Le Melhoun, une musique qui a su allier zajal et harmonies
Le Melhoun, à l'origine pure création littéraire, s'est imposé comme un art poétique aujourd'hui connu au Maroc sous le nom de Qassida du zajal. Associé à la musique, le Melhoun s'est très vite propagé à travers le pays où il a acquis une notoriété inégal
Les manuscrits de musique arabe référant au Maroc ne mentionnent pas le terme Melhoun. Ibn Al-Darraj (XIIIe siecle) dans son Kitab Al-Imtaâ Wa-l-Intifaâ fi Mas'alat Samâ Al-Samaâ (Le livre de la jouissance et du Profit de l'écoute de la musique) cite plus de 31 instruments de musique utilisés ou connus au Maroc mais ne fait état d'aucune forme musicale populaire. Plus tard, Al-Wansharisi (mort en 1549) dans sa Urjuza fi T-Tabaâi Wa-t-Tubuâ Wa-l-Usul (Poème sur les Modes), Al-Ha'ik (XVII siecle) dans son recueil Kunnash, ou encore Ibn At-Tayyib Al-Alami dans Al-Anis Al-Mutrib ne font également aucune référence au Melhoun.
Cette absence du terme Melhoun dans la littérature musicologique marocaine ne contredit néanmoins pas l'existence de cette forme musicale basée sur une Qassida (poème) dont le vocabulaire et les tournures de phrases mêlent l'arabe classique vulgarisé et le dialecte marocain. Par ailleurs, des études musicologiques et littéraires récentes montrent en fait que le Melhoun puise ses sources dans les chansons populaires et vraisemblablement dans le zajal. A l'époque des Almohades (1147-1269) et parallèlement aux Muwashshahat, une nouvelle forme apparaît, le zajal marocain ou Lgriha, qui ne tient pas compte des règles de la grammaire classique.
La Harba
Cette forme se voit peu a peu transformée par l'adjonction de nouvelles formules rythmiques et, à l'époque des Mérinides et des Wattasides (1269-1471-1554), Hammad Al-Hamri (XVI siècle) crée la Harba, sorte de refrain qui marque chaque partie de la Qassida. Au XVIe et XVIIe siecles sous les Saadiens, le Melhoun s'enrichit de formes nouvelles: Mubayyat, Maksur L'Jnah, Muchattab et Sousi.
C'est également à cette époque que grandit un mouvement de renouvellement et de création intense qui va marquer la zajal marocain et le Melhoun.
Ainsi naissent les Suruf, procédés subsidaires employés par les chanteurs pour produire plus d'effet sur l'auditoire et surtout pour redresser le rythme. Al-Maghrawi (XVIe-XVIIe siecle) crée, à partir d'un mot sans signification : DAN, des vers qui serviront de base de versification pour les poètes marocains populaires, comme par exemple: «DAN DANI YA DANI DAN DAN YA DAN...»
De même, Al Masmudi (XVII siècle), s'appuie sur un autre mot dépourvu de signification, MALI, pour remplir ce rôle : LALA YA MAWLATI LAL W-YA MALI MALI... D'autres mots, également insignifiants, remplissent une fonction purement rythmique ou versificatrice (rada, sayyidna, lala mawlati...), remédiant ainsi à l'insuffisance du texte dans la phrase musicale.
D'autres apports vont enrichir le Melhoun: l'apparition du zajal sufi avec Ben Yajish At-Tazi et Ben Allal Al Marrakchi à partir du XVII siècle, et la migration des poètes populaires algériens fuyant l'occupation turque.
C'est à Tafilalt qu'émergent les premiers maîtres du Melhoun. D'autres lieux célébres seront aussi des foyers de rayonnement de la forme poètico-musicale: La zawiya (terme désignant la confrérie religieuse et le lieu où elle officie) de Jazuli à Marrakech, le salon privé de Muhamed Ben Sliman au XVIIIe siècle, la Zawiya Sidi Qaddour Al-Alami à Meknès au XVIII siècle, la Zawiya Al-Harraqiyya à Rabat, la Zawiya Al-Chaqquriyya à Chaouen.
La qassida
La qassida du Melhoun repose sur deux éléments essentiels : les ouvertures qui la précédent et les parties qui la composent. Les ouvertures , un prélude instrumental (taqsim) de rythme libre est exécuté en solo sur le Al oud ou le violon s'impose avant l'intervention de l'orchestre qui interprète ensuite une chanson appartenant à l'une des formes reconnues : la sarrâba, le mawwal, la tamwila. La plupart des auteurs de sarrâba étant inconnus, on l'appelle couramment sarrâba hramiya (bâtarde). La sarrâba est une courte chanson interprètée dans le même mode musical que la qassida, et constituée de quatre parties : dkhûl, na'ôura, abyât, radma. Les parties de la qassida sont de deux: Al aqsâm: il s'agit de couplets chantés en solo et entrecoupés par le refrain harba. Al Harba : dont l'origine remonte au XVI siècle, est un refrain repris entre les couplets par les sheddada (groupe de chanteurs et d'instrumentistes-chanteurs). Al dridka peut être considérée de manière simplifiée comme la harba reprise sur un rythme accéléré pour annoncer la fin de la qassida.
Le Melhoun a largement bénéficié de l'influence de la musique andalouse al-âla en adoptant plusieurs de ses modes. On peut distinguer deux catégories, les modes de base qui sont au nombre de six : Istihlâl, Raml El Mâya, Sikah, Iraq âjam, Isbihan, et les modes secondaires : Hsin, Inqilab Raml, Hamdân, Rasd, Mcharqi qui se manifestent sporadiquement dans le courant d'une qassida. A cela s'ajoutent quelques modes en usage au Moyen-Orient : Rast, Bayâti et Sigâh.
L'orchestre du Melhoun, qui ignore les instruments à vent, se répartit en deux groupes : les instruments à cordes et les instruments à percussion. Les instruments à corde : Al oud à six cordes, le violon (kamanja) posé verticalement sur le genou, Al-swisdi ou swisen qui est un petit luth populaire, au son aigü et sec, faisant partie de la famille de l'instrument guembri, puis Al Hajhouj, au son grave, le plus grand des trois instrument de la famille guembri. La persussion (Taârija) est tenue par les munshid (chanteurs solistes) et par les reddâda (chœur) qui jouent en même temps le rôle de sheddâda (percussionnistes) à la ta'ârija, à la darbuka et aux cymbalettes de cuivre handqa.
Source : Maroctunes, les musiques du Maroc.