Fête du Trône 2006

Reportage : Bejaad, la Zaouia devenue ville

«Sans le darih de Sidi Bouabid Cherki, Bejaad ne serait plus Bejaad. C'est à la Zaouia cherkaouia que nous devons notre célébrité. Le patrimoine oral, spirituel et historique de Bejaad doit aider la ville à se développer ”. Le constat de Abdelillah Bentab

11 Août 2002 À 18:08

Cité historique construite en 1601 par Sidi M'hamed Cherki et dont les murs des étroites ruelles de l'ancienne médina suintent de cinq siècles d'histoire, mais aussi ville longtemps livrée à elle-même, ses habitants oubliés et soumis à la précarité. Le directeur de ce trimestriel, fait par une petite équipe de volontaires, a raison de parier sur le rayonnement spirituel de sa ville. Tous les ans, à l'occasion du moussem de Sidi Bouabid Cherki et du pèlerinage de tous les Cherkaoua venus de partout, une foire est organisée. Selon les chiffres officiels, 150 000 visiteurs font le déplacement. Et pour les Bejaadi, le moussem, sous l'égide bienveillant du Saint patron de la ville, est la meilleure des promotions des produits du terroir. On y fait alors commerce de l'artisanat, de tissage, mais aussi de produits industriels. La ville sort de son isolement et l'argent circule.
Mais la vie est difficile pour les 39 000 habitants de Bejaad. En ce début de juin, l'aridité du climat a pris ses quartiers. Il faut encore attendre plusieurs années pour que les 250 hectares de ceinture verte parviennent à donner un peu de fraîcheur. Au loin, les montagnes du Moyen-Atlas se dressent comme pour rappeler au visiteur la rudesse d'une vie difficile et d'un quotidien laborieux. Pourtant, l'emplacement de la ville est stratégique. Toutes les monographies qui lui sont consacrées le proclament. La situation géographique de la cité permettait tous les espoirs. Bejaad a été édifiée à 53 kilomètres au sud de Beni Mellal. Sur son flanc est, et à 80 kilomètres, se trouve Khénifra tandis que la grande Casablanca est à moins de 200 kilomètres. Pourquoi alors Bejaad s'est-elle longtemps ruralisée, ses fils partis et sa population oubliée des politiques de développement ? Les pistes de réponse sont multiples mais toutes difficiles à comprendre.
Une stratégie sur 20 ans

