Y a-t-il une «doctrine Bush» ?
On a appris que lorsque l'Amérique s'érige en promoteurs de la paix elle a été longtemps soumise au repère de la «doctrine Wilson», courant idéaliste fondateur de la SDN et de la Charte de San Francisco (ONU) contrastant avec la précédente «doctrine du bi
LE MATIN
09 Avril 2002
À 18:57
On a vu par la suite des références à ces réflexes idéalistes (F.D Roosevelt) ou belliqueuse selon que l'Amérique est imbue de son ego ou qu'elle fait sa crise de conscience et plonge dans un profond attachement à des valeurs puritaines.
On a vu ainsi des éminences grises donnant un sens à la conduite américaine «stratégique» tel un George Kennan sous la guerre froide, à Dean Ashern... mais l'appel à la paix demeurait au sein de la guerre froide une lueur de lumière toujours entretenue par des «faiseurs de sens» à la Maison Blanche issus des universités et qui faisaient éviter le pire des sinistres prévisibles au XXè siècle. Un J.F. Kennedy montait au créneau et accompagnait sa fougue pour la grandeur de l'Amérique son «Alliance pour la paix», confondue certes à une stratégie simpliste mais d'investissement des terrains mais où des «corps de la paix» sentaient un parfum du long filon idéaliste wilsonien dont l'Université américaine était très pénétrée malgré l'ascension fulgurante de ce «complexe militaro-industriel» (SIC) Julien «L'empire américain» des années soixante dont il a payé peut-être le prix et cette passe horrible de la guerre du Vietnam dont le syndrome est toujours présent dans la mauvaise conscience américaine.
Il est impossible de faire l'histoire de l'Amérique contemporaine sans faire le procès de son ascension de puissance née du désengagement colonial européen et de sa rupture épistémologique avec la profonde culture américaine, puritaine et isolationniste.
Il est impossible aussi de faire l'historique de ce cheminement sans qu'au sein du pouvoir présidentiel tout au long de ces cinq décennies on n'aperçoive le rôle des «éminences» qui font et défont la politique extérieure. Faut-il faire fi du rôle de H. Kessinger, de Breszinsky... et de cette impeccable division des tâches où les lieux de production des grandes perceptions ont souvent été dominés par l'Université avant que les états-majors en prennent les relais. La distinction entre Démocrates, et Républicains passe par cette production du sens politique et diplomatique où il est impérieux d'aller visiter le «labo» d'anthropologie, les départements de sociologie politique des universités cotées en tant que dispenseurs d'idées et de projets presque «clé-en-main» dont les revues spécialisées, les sociétés savantes et les Fondations à l'effigie d'hommes illustres ostentatoirement financées.
Or, l'arrivée de Bush à la Maison Blanche correspond certes à une tradition de choix d'hommes-ressources, d'un «think-tank» stratégique dont l'analyse relève de la montée du phénomène bureaucratique ou technocratique cher à Galbraith et qui défie le principe de la représentation politique en démocratie : le pouvoir légitime n'étant plus-comble de la modernité- aux mains des élus fussent-ils présidents mais des décideurs effectifs.
On se souvient du doute profond qui traversait l'Amérique (et les penseurs du «monde libre») sur les capacités de W. Bush, doute renforcé par des élections dont le piètre dépouillement des voix avait fait vacillé les plus convaincus sur la «Démocratie en Amérique».
Tocqueville aurait ajouté un chapitre à son œuvre magistrale pour cet épisode.
Les événements du 11 septembre, douloureux et inadmissibles quant à la barbarie dont l'acte reflétait les desseins, constituaient néanmoins un accélérateur voire un «bleu de méthylène» pour révéler en quoi consistait la stratégie du Président Bush. La «disparition» et la «déconnexion» de la Présidence face à l'immédiateté qu'exigeait la réponse à l'événement furent vite rattrapées suite à une forte mobilisation militaro-médiatique surprenante. Mais beaucoup de cafouillages ont été relevés avant que le Président ne se ressaisisse et le blâme visait d'avantage le «brain-trust» qu'un locataire de la Maison Blanche dont les journaux américains et occidentaux montraient déjà son inexpérience voire son désintérêt pour la politique extérieure lors de sa bataille électorale.
Si l'on en juge par les événements du Moyen-Orient, une ligne dominante semble se tracer à partir de la fin du mandat de Clinton en ce qui concerne la position de Bush : la table-rase quant à ce que les Démocrates ont réalisé sous le couvert des accords d'Oslo jusqu'à l'«échec» de Barak sur la base de la justification que tout était à refaire. Une stratégie du «vaccuum».
