Naissance de SAR Lalla Khadija

Le bus, endroit de prédilection pour les mendiants

«Aidez moi mes frères, puisse Dieu vous récompenser, je suis indigent, sans ressources, j'ai des enfants.» Si vous prenez le bus dans la capitale, vous tomberez inéluctablement sur un mendiant, l'aspect misérable qui ressassera devant vous la même ritourn

11 Août 2002 À 19:58

La mendicité dans la capitale a pris ces dernières années des proportions alarmantes. Le nombre de ceux qui font la manche a augmenté de façon sensible. Il est rare de ne pas se faire prier par un ou deux mendiants le matin en partant au travail ou en rentrant chez soi le soir. Ils demandent l'aumône avec une insistance qui confine au harcèlement et dérange parfois. Ils sont présents partout, vous risquez de les rencontrer à n'importe quel endroit, au coin de la rue, à la sortie de la banque, à la porte des supermarchés et des boulangeries. Mais l'endroit de prédilection pour mendier reste le bus. En effet, ce moyen de transport représente l'endroit idéal pour les mendiants. D'abord, parce qu'il y a beaucoup de monde- des milliers de personnes prennent les bus chaque jour- et ensuite parce que les passagers ont souvent la monnaie. Mais, demander l'aumône dans le bus présente un autre avantage que les mendiants savent très bien. «Dans le bus, il y a beaucoup de monde et c'est mieux que de rester recroquevillé au coin de la rue à attendre. En plus dans un bus les gens sont généralement assis et n'ont rien à faire, ils sont donc prêts à écouter ce qu'on leur dit. On a donc le temps de leur expliquer à quel point on est malheureux. Ce qui n'est pas le cas dans la rue où les gens sont pressés, et ils n'ont pas le temps d'écouter ce qu'on dit», explique une mendiante. Un jeune enfant quant à lui raconte sur un ton plaintif «mon père est aveugle et c'est moi qui dois lui servir de guide toute la journée. On ne peut pas faire le tour de la ville tout le temps. On préfère monter dans les bus où les gens sont déjà réunis plutôt que d'aller les chercher ».
Et pour susciter la pitié des âmes charitables, tous les moyens sont bons et d'ailleurs les stratagèmes ne manquent pas ; il y a ceux qui vous racontent l'histoire dramatique de leurs vies, l'injustice du destin envers eux et comment les vicissitudes de la fortune les ont rendus indigents. D'autres en revanche préfèrent mettre en avant leur handicap et leur incapacité de pouvoir gagner leur vie. Les aveugles, les manchots et les hémiplégiques, tous répètent la même litanie de prières et d'invocations. Mais il y a ceux qui apparemment jouissent d'une bonne santé et qui disent qu'ils souffrent d'une maladie grave qui nécessite une prise en charge médicale coûteuse à l'image de cet homme, la quarantaine accomplie et qui a l'habitude de mendier dans un bus «frères et sœurs, vous êtes mon dernier espoir, je ne suis pas de la ville de Rabat. Quand j'étais petit j'ai attrapé une maladie qui a bousillé mon appareil urinaire. Maintenant, si je veux continue à vivre il me faut cette ceinture médicale qui coûte 700 DH, c'est pour quoi je vous implore de m'aider », a -t-il l'habitude de raconter les yeux larmoyants.
Une autre catégorie de mendiants est apparue ces dernières années, il s'agit généralement de jeunes enfants, qui distribuent aux passagers de bus des bouts de papiers sur lesquels on peut lire par exemple : on est cinq frères et sœurs, notre père est mort, notre mère est malade et on est sans ressources. Aidez nous, seul le bon Dieu saura vous récompenser. Puis ils ramassent les bouts de papier et quelques pièces de monnaie avec sans dire un seul mot, mais il faut dire que cette technique de mendicité par écrit est beaucoup moins efficace que les autres parce que les gens sont plus sensibles quand on leur explique oralement et par des intonations de voix le problème et puis un minimum de mise en scène est toujours nécessaire.
De temps en temps, les chauffeurs et les receveurs, excédés, les empêchent de monter dans le bus parce qu'ils dérangent les passagers et quand le bus est bondé- ce qui est souvent le cas, ils les gênent. «le vendredi, le nombre des mendiants se décuple. Pendant ce jour , les gens sont plus enclins à donner l'aumône et bien sûr les mendiants en profitent et inventent toutes sortes d'adjurations et de prières pour susciter le pitié», raconte un receveur de bus. Mais il faut dire que parfois, les mendiants en font trop et à peine que l'un descend, l'autre monte. A la longue, cela devient insupportable comme le souligne cet homme «ce ne sont pas des bus mais de vrais murs de lamentation. On revient le soir harassé à cause d'une dure journée de travail et qu'est qu'on trouve ? des mendiants qui vous harcèlent. Parfois j'ai envie de les aider mais ils insistent d'une façon impertinente qui dissuade même ceux qui sympathisent avec eux.»
Le vrai problème, c‘est qu'il y a des personnes qui s'adonnent à la mendicité alors qu'elles possèdent assez d'argent qui leur permet de vivre dignement. Mais paraît-il et à en croire les oui-dire, cette activité rapporte beaucoup. Il est vrai que la crise économique est aiguë et que le taux de chômage est un peu élevé, mais de plus en plus de personnes s'adonnent à cette activité par fainéantise. Il suffit de perdre la face, de d'apprendre par cœur quelques invocations et le tour est joué.
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