Il fallut attendre 1992 et tout l'amour d'un Bejaadi pour sa ville pour que la Zaouia cherkaouia ne soit plus seulement un moussem, un lieu de pèlerinage, une étape sans lendemain pour tous les nostalgiques de la cité qui font parfois le voyage depuis les Etats-Unis –Bejaad avait une communauté juive importante- " pour se ressourcer ”. Habib El Malki, député de Bejaad depuis 1993, n'a jamais été un fils prodigue. La maison paternelle de ce dirigeant usfpéiste est toujours dans la médina, à un jet de pierres de la Zaouia. Il y passe de longs week-ends de travail, tient porte et table ouvertes. Le fils n'est jamais vraiment parti et depuis qu'il représente les Bejaadi sous la coupole, le député s'est appliqué doucement mais sûrement à transcender le concept de Zaouia pour le transformer en espace urbain et, surtout, à désenclaver la région. " La crédibilité d'un député en milieu rural reste fortement déterminée par sa capacité à l'enracinement. Le secret de la représentation nationale, c'est de la conforter par une démocratie participative au niveau local. La démarche politique qui est la mienne consiste à légitimer la représentation nationale non pas par le discours sous la coupole mais par l'action participative. Ce sont-là les exigences propres à la députation rurale ”, explique Habib El Malki, depuis le grand salon de la demeure paternelle, très vite devenu QG de campagne et salle de réunions.
Pour sa ville, Monsieur le député a cogité une stratégie à long terme. Une feuille de route sur 20 ans –1992/2012-qui est, affirme-t-il " la combinaison créatrice d'une synergie optimale à court et moyen termes sur fond d'une perspective lointaine, celle de 2012 ”. Aujourd'hui, à mi-chemin de son grand dessein, cet ancien ministre de l'agriculture égrène les réalisations, le travail accompli et continue de parier sur la durée. Projets structurants en milieu rural et dans la ville, développement de l'infrastructure économique et sociale, édification de zones d'activités, creusements de puits, etc, Bejaad est un grand chantier et une ville qui a placé le combat pour le désenclavement aux premières lignes. " Depuis que la municipalité est dirigée par une équipe usfpéiste, il y a eu un investissement public de plus de 80 millions de dirhams pour la construction d'une gare routière, d'une polyclinique ouverte depuis 8 mois, d'un tribunal en attente d'inauguration ou encore d'un souk hebdomadaire à la sortie de la ville. Il faut également ajouter que l'équipement en réseaux d'assainissement, en eau potable et en électricité a connu un développement soutenu aussi bien dans l'ancienne médina que dans les quartiers périphériques ”, déclare fièrement un édile de la ville avant de rappeler que " Bejaad a pu avoir un nouveau plan d'aménagement qui va lui assurer un développement urbain et économique harmonieux ”.
A la maison de jeunes de Bejaad, les animateurs tentent difficilement de combler un vide culturel criant. " Nous sommes continuellement confrontés à la pauvreté et au désespoir des jeunes de la ville qui ne croient plus en rien. Ici, le chômage des jeunes atteint des proportions alarmantes ”, confie le directeur de la maison des jeunes, Abdelillah Mahaddab. Nommé en 1993 à la tête de cette structure qui dépend du ministère de la jeunesse et des sports, M. Mahaddab s'est tout d'abord attelé à réhabiliter la maison de jeunes qui menaçait ruine. Puis, il a fallu mettre en place un programme culturel, des animations, bref faire vivre cet espace destiné à la jeunesse de Bejaad. Le député de la ville et son conseil municipal ont beaucoup contribué à cette reconstruction, reconnaît le directeur, mais tout n'est pas toujours rose. La maison de jeunes travaille de concert avec une douzaine d'associations locales, organise tous les ans des rencontres dédiées au théâtre et à la poésie, abrite des cours de soutien mais aussi d'informatique dispensés pour des sommes modiques. Un club pour l'alphabétisation des femmes a également vu le jour. Une goutte d'eau dans un océan de désespoir dans une ville plutôt conservatrice. " Les jeunes de la ville ne pensent qu'à leur quotidien qui, disent-ils, ne change pas. Pour eux, la transition démocratique n'a de sens que si elle parvient à changer leur vécu ” confie Abdelillah Mahaddab.
Alors, les jeunes Bejaadi ne font qu'un rêve, celui de partir " pour trouver du travail et gagner un peu d'argent ”. Ici, on parle volontiers de cars entiers de jeunes partis vers les provinces du sud pour se faire pêcheurs. " Des jeunes qui n'ont parfois jamais vu la mer et qui on pourtant saisi cette opportunité pour s'en sortir ”, commente un jeune de la ville dont les habitants ont tous " un cousin parti en Amérique, en Italie ou encore dans un pays du Golfe ”.
Difficile de comprendre le nouveau mode de scrutin !
Et ceux qui restent essaient difficilement de résister au désoeuvrement. Pour ne plus tenir le mur, certains se risquent à monter des petits projets et prennent conseil auprès d'une cellule d'information et d'assistance à la création d'entreprises qui a ouvert ses portes à Bejaad grâce à un don suisse. Fatima a 29 ans. Elle a fait l'expérience de la création de la micro-entreprise en 1995. Devenue mécanicienne après une formation, elle a tenté d'ouvrir un garage de réparation de véhicules avec un petit groupe de sa promotion. " Nous avions monté ce projet sous forme de coopérative. Cela a marché pendant deux mois puis je suis partie car je ne voulais pas tremper dans les magouilles de mes camarades ”, se souvient-elle avec amertume tout en regardant défiler ses sept années de chômage.
Les années de sécheresse ont traversé comme un ouragan cette région où l'élevage des brebis de race jaune et la céréaliculture sont les premiers pourvoyeurs d'emplois. «Et comme si la sécheresse ne suffisait pas, il a fallu mener tout un programme d'épierrage pour lutter contre la charge caillouteuse des terres de Bejaad et améliorer le parcours sylvo-pastoral», indique le directeur du centre des travaux agricoles, Mohamed El Allam. " Les jeunes ne sont plus intéressés par l'agriculture. Un travail qu'ils jugent trop difficile et ingrat. Ici, l'âge moyen de l'agriculteur est 56 ans, ” soupire-t-il.
A Bejaad, l'attente des élections est loin de se vivre dans la fébrilité. Beaucoup des citoyens que nous avons rencontrés déclarent " ne rien comprendre au scrutin par liste et encore moins aux symboles adoptés par les partis ”. " A Bejaad et dans ses communes rurales, on vote pour la personne. De plus, comment voulez-vous que des hommes et des femmes incapables de lire puissent déchiffrer ce fameux bulletin de vote unique ? ”, s'insurge un habitant de la ville.
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