La question du Sahara de Boumedienne à Bouteflika: le plan inachevé de l'Algérie
Devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, M. James Baker a déclaré que « le partage du Sahara, dont il a été question dans le rapport du secrétaire général, est une proposition algérienne et que c'est le Président Abdelaziz Bouteflika qui lui a fai
Cette déclaration du représentant spécial de Kofi Annan doit nous inciter à nous poser quelques questions concernant les véritables intentions de M. Bouteflika dans l'affaire du Sahara. En fait, il nous semble que, contrairement aux apparences, son sattitude n'a pas varié : il veut aujourd'hui achever un plan prémédité qui n'a pas pu faire aboutir quand il était ministre des Affaires étrangères de l'Algérie.
Ce plan de M. Bouteflika consistait à empêcher par tous les moyens que le Maroc récupère ses provinces du sud et devienne une puissance régional, susceptible de concurrencer l'Algérie, notamment sur le continent africain. En effet, M. Bouteflika qui connaît parfaitement le Maroc et les Marocains,puisqu'il a vécu à Oujda en tant qu'instituteur, dans des familles marocaines, sait que le Maroc, de par son histoire et sa civilisation, peut prétendre à un rayonnement considérable en Afrique, compte tenu notamment de ses liens ancestraux avec les pays subsahariens, en particulier avec les pays de l'Ouest africain.
Pour ce faire, le meilleur moyen était de le couper de ces liens, en créant au sud un Etat inféodé à l'Algérie. La création de cet Etat permettrait aussi «l'encadrement du Maroc» sur le plan géostratégique : adossé à l'Algérie à l'est, à un Etat inféodé à l'Algérie au sud, le Maroc n'aurait alors plus d'issue terrestre . Et il suffirait que ses rapports avec l'Espagne deviennent quelque peu brouillés, comme c'est le cas aujourd'hui, pour qu'il soit coupé même de l'Europe.
Enfin, la création d'un Etat inféodé à l'Algérie permettrait également à celle-ci d'avoir un passage vers l'Océan Atlantique.Pour faire aboutir ce plan, M. Bouteflika, en tant que ministre des Affaires étrangères, a dû utiliser de gros moyens : une diplomatie exclusivement mobilisée au service de son plan, parfois au détriment des intérêts algériens, une générosité sans limites envers certains Etats africains et parfois leurs représentants, l'utilisation de son élection à la tête de l'Assemblée générale des Nations unies en 1975, des menaces contre les Etats qui n'adhèrent pas à son point de vue…
Pourtant, malgré ces efforts considérables, M. Bouteflika, en tant que ministre des Affaires étrangères, n'a pu faire aboutir son plan car il a été contrarié par un certain nombre de faits ou d'événements dont certains lui sont imputables et d'autres imposés par l'évolution de l'actualité politique.
Parmi les entraves à ce plan, il y a la contradiction entre l'attitude officielle de l'Algérie, qui déclare « ne pas avoir de prétention territoriale sur le Sahara», et le comportement réel des autorités algériennes qui ont fait de l'affaire saharienne leur «première cause nationale»s.
Le point de départ de cette contradiction est certainement le Sommet arabe de Rabat de 1974 au cours duquel le Président Boumédiène a déclaré solennellement apporter « la bénédiction de l'Algérie à toute solution que trouveraient à cette question les deux pays frères : le Maroc et la Mauritanie». Cette déclaration de principe, dûment enregistrée, a été faite devant de nombreux chefs d'Etat et de gouvernements arabes.
«Etat interesse, Etat concerne» !
