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Les chemins de l'art : Le génie chinois

Dans les images que la télévision nous a transmises du grand voyage de S.M. le Roi en Chine, nous avons aperçu quelques œuvres de l'art chinois, notamment un immense paysage qui occupe tout le mur de fond de la salle de réception officielle. Un paysage ty

14 Février 2002 À 17:22

Nous savons évidemment que les chinois sont un peuple habile, et raffiné. Notre grand voyageur Ibn Batouta nous a déjà renseigné sur les capacités quasi magiques de ses artisans. Un autre voyageur, occidental celui là, Henri Michaux, peintre et écrivain, nous confirme les talents innés des Chinois, dans son livre de voyage «Un barbare en Asie : «Le peuple chinois est artisan-né, écrit-il, tout ce qu'on peut trouver en bricolant, le Chinois l'a trouvé. La brouette, l'imprimerie, la gravure, la poudre à canon, la fusée, le cerf-volant, le taximètre, le moulin à eau, la circulation du sang, et quantité d'autres choses... En Chine pas une chose ne soit habileté». Les récents films qui nous sont venus de l'espace chinois nous ont montré combien un cuisinier est capable d'inventions, et même les bandits, dans «Tigres et dragons», possèdent des qualités techniques guerrières et sportives superbes.
Mais ce qui nous importe le plus, c'est la subtile relation du Chinois avec la nature. Il n'aime pas le soleil tapageur, mais la lune argenté, et si possible le reflet de celle-ci sur l'eau calme d'un lac de montagne. Le Chinois est habité d'une seule et unique passion : la recherche de l'harmonie. Quand il l'aperçoit dans un paysage, quand il l'écoute dans le chant d'un oiseau, il peut cesser tous ses activités, pour s'en imprégner totalement, comme Confucius selon la légende, qui resta trois mois sans pouvoir manger pour goûter encore, une mélodie, lui si sévère pour ses émotions. Tous les surnoms sont aussi si évocateurs de cette subtile reconnaissance dans la nature : Jade-bleu, Melle Abricot, etc.
Donc le Chinois est attentif, il accueille la nature ; c'est elle qui agit en lui, il n'a pas cette mauvaise prétention de la contrarier, et quand il décide d'agir, il crée un monument à la mesure de sa puissance : une très longue muraille, pour empêcher des barbares d'arriver à lui. Ensuite il redevient contemplatif et dit par le voix de son poète Li-Po :
«Bleue est l'eau et claire la lune d'automne
Nous cueillons dans le lac du sud des lis blancs
Ils paraissent soupirer d'amour
Remplissant de mélancolie le cœur de l'homme dans la barque».
Le peintre fait de même, il représente une expérience du paysage et non une réalité immédiate de la nature. Historiquement, c'est entre le 7 et le 10 siècle, quand des artistes réfugiés à la campagne pour éviter de ce mêler à des événements politiques houleux, que l'art du paysage est né. Ils observèrent attentivement les montagnes de Hua et les coudes du Fleuve Jaune. La composition est toujours dominée par un majestueux sommet, d'où tombe une chute d'eau qui se précipite vers le pied des collines brumeuses, des hommes progressent dans cette nature qui les domine. Le grand Faukuan réduisait la taille des humains, même en les plaçants au premier plan de ses paysages magnifiques sereins et éternels. Pour traduire d'une façon sublime l'apparence visuelle des arbres et des rochers, les peintres du 11 siècle recouraient à des effets de texture par des coups de pinceaux qui ne soulignent pas les contours mais plutôt qui contrarient les formes. Gaoxi (1000-1090) laisse un vrai traité de la peinture du paysage dans son tableau célèbre «Printemps précoce». Le paysage apparaît comme l'addition harmonieuse entre des éléments distincts, par leurs effets sur l'âme du contempteur. Une distance est exprimée ainsi par des attentions particulières données à la hauteur et à la profondeur : le paysage est une créations et non une représentation du réel. La hauteur est représentée par un sommet central encerclé de brume, la profondeur est suggérée par des constructions qui s'adossent à une lointaine chaîne de montagne.
Un autre Gao, le prix Nobel de la littérature 2000, est aussi peintre, et nous avons eu l'occasion d'admirer ses belles encres. Il a écrit dans le catalogne de son exposition 2001, ceci : «Empreint de poésie, l'état d'âme (d'un Chinois) ne s'adresse pas au lyrisme, il réside plutôt dans le paysage pour atteindre l'esprit. Il vient d'abord de la contemplation». L'art chinois est donc cette capacité à mettre à disposition, à tout instant, les mystères de la nature, un génie nourrit de l'extrême d'attention et de la justesse absolue.
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