Nouvelle configuration d'imperium ?
Rome sied bien à l'événement que les commentateurs ont vite fait de reconsidérer et de juger qu'il était bel et bien le véritable scellé de la fin de la guerre froide alors que la chute du mur de Berlin (die Maur…) était jusque-là la date repère admise.
LE MATIN
29 Mai 2002
À 20:25
La capitale italienne réunit à propos de ce mariage OTAN-Russie d'une part l'antique symbole d'un Occident impérial reconstitué (la Russie retourne-t-elle à son credo ?), très enfoui dans la mémoire collective, définissant ainsi la recomposition d'un nouvel espace stratégique occidental et, d'autre part, le rappel qu'elle est le berceau d'une Europe contemporaine à la recherche d'une unité et de son homogénéité territoriale et stratégique (se faisant à l'Est après avoir puisé ses extensions au Sud, à l'Ouest et relativement au Nord).
Le «Conseil OTAN-Russie» consacre un véritable tournant d'une portée stratégique considérable à dimensions multiples : elle renouvelle les dimensions militaires des Etats européens et de leurs armées nationales (et de l'issue de la coordination à l'échelle européenne); marquera une réévaluation de la donne entre les Etats-Unis et l'Europe et de la Russie elle-même, avec l'Europe mais davantage avec Washington.
On a surtout mis en avant ce qu'exige les défis des partenaires (c'est désormais le terme adéquat pour désigner l'attribut des parties au sein de ce Conseil né en ce printemps 2002) : la lutte contre «la terreur globale» considérée comme la «nouvelle menace totalitaire» et l'urgente nécessité de la non-prolifération nucléaire (dont l'actuelle tension indo-pakistanaise montre l'acuité).
Parler d'un nouveau paradigme stratégique n'est pas exagéré si le terme stratégie correspond bien à la définition du général Beaufre «l'art d'employer la force ou la contrainte pour atteindre les buts fixés par la politique». Au regard de ce nouveau mécanisme entre partenaires au sein du conseil OTAN-Russie, la règle consensuelle est de rigueur et celle-ci implique un changement radical dans les rapports entre ce triangle Europe-Amérique et Russie dans la gestion des espaces sous contrôle.
Reconstituer les composantes
C'est un tournant décisif qui vient de se produire si l'on veuille bien en reconstituer les composantes à partir du passé et surtout des donnes considérées comme les défis évoqués (terrorisme et prolifération nucléaires).
En effet, à partir de 1945 et jusqu'en 1990, la stratégie alliée visait à repousser une éventuelle attaque soviétique en Europe, théâtre principal des opérations, et à contenir ou affaiblir l'influence communiste sur les autres continents, Asie, Afrique, Amérique latine.
L'implosion de l'Empire soviétique et la crise dans laquelle est plongée la Russie ont imposé à l'Alliance Atlantique, sous l'impulsion des Etats-Unis, et aussi de la France, une révision de leur stratégie.
La première réaction fut, naturellement, d'encaisser rapidement ce qu'on a appelé «les dividendes de la paix». Ainsi, les Etats-Unis ont-ils réduit massivement leurs effectifs en Europe (335.000 hommes en 1990; 150.000 hommes en 1995 et moins de 100.000 hommes en 2000), les Etats européens se sont engagés dans la même voie comme c'est le cas de la France.
La nouvelle situation géopolitique posait la question de l'avenir de l'OTAN dont la raison d'être - défense militaire de l'Europe occidentale contre l'URSS - avait disparu.
On aurait pu penser que l'organisation, à défaut de disparaître, entrerait en sommeil. Il n'en a rien été :
- D'abord, parce que les Américains veulent garder le plus puissant moyen d'action directe qu'ils ont en Europe - et aussi parce que les pays de l'Est, libérés du joug soviétique, continuent de craindre la Russie qui leur a souvent imposé sa loi.
Pour se protéger, ils ont donc voulu entrer dans l'OTAN et le 12 mars 1999, trois y sont admis : Pologne, Hongrie, République tchèque et la liste s'est allongée depuis.
Mais l'OTAN élargie ne pouvait survivre qu'en se rénovant.
Pour les Etats-Unis, cette rénovation est d'une conception limpide à partir de deux objectifs :
- Etendre la zone d'action au-delà des frontières des membres de l'Alliance.
Selon le secrétaire d'Etat américain (démocrate) Madeleine Albright, l'OTAN doit devenir «une force de paix, du Moyen-Orient à l'Afrique centrale»;
- Ajouter aux missions de l'Alliance définies par l'article 5 du Traité- c'est-à-dire la défense collective des Etats membres contre une agression extérieure (invoqué «vainement» après le 11 septembre)- la gestion des crises et les conflits régionaux sans en référer nécessairement aux Nations unies.
Ce fut le cas du Kosovo.
Tel est le «nouveau concept stratégique» proposé par les Etats-Unis à l'occasion du 50e anniversaire de l'Alliance, célébré en 1999.
Il est donc tout à fait clair que la création d'un Conseil OTAN- Russie admettant cette dernière comme partenaire (plutôt que membre de l'OTAN) est une formule suis generis de compromis qui sauve l'honneur de la Russie mais la soumet néanmoins au «nouveau concept stratégique».
Il faut se rendre à l'évidence que le «partenariat» a déjà ses périodes de test dans la «gestion des crises régionales»: à Madrid pour le Moyen-Orient ayant conduit néanmoins, Via Oslo a décrété le monopole américain; dans les Balkans d'une manière relative; en Afghanistan après le 11 septembre puisque l'appui logistique de la Russie était décisif mais a donné aussi à Moscou un sauf-conduit pour traiter sa «lutte contre le terrorisme» en Tchétchénie en toute quiétude.
Il n'est pas sans importance de retenir que cette conception stratégique de l'OTAN, renforcée par le partenariat russe, sera déterminante puisqu'aux deux volets urgents et impératifs (lutte contre le terrorisme et prolifération nucléaire) tous les points chauds d'un espace crucial sont soumis au consensus OTAN-Russie.
Il importe de savoir comment réagira désormais Moscou dans le dossier nucléaire face au démantèlement de ses propres équipements hérités de l'ancien pôle soviétique, face à ses rapports avec des pays voisins que les Américains considèrent comme «voyous» (l'Iran postulant à une coopération technologique dans ce domaine avec la Russie; l'Irak pour les «armes de destruction massives» et enfin le conflit indo-pakistanais, la Russie ayant des relations plus affirmées avec l'Inde...).
Cependant, une perception trop américaine de cette «gestion régionale des crises» mettrait dans la posture inconfortable la Russie, voire même l'Europe que Bush, dans sa tournée européenne, a essayé de persuader sur le dossier «Irak», s'en tenant à sa détermination d'en découdre avec le régime de Saddam Hussein.
Le Moyen-Orient n'est pas du reste dans sa portée «israélo-palestinienne ?».
Les prochains mois décideront-ils du poids réel d'un «Conseil OTAN-Russie» sur des questions si brûlantes mais interdépendantes puisqu'au vu de la question du terrorisme, le Moyen-Orient s'est étendu en réalité vers l'Asie centrale ? Les effets du 11 septembre n'ont pas encore fini de bouleverser les donnes géostratégiques au moyen desquelles l'Amérique réaffirme son imperium.