Prisonnier de cette déclaration et n'étant pas partie prenante à la question du Sahara, M. Bouteflika s'est alors érigé en défenseur inconditionnel du "droit du peuple sahraoui à l'autodétermination» comme aucun Etat au monde ne l'a fait pour une population. Il a alors imposé aux Nations unies des concepts inconnus en droit international comme le concept d'"Etat intéressé» et d'"Etat concerné». Cette contradiction de la position algérienne constitue, à notre avis, la première faille du plan de M. Bouteflika puisqu'il se trouve aujourd'hui dans l'obligation de défendre personnellement son plan en préconisant, de façon publique, le partage du Sahara, laissant de côté le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
La deuxième faille du plan de M. Bouteflika est de n'avoir pas prévu l'entente entre le Maroc et la Mauritanie sur ce dossier. En effet, le président algérien a toujours pensé que la Mauritanie du Président Ould Daddah, maillon faible dans cette affaire, exécutera les ordres d'Alger et n'aboutira jamais à un accord avec le Maroc, malgré la "bénédiction» du Président Boumédiènne.
On rapporte que lorsque l'émissaire de feu S.M. Hassan II est allé informer M. Boumédiène de l'accord intervenu entre le Maroc et la Mauritanie au sujet de Oued Eddahab, le Président Boumédiène a failli avaler le cigare qu'il avait à la bouche et qu'il est entré dans une colère folle, proférant des menaces contre le Président Ould Daddah et la Mauritanie. D'ailleurs, quelques jours après, M. Boumédiène a cru bon de "convoquer» le Président Ould Daddah et l'a menacé publiquement.
La troisième faille du plan de M. Bouteflika est qu'ils n'a pas tenu compte d'un élément essentiel qui, à notre avis, constitue la clé de voûte de cette question,à savoir l'unanimité du peuple marocain sur cette question.En dépit de quelques voix discordantes et insignifiantes, toutes les composantes de la société marocaine se sont toujours montrées solidaires dans cette affaire, autour de l'institution monarchique. Aussi, s'il y a une équation que M. Bouteflika, devenu Président de l'Algérie, cherche à résoudre dans cette affaire, c'est certainement cette équation de l'unanimité nationale marocaine et cette farouche volonté du peuple marocain à défendre ses provinces du sud.
Ce sont là, à notre avis, les failles du plan de M. Bouteflika qui ont constitué une entrave à son exécution. A ces failles, il faut ajouter des éléments objectifs ou liés à des événements politiques : la personnalité du Roi Hassan II qui a toujours su contrecarrer les manœuvres des autorités algériennes sans toutefois «insulter l'avenir» et entraîner la région dans une guerre fratricide (l'avis consultatif de la CIJ, la Marche Verte, l'accord avec la Mauritanie, le serment de la Marche, la proposition du référendum…).
Parmi les événements objectifs : la mort du Président Boumédiène, la fin de la guerre froide, la prise de conscience de certains Etats, les tristes événements que connaît l'Algérie depuis 1988, le retour de certains chefs du «polisario» au Maroc et surtout la traversée du désert de M. Bouteflika, liée à la mort de M. Boumédiène et les événements d'Algérie. Ayant quitté les fonctions de ministre des Affaires étrangères qu'il a occupées de 1963 à 1979, M. Bouteflika est revenu sur la scène politique en tant que Président de la République algérienne le 15 avril 1999.
D'après les spécialistes de la politique algérienne, M. Bouteflika a été porté à la présidence de la République sur la base d'un accord avec les militaires, comprenant notamment une attitude ferme concernant l'affaire du Sahara : l'armée algérienne ne voulait pas que cette affaire soit résolue dans le cadre d'une entente entre les deux pays, comme le voulait le Président Boudiaf. L'exigence de l'armée a dû parfaitement convenir à M. Bouteflika auquel une nouvelle occasion lui est donnée pour mener à son terme son plan inachevé.
Depuis l'accession de M. Bouteflika à la présidence de la République, la diplomatie algérienne s'est de nouveau réactivée . Elle a essayé de rattraper le temps perdu en contrecarrant les efforts des Nations unies à trouver une solution rapide au problème du Sahara.
L'agressivité de la diplomatie algérienne s'est particulièrement manifestée au niveau des entraves mises pour le recensement des populations devant participer au référendum et, surtout, au niveau de l'opposition de M. Bouteflika au plan de M. James Baker, préconisant une large autonomie des provinces sahariennes, dans le cadre de la souveraineté marocaine.
