernementale- est prompt à le dire : la déclaration gouvernementale est ambitieuse. «Ce programme a besoin de moyens et je pose la question de savoir si ces moyens sont disponibles ou pas. Mais je pense que la réussite de ce gouvernement réside également dans le fait de tirer les enseignements des expériences précédentes et plus particulièrement le dernier gouvernement » affirme ce député. Un brin perfide et se rappelant le bon vieux temps de l'opposition, M. Demnati se plaît à rappeler que «la déclaration gouvernementale du cabinet Youssoufi était construite autour de promesses dont la plupart n'ont d'ailleurs pas vu le jour . document, page 6 Le gouvernement Jettou doit être ambitieux. Il se doit aussi d'être réaliste. Car le plus important est de rétablir la confiance des Marocains. » PND : « Difficile de tenir les promesses »
«C'est une déclaration ambitieuse à l'image de toutes les déclarations gouvernementales ». Le secrétaire général du PND, lui, ne cache pas son scepticisme. « La déclaration Jettou a concerné tous les domaines et nous espérons que le Premier ministre réussisse en tenant toutes ses promesses. Cela me semble difficile. L'homogénéité gouvernementale va à mon avis poser des problèmes. Quant à la compétence, je ne pense pas que les hommes de cette nouvelle équipe soient particulièrement plus forts que leurs prédécesseurs », prédit le nouveau député de Berrechid. Abdallah Kadiri et les siens sont à l'opposition et il entend bien le faire savoir. « Depuis le camp de l'opposition qui est le nôtre nous allons donner notre point de vue. Nous soutiendrons l'Exécutif pour tout ce qui est positif et nous allons le contrer lorsque cela sera nécessaire. Cela ne nous empêche pas, dans le cadre du délai de grâce, de souhaiter plein succès à ce gouvernement », affirme-t-il, presque magnanime. Une heure et demie durant, le chef de l'Exécutif a annoncé une panoplie de mesures et sérié les engagements du cabinet aux destinées duquel il préside. L'Istiqlalien Hassan Abdelkhaleq –son parti détient huit portefeuilles au sein de ce gouvernement- en retient « l'engagement du gouvernement pour la construction d'une société démocratique moderne telle qu'annoncé par le Souverain et le renforcement de la démocratie dans le cadre des valeurs et principes du pays ». La réforme du code électoral et la préparation d'une loi relative aux partis sont des exemples qui hantent son argumentaire. Ce député de Taourirt, journaliste dans la vie civile, a toujours mené combat pour la moralisation de la vie publique et lutté contre la dimension kafakaïenne de l'Administration. « De manière générale, nous souhaitons que le cabinet Jettou exécute ses engagements dont certains ont été inscrits au programme du gouvernement Youssoufi tels que la réforme de la justice, la moralisation de la vie publique... Et ces engagements constituent comme l'a dit le Premier ministre une charte nationale pour la réforme. Ce que je retiendrai par dessus tout c'est la simplification des procédures administratives. Les citoyens de ce pays pourront enfin obtenir leur passeport ou leur carte d'identité dans se perdre dans les dédales de la lourdeur administrative. Jettou parie sur la politique de proximité, et c'est aussi cela être proche des citoyens » De grands chantiers ont été annoncés par le Premier ministre. Des chantiers auxquels adhère pleinement Abdesslam Saddiki, membre dirigeant du Front des forces démocratiques. « Notamment en matière de lutte contre les inégalités, pour la promotion du monde rural, le développement des infrastructures », précise ce candidat malheureux à Taza, lors des élections législatives du 27 septembre. « Le FFD va procéder à une lecture approfondie de cette déclaration, mais à chaud, j'ai deux remarques fondamentales. Le premier écueil est relatif à l'emploi sur lequel le programme est resté évasif alors que c'est une question principale qui ne souffre pas l'attente. M. Jettou est resté prisonnier d'une vision orthodoxe de –emploi-investissement qui me paraît inadéquate dans le cas du Maroc » regrette A. Saddiki. Ce dirigeant politique ne s'embarrasse pas de circonlocutions pour reprocher à Driss Jettou d'avoir tu les modes de financements de son programme. « C'est bien d'annoncer des projets mais encore faut-il les financer. Or, le Premier ministre est resté muet sur le mode de financement et c'est bien dommage pour un homme de l'entreprise qui sait que derrière les mots il y a les chiffres. Finalement, il me semble que cette déclaration ne diffère pas des précédentes. Elle relève plus de la déclaration d'intentions », conclut celui-là même dont le parti a soudainement rejoint le banc de l'opposition.
