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Relancer le cinéma marocain

A l'heure où le cinéma marocain est dit en crise, le Megarama de Casablanca, qui a ouvert ses portes fin mai, annonce un succès progressif mais encourageant. Quel rôle pour le premier multiplexe du continent entend-il jouer au Maroc ?
>Lors de l'ouvertu

12 Novembre 2002 À 16:50

Mais en matière de cinéma, quelle est votre politique ?
Notre objectif essentiel est de relancer le cinéma au Maroc : c'est précisément parce qu'il est en crise que Jean-Pierre Lemoine, fondateur et PDG du Megarama, a fait le pari d'implanter ce multiplex.
Le Maroc est un pays de cinéma où l'on a perdu le goût de sortir au cinéma. Dans les années quatre-vingt, on comptait plus de vingt millions d'entrées, contre moins de dix millions aujourd'hui (d'après le CCM, Centre Cinématographique Marocain). Pendant des années, on a toujours servi la même chose aux spectateurs, ils en ont eu assez. Le cinéma indien représente 80% des entrées du Royaume, ce qui lui permet d'être présent également dans la production, la distribution... Sa puissance est telle qu'elle pourrait tourner au monopole. A côté, on n'a pratiquement que des films américains. Le gros problème au Maroc, c'est la diversité.
Au Megarama, avec quatorze films par semaine dont quatre ou cinq nouveautés, vous avez les moyens de cette diversité. Comment comptez-vous l'organiser ?
Le principe d'un multiplex est de proposer des films pour tout le monde. Une grosse partie de notre programmation est constituée de blockbusters américains parce que c'est ce qui marche le mieux. Surtout auprès des adolescents :
la jeunesse dorée de Casablanca, qui vient en masse le week-end, est très fidèle et vient tout voir. La preuve : les films qui ont bien marché sont Spiderman, Le Journal de Bridget Jones, The Score, et maintenant, Minority Report. Mais cela nous permet de proposer des films comme Huit Femmes, Callas Forever et, prochainement, Le Pianiste, qui n'auraient pas forcément été programmés ailleurs. Ou de remettre à l'affiche des films comme Shrek, qui n'est pas resté assez longtemps dans les salles marocaines. Nous pouvons donner leur chance à tous les films. On achète aussi ceux dont personne ne veut, non pas pour la rentabilité mais pour le prestige.Maintenant, il nous faut développer la programmation en faveur des cinéphiles, des familles, qui viennent plutôt la semaine. Leur proposer davantage de films d'auteurs, de films européens, et plus de versions originales. Car ici, les gens sont très souvent au moins bilingues, voire trilingues ou quadrilingues. Il y a donc un vrai public pour la v.o.
Comment allez-vous, concrètement, soutenir le cinéma marocain ?
Il faut commencer par relancer la production.
C'est le rôle du CCM. Cette année, il y aura peut-être huit films marocains. Si l'on veut sortir le cinéma dans ce pays de la crise, il faut d'abord en produire davantage. Les gens ont envie de voir des productions locales. Une des missions du Megarama est de donner un coup de main à la production, par des subventions, des partenariats avec de jeunes talents, en aidant des écoles qui formeraient aux métiers du cinéma... En ce qui concerne la distribution, elle a été un petit peu relancée depuis notre arrivée. Mais nous sommes obligés d'être également distributeur afin de pourvoir toutes nos salles, alors qu'à l'origine, nous ne sommes qu'exploitants.
Qu'en est-il de la programmation de films marocains ? Pourquoi un film comme Et Après ? de Mohamed Ismail n'est-il pas passé au Megarama ?
Nous avons voulu programmer ce film, que je trouve très bien, mais on nous l'a refusé. On a 0demandé au distributeur de choisir entre le Megarama et les Dawliz... Nous avons donc loupé le premier film marocain de l'année. Et nous n'aurons pas non plus le deuxième, Les amants de Mogador, car il est réalisé, produit et distribué par Monsieur Ben Barka lui-même. Ce film sera donc à l'affiche des Dawliz.
Comment réagissent les autres salles face au Megarama ?
Nombreuses sont en difficulté, alors elles se sentent menacées. Mais elles ne le sont pas. Plutôt que de proposer la même chose que Megarama, elles devraient diversifier leur offre, programmer du cinéma d'art et d'essai, du cinéma d'auteur, comme le font les salles hors-multiplex dans n'importe quelle grande ville en France. De toutes façons, avec six millions de personnes à Casablanca, il y a de la place pour tout le monde, et une clientèle pour tout le monde. Au lieu de se la disputer, mieux vaudrait travailler ensemble, l'agrandir, et se la partager. Avec 400 000 personnes susceptibles de consommer du cinéma et 100 000 sûres, il y a de quoi faire.
Que faites-vous de ceux qui ne peuvent s'offrir le billet du Megarama ?
La question des tarifs revient souvent. Mais les jeunes des quartiers populaires n'ont pas les moyens, de toute façon, d'aller au cinéma, excepté peut-être dans les petites salles à dix dirhams. Et pour les gens qui ont l'habitude d'aller au cinéma, la différence de prix n'est pas si grande. Cela dit, c'est vrai que nous avons essentiellement une clientèle huppée que nous cherchons à fidéliser. De même que les cadres supérieurs, cadres et employés qui ne fréquentent pas les salles populaires. Ici, ils trouvent la qualité, le calme, un haut standing. Les billets numérotés, créés spécialement pour le Maroc, en sont un exemple.
Mais ces billets numérotés sont contraignants : on ne peut plus choisir son siège, il faut prendre sa place en même temps que ceux qui nous accompagnent...
C'est vrai. Mais ils permettent d'acheter son ticket à l'avance, d'arriver sans stress, sans faire la queue, sans bousculade. Cela fait partie de notre image, que nous soignons beaucoup. D'ailleurs c'est aussi cette image et le cadre qui attire au Megarama : certains viennent uniquement pour prendre un café à nos comptoirs ou pour retrouver des amis. On commence à se donner rendez-vous sur l'esplanade... C'est exactement ce que nous souhaitions : que Megarama devienne un lieu de rencontre pour tous les Casablancais. C'est le plus important.
Quelles sont vos attentes ?
En général, que le CCM se restructure, donne des subventions et encourage la production.Sinon, l'urgence est de réduire l'écart entre la sortie des films en France et la sortie au Maroc, tout le monde y trouvera son compte. Il faut que les distributeurs comprennent : en un mois, le public a le temps de voir le film sur des cassettes piratées ou à l'étranger. Même s'il retourne au cinéma ensuite, c'est quand même un problème de ne pas sortir à l'heure. C'est comme les bandes-annonces : elles arrivent beaucoup trop tard. La seule solution serait d'organiser des sorties différées.
Le Megarama n'a-t-il pas un pouvoir énorme par rapport aux autres salles ?
Certes, mais le monopole ne nous intéresse pas. On n'est pas, comme beaucoup l'ont cru, le géant américain qui arrive avec ses gros sous pour tout rafler. On est gros pour tirer les autres vers le haut, pas pour les enfoncer. Megarama est une société marocaine qui amène en pleine crise un modèle qui fonctionne : avec 15 000 à 20 000 entrées par semaine, nous commençons à atteindre nos objectifs.
Et pour l'avenir ?
Nous allons nous développer : notre seuil de rentabilité est situé à 1,5 million d'entrées en un an. Nous devrions y arriver. Après l'ouverture d'un multiplex à Marrakech et d'un à Rabat, on en imagine un ou deux autres à Casablanca. Le processus est lancé.
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