Le rapport que M. Kofi Annan a présenté au Conseil de sécurité le 2 juin 2001, dans lequel il présente le détail de ce plan, fait état de correspondances et d'entretiens qu'il a eus personnellement ou par l'intermédiaire de son représentant, M. Baker, avec le Président Bouteflika, où celui-ci s'est montré d'une agressivité tout à fait surprenante, allant jusqu'au accuser M. Baker «d'un manque d'objectivité dans cette affaire».
Or, au moment où plusieurs pays ont déclaré soutenir le plan-cadre proposé par M. Baker, voilà que M. Kofi Annan présente un autre rapport au Conseil de sécurité, où il est question d'une proposition algérienne de "partage du Sahara».
A propos de cette question, on ne peut s'empêcher de faire les remarques suivantes :
1°) M. Bouteflika, empêtré dans ses affaires intérieures, et constatant que la troisième voie, celle d'une large autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine, risquait d'aboutir, surtout après le soutien des Etats-Unis et de la France, s'est démené pour éviter l'application de cette solution en faisant deux déplacements aux Etats-Unis pour rencontrer M. Bush et M. Baker.
Il a aussi réactivé ses anciens réseaux et ses anciennes amitiés, notamment quelques médias français dont le journal «Le Monde», qui a consacré toute une page au problème, en présentant le Sahara comme une "république» avec un Président, une population et un territoire, trompant ainsi ses plus fidèles lecteurs («Le Monde» du 21 février 2002);
2°) Il est essentiel que les Nations unies ne deviennent pas les complices d'une démarche qui risque de faire basculer la région dans l'instabilité.En effet, l'une des caractéristiques de la société sahraouie est qu'elle est fondée sur une structure tribale. La grande majorité des tribus du Sahara ne reconnaissent aucune légitimité au "polisario» et n'accepteraient, en aucune façon, d'être gouvernées par les Algériens, par "polisario» interposé;
3°) Il est temps que le Maroc, et notamment la société civile, se mobilise pour faire connaître certaines évidences.
Le problème du Sahara aurait pu trouver sa solution dès 1974, si les autorités algériennes, dont M. Bouteflika, l'avaient voulu car le «polisario» est avant tout une création de l'Algérie et personne n'imagine aujourd'hui son existence sans le soutien de l'Algérie.Jamais un Etat au monde n'a soutenu un mouvement, quel qu'il soit, mettant à sa disposition une partie de son territoire pour fonder une «République», comme l'a fait l'Algérie. Jamais le Président d'un Etat n'a rendu visite à un autre «Président d'Etat» installé, de façon officielle et permanente, sur le territoire de son propre Etat.
Posons-nous également une question simple : pourquoi M. Bouteflika, quand il était ministre des Affaires étrangères et aujourd'hui Président de la République, n'a pas mobilisé et ne mobilise pas son gouvernement, sa diplomatie, l'argent des contribuables algériens, les médias nationaux et internationaux pour la cause palestinienne comme il le fait pour le «polisario» ? Le peuple palestinien ne cherche-t-il pas à exercer son droit à l'autodétermination, principe que prétend défendre M. Bouteflika dans l'affaire du Sahara.En fait, la dernière proposition de M. Bouteflika a, au moins, l'avantage de clarifier les choses : ce n'est pas le principe du droit à l'autodétermination qui est défendu par M. Bouteflika, mais la création d'un Etat inféodé à l'Algérie, susceptible de couper le Maroc de ses racines africaines et d'assurer son encerclement géostratégique.Ainsi, le problème du Sahara n'est pas un problème entre le Maroc et l'Algérie, mais un problème entre le peuple marocain dans toutes ses composantes et quelques personnalités algériennes, notamment M. Bouteflika, dont l'objectif est de faire aboutir l'exécution d'un plan inachevé. Pour cela, il lui faut résoudre plusieurs équations, dont la plus importante et certainement la plus difficile : l'unanimité du peuple marocain derrière son Roi.