PPS : «Un discours fort sur la moralisation»
De l'opposition à la majorité, la déclaration, qu'elle soit concrète ou d'intention, a connu une fortune diverse dans son appréciation. « M. Jettou a essayé de ratisser le plus large possible, à l'instar de M. Youssoufi. De ce point de vue, il n'y a aucune différence entre les deux déclarations ». Parole de Messaoudi Layachi, membre du Bureau Politique du PPS. Mais cet ex-chef de groupe parlementaire reconnaît qu'il « il existe des nuances entre les deux projets ». « D'abord, le Premier ministre a été plus précis sur certains points notamment lorsqu'il s'est agi de fixer des objectifs dans le domaine de l'équipement du pays en infrastructure de base. Il y a des chiffres, des objectifs, des dates. La déclaration de M. Jettou a mis l'accent de façon plus prononcée sur les problèmes économiques et notamment la nécessité d'encourager davantage l'investissement privé et de mettre à niveau les entreprises marocaines dans la perspective de l'entrée en vigueur de l'accord de libre-échange avec l'Union Européenne ». Ce député de Taounate va jusqu'à délivrer un satisfecit au chef de l'exécutif qui a eu « un discours fort en ce qui concerne l'assainissement de l'administration. Il a dit en substance, qu'il ne suffit pas de slogan et qu'il faut aller vers des mesures concrètes de nature à rendre l'administration marocaine plus rapide, plus efficace et au service du citoyen ». Le chef de groupe parlementaire USFP, Driss Lachgar, est de ceux qui pensent foncièrement que « cette déclaration gouvernementale a annoncé une panoplie d'intentions heureuses ». Celui dont la famille politique est représentée au gouvernement à travers 8 postes ministériels souhaite vivement, dit-il, « que toutes ces mesures soient appliquées au nom de l'intérêt du pays et de celui des citoyens ». « Cela n'annule pas notre position en ce qui concerne la nomination du Premier ministre ni sur le fait comment ce gouvernement a été constitué. Le groupe parlementaire de l'USFP va se réunir et nous allons définir notre position par rapport à ce programme du gouvernement Jettou. Et dès lundi, l'opinion publique sera fixée », promet M. Lachgar.
PJD : « Globalement positif mais absence de référentiel moral »
C'est un sourire aux lèvres que Abdelillah Benkirane, membre du secrétariat national du PJD, commente le programme du gouvernement Jettou. En tenue traditionnelle, il s'essaie même à l'humour lorsque nous l'interpellons. « Mes premiers sentiments sur la déclaration de politique générale de Driss Jettou ? M. Jettou est un homme avec qui j'ai de très bonnes relations alors mes sentiments à son égard ne peuvent être que positifs ». Cet élu de la nation portant barbe et djellaba ne rechigne pas à le dire : «La déclaration de politique générale du gouvernement est globalement bonne ». Un bémol est toutefois apporté à ce « sujet-verbe-compliment ». « J'ai remarqué qu'il n'y avait pas suffisamment d'insistance sur le référentiel islamique ni d'indications sur des possibilités de financement autres que les crédits bancaires d'intérêts. De tels crédits sont interdits par l'Islam et donc une marge de la population ne coopérera pas. J'estime également qu'il y avait un manque d'insistance sur la morale et les valeurs spirituelles et religieuses dont a besoin aujourd'hui l'Etat pour se démarquer de la corruption et de la dépravation. Malgré cela, cette déclaration reste globalement positive ». Globalement positive, mais les Islamistes de la Chambre basse ne voteront pas pour autant en faveur du programme gouvernemental. « Il faut bien qu'il y ait une opposition dans ce pays », soupire M. Benkirane avant de poursuivre que « si le Premier ministre apporte quelques rajouts par rapport aux points dont j'ai parlé, j'aurais pu voter en faveur de cette déclaration ».