Une soirée gnaouie à Dar Lamrini
Après une période de silence, M'jid Bekkas et les frères Souissi rofent sur surface. Jeudi soir à Dar Lamrini à Rabat, ils se sont rejoints sur scène pour unir leurs univers musicaux ainsi que leurs voix dans une séance d'improvisation Combinant tradition
Un art dont les racines s'amenuisent et qui gagnera sûrement à se trouver une école qui dynamiserait ses rythmes et lui insufflerait un souffle nouveau.
Ahlam Ben El Hantati
Ceux qui ne retiennent de la musique gnaouie que son aspect religieux, ses rites de possession à fonction essentiellement thérapeutique, ses transes, ce concert leur a fait changer sûrement d'avis.
En écoutant les mélodies de M'jid Bekkas et les frères Souissi, on comprend qu'on est avant tout devant un art qui a toutes les chances d'évoluer, de se réconcilier avec un passé ethnomusical tout en enrichissant celui-ci de données originales…
Bref, un art qui porte en lui les germes de l'universalité.
Le public a été cosmopolite mais le quatuor a réussi à plonger tout le monde dans une ambiance " jazzique " qui engendre chez l'auditeur la sensation de rebondir d'une époque sur l'autre, d'être éternellement " balancé ", sans la moindre crainte d'une rupture qui troublerait son bonheur, sa tranquillité.
Pendant une heure et demi, le groupe rendait hommage à l'un des grands courants esthétiques qui nous est parvenu grâce aux relations de l'empire marocain avec les pays africains subsahariens à partir du 16ème siècle.
La musique gnaouie est demeurée, en effet, si longtemps à l'écart, victime d'un discrédit, selon M'Jid Bekkas.
Pour ce gnaoui berbère, il est temps de débarrasser cette musique d'un lourd boulet de préjugés et d'étiquettes qui en a tari la voix et inhumé la splendeur.
L'entreprise est certes ardue mais jamais impossible. L'histoire le prouve. Le Jazz n'avait-il pas cette réputation peu flatteuse d'être une musique de bouges qui accompagne l'alcoolisme et la dépravation mais qui s'érige maintenant comme un style artistique courtisé par les grands musiciens du monde ?
Le concert qui a eu lieu à Dar Lamrini s'inscrit dans cet esprit: il relate la passion pour cette musique en même temps qu'il la dote d'une dimension internationale avec le souci de garder intacts certains de ses aspects (spiritualité, pentatonisme, instruments traditionnels) en l'agrémentant de nouveaux instruments comme laguitare et en la pimentant de rythmes et de recettes africains. Ali, Hassan et Hamza Souissi ont accompagné, par leur guitare, flûte et basse ainsi que par leurs voix chatoyantes et pénétrantes, M'Jid Bekkas dans sa quête du vrai et du pur à travers un florilège de morceaux où l'expressivité et la spiritualité tiennent le haut du pavé.L'assistance avait donc rendez-vous avec un chef-d'œuvre musical dont le fer de lance est un esprit d'improvisation généralisé : chaque musicien du quatuor ne s'en remet qu'à son sentiment, l'émotion qui anime son for-intérieur et attise sa ferveur. Résultat : un discours où c'est la foi qui gouverne. Seul compte l'élan psychologique avec ses tensions et ses dépressions, ses accélérations et ses stagnations. Et voilà que l'univers de la contrainte musicale, se trouve pratiquement rejeté au profit de la spontanéité.
" J'ai beaucoup aimé.
C'était à la fois excitant et reposant.
Les musiciens étaient polyvalents. J'ai jamais entendu une pareille combinaison de styles ", confie une spectactrice à la fin du concert.
" Le groupe a réussi un beau mariage entre l'Orient et l'Occident, entre l'harmonie occidentale et la mélodie orientale dans tout ce qu'elle a d'envoûtant ", précise Noureddine Faïz, un médecin radiologue qui vient de fonder un Big Band au Maroc, dont fait partie les frères Souissi.
En plus de cette fusion très bien accueillie par le public, le concert de M'Jid et des frères Souissi avait ceci de particulier : la complicité entre les musiciens, que traduisent aussi bien leur regard que leur gestuelle : " c'était très beau, très profond.
On avait l'impression que les éléments du groupe communiquent et se transmettent des messages tout au long du spectacle.
C'était magnifique ", explique une spectatrice, l'air satisfait.
Si quelques auditeurs ont trouvé toutefois, cette musique un peu passive et manquant de nervosité comme le laisse entendre ce fidèle des rencontres musicales : " la fusion est intéressante mais c'était gentil et ça marquait de tempérament ", tous ont ajusté leurs flûtes pour dire que le spectacle est de qualité et que les musiciens ont donné les preuves de leur professionnalisme.
Il suffit de dire que l'ingéniosité du quatuor a réussi à éveiller en chacune des personnes présentes le gnaoui qui l'habite.