L'humain au centre de l'action future

La splendeur de l'Orient dans l'art contemporain

La galerie Actua à Casablanca présente, en collaboration avec l'Institut du Monde Arabe (Paris), l'exposition «Regard sur l'art contemporain arabe», une collection de la Fondation Kinda. Des caractéristiques arabes dans une quête de liberté qui puise ses

18 Juillet 2002 À 18:27

L'art contemporain arabe est assez méconnu au Maroc, mis à part dans les milieux initiés. Certes les peintres arabes les plus importants, surtout ceux de la première génération, y compris les peintres marocains, sont connus de part et d'autre dans les divers pays arabes. Mais les expositions de peintres arabes se font de plus en plus rares dans notre pays, de même que les peintres nationaux exposent plus souvent ces dernières années en Occident qu'en terre orientale.
De manière générale, les échanges culturels entre pays arabes sont moins importants qu'ils ne devraient l'être, particulièrement dans le domaine des arts plastiques. Or, il est intéressant de s'instruire de l'histoire de l'art contemporain propre à chaque pays d'Orient, d'étudier leurs spécificités ainsi que leur développement par rapport à l'histoire des arts traditionnels et par rapport à celle de l'art islamique. Des connaissances qui pourraient entrer dans le cadre global de l'analyse de la modernité en terre arabe.
Ainsi, l'exposition «Regard sur l'art contemporain arabe» actuellement tenue à Actua, espace artistique de la Fondation BCM à Casablanca, est édifiante à plus d'un titre. Conjointement organisée par la Fondation BCM et l'Institut du Monde Arabe (IMA) à Paris, cette exposition présente la collection privée de la Fondation Kinda, qui rassemble une riche diversité d'oeuvres de peinture contemporaine dans le monde arabe représentant ses tendances artistiques pour ces trois dernières décennies. Le directeur du département Arts Plastiques de l'IMA, Brahim Alaoui, nous explique que c'est l'envergure de cette collection privée conjuguée à la passion du mécène qui en est propriétaire, qui ont engendré la création même de la Fondation Kinda. Ce nom, indique-t-il, est celui des ancêtres du mécène, qui ont joué un rôle déterminant dans l'histoire politique et culturelle de la Péninsule Arabique au Vè et VIè siècles de l'ère chrétienne. Brahim Alaoui fait savoir encore qu'à cette tribu appartenait le plus fameux poète de l'Arabie anté-islamique, Imruû al-Qaîs, et ajoute : «C'est sous l'impulsion de ce dernier et des Kinda que les Arabes réalisèrent leur union pour un siècle et que la langue arabe se développa et devint, sous une forme plus unifiée, la langue de la communauté toute entière ; premier phénomène d'unification qui prendra sa vraie mesure lors de l'avènement de l'Islam. Il me semble que quelque chose de cette histoire se retrouve dans la vocation de cette Fondation qui voudrait faire connaître le langage pictural des artistes arabes de notre époque, montrer tout à la fois son particularisme et sa portée universelle».
En pénétrant ces tableaux d'artistes de diverses régions arabes, l'on se rend compte que la quête de liberté dans l'acte pictural, sa genèse et son produit, puise ses sources dans le questionnement de l'identité, des racines. Un processus que l'on connaît bien dans l'histoire de notre art contemporain marocain. Ainsi l'explique Brahim Alaoui dans le beau livre édité à l'occasion de cette exposition, commentant la collection Kinda : «Leur temps est celui d'un espace civilisationnel où les échanges se perpétuent depuis le rivage des origines. Ainsi, la création contemporaine se définit et se révèle dans la tension entre différents modes d'appréhension du réel, entre expérimentation du nouveau et réactivation des sources profondes». Ce livre, cette collection, définissent bien un art contemporain arabe avec ses caractéristiques. Ce que la critique d'art Nicole de Pontcharra souligne dans ses textes entrant dans la composition de ce livre : «Appartenance ici au monde arabe représenté par des créateurs issus de ces terres à la fois étrangères à l'Europe et reliées à l'Occident par le choix même de la forme artistique (...). Mais ici il s'agit bien de peinture et qu'émane-t-il de ce corpus de tableaux du monde que l'on appelle arabe, terminologie qui renvoie à des images mentales ne correspondant pas toujours à la richesse d'une esthétique décelable. Car le monde arabe de la création est à la fois relié à la plus haute mémoire et traversé par les flux d'une modernité provocante et productrice de nouveaux espaces mentaux propices aux rêves les plus futuristes». Cette esthétique, elle la perçoit dans la quête essentielle par le corps, un corps en extase, dit-elle, un corps qui danse. De même, esthétique au niveau de l'imprégnation par la lumière méditerranéenne, de ces artistes «pris dans les mouvements et les couleurs du désert et des profondeurs de la Mer Rouge ou du Golfe», poursuit-elle, et qui «portent en eux le vertige d'une incantation reçue de naissance». Elle cite même Ibn Arabi, en ce qu'il appelle «l'existence de l'impossible» ; ce concept, dit-elle, «sous-tend l'univers de nombreux peintres arabes donnant tout son prix à une recherche tirant l'homme vers le haut».
Mémoire, charmes et mystères

