Naissance de SAR Lalla Khadija

Momo Wandel Soumah, le jazzman tambourinaire

Le théâtre Mohamed V de Rabat a vibré cette semaine à un événement culturel de taille. Il s'agit du concert donné, jeudi dernier, par le saxophoniste guinéen Momo Wandel Soumah. Directeur musical du Circus Baobab et invité à l'initiative du réseau des éta

05 Octobre 2002 À 18:36

Son chant est celui de son saxophone, son souffle est celui d'un septuagénaire plein de sagesse et de furie. Ceci a suffi pour séduire les spectateurs, de tout âge, qui ont afflué ce soir du 3 octobre sur le théâtre
Mohamed V pour découvrir l'un des artistes les pus créatifs du continent africain. «On a entendu parler de la tournée très réussie du Circus Baobab en Europe et on est venu voir son chef qui en assure, effectivement, la direction musicale», s'exprime l'un d'eux.Influencé par les grands compositeurs du jazz noir américain comme le Yard-Bird William John Coltrane, Ornette Coleman et le pionnier du bi-bop Charlie Parker, Momo Wandel reflète, par le biais de ses compositions, le souci d'une sonorité originale et la mise en valeur spécifique du rythme, le swing. Le spectacle doit surtout son ingéniosité à ce mélange original de la musique jazz avec celle, plus traditionnelle de l'ethnie d'origine de M.Wandel. Résultat : un chef-d'œuvre musical. Plus encore, les instruments traditionnels qui ont accompagné le concert comme le balafon (instrument à percussion de l'Afrique noire qui ressemble au xylophone) ont fait preuve, grâce aux talents des musiciens, d'extraordinaires capacités expressives. Laye Kamara, Ibrahima Sory, Abdoulaye Kouyate… ont tous réussi un jeu bouillonnant où se rencontrent la primauté de la pulsion vocale, l'expressionnisme du son et surtout l'identification de l'instrument à la personne du musicien. Ce qui a donné un balancement rythmique vivant et souple. Une grande dimension euphorique qui engendre chez l'auditeur la sensation de rebondir d'un temps sur l'autre, d'être continûment " balancé ” sans la moindre crainte d'une rupture qui troublerait son bonheur. Les spectateurs ont pu également admirer les danses frénétiques de Fanta et Fifi. Dotées d'une époustouflante agilité, les deux danseuses ont enveloppé, par leurs chœurs comme par leurs corps, le spectacle d'une aura sentimentale et spirituelle.
Et comme la tradition de cet orchestre veut que chaque chanson raconte un fait, le public a suivi avec plaisir l'histoire de Yari, un personnage populaire de l'imaginaire guinéen.
Il s'agit d'une jeune femme dont les parents, pour des raisons d'argent, l'ont privée de son bien-aimé Ossman pour la marier de force à un sexagénaire. La nuit de noces, la jeune femme caresse le vieillard mais celui-ci, gagné par sa décrépitude, reste indifférent et somnolent. Lasse et courroucée, Yari lui tranche le sexe avec un couteau. On l'entend gémir «je ne suis pas là à tresser la barbe des vieux» !
Les paroles des chansons étaient toutes en dialecte guinéen mais le chef de l'orchestre, malgré son âge avancé (76 ans) a su, avec brillance, communiquer avec son public qui répondait par de fortes acclamations.
C'était donc un spectacle qui a fasciné même ceux dont le jazz n'était pas leur tasse de thé : «le jazz ne m'a jamais intéressé mais ce que j'ai écouté aujourd'hui me fera sûrement changer d'idées» affirme une jeune spectatrice, l'air enthousiaste.
En fin de soirée, les spectateurs, subjugués par la star, répètaient après elle : Rabat Ohé ! (merci en guinéen). Quant à nous nous disons à ce jazzman talentueux: Momo Ohé !
Pour terminer Momo Wandel Soumah répond à nos questions sur son parcours artistique et sa vision de l'art qu'il pratique avec brio et finesse.
Quels étaient les débuts de votre parcours artistique ?
Mon parcours artistique et très long. C'est dû à mon âge, j'ai 76 ans. J'étais au PTT pendant la seconde guerre mondiale. J'y travaillais comme opérateur radio, j'ai fait après la station côtière, l'aviation…En même temps, j'apprenais quotidiennement la musique. Après le travail administratif, on organisait, dans mon pays, des soirées dansantes. On peut dire que c'était le début de mon histoire avec la musique.
Quel est l'événement de votre carrière qui vous a particulièrement marqué ?
C'est lorsque la Guinée a opté pour l'indépendance en 1958. On s'est organisé parce que après le grand Non, les Français ont tout pris et sont partis. Il fallait donc qu'on se refasse. On a fait des institutions nous-même. Je suis resté opérateur-radio jusqu'en 1959 où on a fait une réforme artistique suite à laquelle on m'a détaché des PTT pour m'affecter au ministère de la Culture vu mes talents artistiques. J'étais musicien à l'orchestre national Keletigui Tambourini à Conakry, créé au lendemain de l'indépendance. J'y jouais du saxophone, de la clarinette, de la guitare…La fin du régime militaire a laissé la porte ouverte à chacun pour faire ce qu'il veut. Je me suis intéressé aux instruments traditionnels tels que le balafon, le bolon… Maintenant, j'appartiens à mon orchestre personnel Momo Wandel Sextet.
L'originalité de votre musique tient au fait que vous avez mêlé le jazz à la musique guinéenne traditionnelle. Quel effet cherchez-vous à dégager à travers votre œuvre ?
Vous savez le jazz proprement dit ça vient de l'Afrique…Nous les noirs on a ces rythmes dans le sang. On n'avait ni les moyens ni les écoles, on se payait les disques de jazz qu'on écoutait à l'époque sur le phonographe (rire).
Avec les instruments traditionnels, on voulait et on est arrivés à faire notre folklore et puis cet orchestre qui a vu le jour il y a cinq ans.
Le public a beaucoup aimé votre musique, vos chants mais il a aussi été agréablement surpris par le talent d'acteur de chaque individu du groupe. On a l'impression que chaque chant est en soi une pièce théâtrale où on reconnaît le héros, l'héroïne…
Effectivement, on essaie d'expliquer le contenu, les mots par la forme c'est-à-dire des gestes et des danses. Et n'oubliez pas que chaque chanson correspond soit à un événement qu'on veut célébrer soit à une pratique qu'on tient à dénoncer comme la violence, le mariage forcé…
Vous avez chanté en dialecte guinéen mais chaque mot avait son impact et vous avez enfin pu établir une interactivité avec le public. C'est la preuve que la musique est un langage universel ?
Bien entendu, moi, par exemple, j'écoute avec un grand plaisir les Gnawa , la musique arabe…, je les sens proches parce que c'est universel.
Le spectacle que vous allez présenter au public ce week- end s'inspire d'une légende guinéenne ; vous en avez composé la musique. On a l'impression que vous cherchez toujours à puiser les éléments de votre chant dans le patrimoine artistique de votre pays.
Il faut savoir que l'imaginaire guinéen et africain en général est très riche et on peut toujours y puiser des légendes qui ont, malgré leur caractère fictif, marqué la mémoire collective et continuent toujours à fasciner le grand public.
Comme vous, vous avez Ali Baba, nous on a le singe tambourinaire, Tamoa golyo… Ces contes se transmettent de l'un à l'autre et c'est ce qui constitue notre école.
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