Le livre est illustré des photographies de toutes les oeuvres de l'exposition, photographies dont plusieurs ont été réalisées par le peintre irakien (figurant dans la collection), Dia Azzaoui et par le photographe Philippe Maillard. En s'attardant sur chaque double-page de ce livre où chaque photo d'oeuvre, légendée du nom du peintre, fait face à un texte de son commentaire qui ne mentionne pas la nationalité de l'artiste, on peut s'essayer à la deviner (lorsqu'on ne connaît pas l'artiste), à travers l'oeuvre. Les dernières pages indiquent la date de naissance, la nationalité et le lieu de résidence et de travail de chaque peintre.
Dès les premières pages du livre, une splendide toile de Fouad Bellamine, où la transparence à travers la substance de lumière aux tons délicatement suggérés d'ocre et de vert, voile la silhouette subtile d'une coupole coiffant un cube, évoquant un petit mausolée de paysage du Maroc, terre de sainteté. L'oeuvre est pourtant divinement abstraite. «C'est une lumière blanche reflétée par les parois des mausolées, et qui resplendit entre des arcs de calcaire corrodés par les flots de l'océan», dit le texte. Dans l'oeuvre suivante de Shafiq Abboud, c'est une poésie où se mêle une sorte de passion violente, à travers une allure de paysage dense s'achevant en cascade, qui évoquerait les collines de cèdres du Liban et ses cours d'eau argentés parcourant des forêts parfumées. Quant à la toile du Saoudien Zaman El Jasim, comme la ligne d'une contrebasse voilée par une partition de musique, cela peut faire penser à une symphonie du désert. Pour le Turc Fahrelnissa Zeid, la richesse de composition dans l'abstraction profuse «témoigne de la tradition des miniatures turques et des mosaïques islamiques et byzantines (...) ; il s'agit ici d'un art qui dérive directement des atmosphères odorantes des ermitages de derviches, aux parois desquels sont suspendus des tableaux calligraphiés», commente le texte.
Le chapitre intitulé «Métamorphoses du corps» présentant des oeuvres ou des personnages mythiques ou incarnant le simple individu du quotidien, s'ouvre par un tableau monumental, figuration très contemporaine du Syrien Ahmad Moualla, scène d'allure païenne, foule cérémonielle autour d'un taureau qui attend son sacrifice. Suivent des toiles de Kacimi, avec son mystérieux bonhomme suspendu. On trouvera aussi un charmant tableau de Chaïbia, homme à chapeau au regard étonné, fresque bariolée emplie d'innocence et de bonhomie. Une oeuvre de l'Irakienne Suad Al Attar fait penser au travail de la Marocaine Narimane Alaoui. Un univers magique et onirique, «comme des tapisseries pleines de détails étranges et merveilleux, issus d'une riche imagination» dit le texte. De même que le travail de l'Irakien Fakher Mohammed, dans sa thématique, pourrait être assimilé à celui du Marocain disparu Saladi : «un monde magique plein d'animaux ailés, de poissons qui marchent sur la terre, d'oiseaux qui nagent dans les eaux», lit-on en commentaire.
Dans la partie du livre consacrée au «Signe et Talisman», on trouve de magnifiques oeuvres de Farid Belkahia, de Cherkaoui, du Tunisien Abderrasak Sahli. Ce sont des signes et récits de conteurs, des lettres et chiffres fétiches, des danses de symboles, des voyages dans le passé et les croyances populaires, la sensualité et le mystère pour braver l'incertitude de l'avenir.
Puis encore dans le chapitre «Vestige, Lettre, Ecriture», séduisent notamment un superbe tableau de l'Irakien Dia Azzawi, un autre, très lyrique et spirituel de Rafa Al-Nasiri, Irakien aussi.
Mais la collection est composée d'une centaine de tableaux à contempler à la Galerie Actua. Aucune toile n'est à vendre, c'est un plaisir pour le regard, un voyage en Orient contemporain qui regorge de mémoire, de charmes et de mystères.
Copyright Groupe le Matin © 2025