Un refus épidémique
Cependant, le Président Bush donnait déjà le ton à ce désengagement en renforçant clairement son appui à Israël et en refusant tout aussi clairement la légitimation de Arafat en tant que Président de l'Autorité palestinienne élu démocratiquement par son peuple. La montée de l'aura de Sharon s'inscrivait déjà dans les événements car son refus épidermique des accords d'Oslo coïncidait avec le «vide» diplomatique que l'Amérique de Bush a sciemment entretenu.
Les événements qui ont suivi et qui ont en réalité amené l'ambition de la paix du Moyen-Orient à son degré zéro et qui, par une tactique de «reconquête» dévastatrice de la Cisjordanie est au fond l'œuvre américaine plus qu'elle n'a été celle de Sharon car les Américains n'ont plus assumé le rôle de «garant de la paix».
Tout l'arsenal constitué d'éviction onusienne, du refus d'intermédiation européenne, des mesures dilatoires d'«émissaires» itinérants aussi ternes qu'inefficaces et la rédaction de rapports aussi épineux qu'irréalistes, favorisint une impeccable mise en scène qui privilégie l'aspect militaire sur l'aspect diplomatique.
Ainsi, la violence nue semble privilégier le fait accompli contre une quasi absence du langage de la paix.
Un effet incantatoire jalonne les faits sanglants du tableau de chasse sharonien par les injonctions presque surréalistes de la part de Washington : «retrait rapide et sans délai !» auquel répond cyniquement le Cabinet Sharon: «oui mais après que les objectifs soient atteints». Jamais de mémoire ou n'a vu un tel «Gulliver empêtré» où ni l'ONU, ni l'Union européenne, ni a fortiori l'Amérique n'ont presque assisté à un défi à leur conscience et à leur puissance. A moins que les mises en scènes de ce théâtre macabre ne relèvent d'un art nouveau qui nous projette dans un «jeu et son double» absurde mais mené de main de fer. «Degré zéro de la réflexion politique» s'exclamait dernièrement Michel de Castello dans un «débat» au journal «Le Monde».
Mais il y a lieu de croire que de telles voies indiquent qu'à l'extrême opposé de ce qui constituerait les grandes «doctrines du XXè siècle» en Amérique, de Wilson à Kissinger... pourrait-on dire, Bush, inaugure une ère diplomatique dont l'héritage militaire de grande puissance américaine est assumé certes mais dont l'assise doctrinale est nettement vacillante. Pour le Moyen-Orient elle est davantage claire et repose sur les éléments suivants :
- Un retour à 1967 et qui veut «scratcher» tous les efforts dont notamment les résolutions onusiennes et les possibilités - bien qu'insuffisantes et léonines en faveur d'Israël - des accords d'Oslo. L'occupation totale que Sahron est en train de réaliser montre que Bush veut créer des conditions d'un contrat immoral; tenir les Palestiniens et tous les Etats-arabes (non signataires) en otage pour faire renégocier une paix favorable à Israël sous l'effet d'une sorte de capitulation sans condition non obtenue en 1967.
Ceci afin de rendre des demandes comme le «droit au retour» quasiment impossible à obtenir et la perpétuation ad acternam du statut actuel d'Al-Qods.
- Une liaison directe entre les effets de la guerre du Golf (dont l'actuel blocus contre l'Irak et la menace contre ce dernier) et celle entre les Palestiniens et Israël.
La conséquence grave de ce dérapage «doctrinal» est que la politique américaine confond sciemment entre «terrorisme» et «résistance», que cette dernière soit menée par un mouvement de libération qui ambitionne à créer un Etat (Principe d'autodétermination…) ou par un Etat tel que l'Irak alors qu'Israël se légitime dans ce rôle de «auto défense» pour nier son principal rival.
- Troisième élément enfin : l'alliance anglo-américaine qui, devenue l'alliance dont la conférence de presse du Texas (Bush et Blair) constitue le moment crucial depuis la chevauchée de l'Afghanistan contre les talibans et Al Qaïda. L'observateur relève en effet qu'autant la «construction de l'alliance contre le terrorisme» est énoncée comme large englobant les alliés, les amis… elle est au fond réduite à son «noyau dur» culturel anglo-américain.
La barbarie est là
Propos pathétiques lorsqu'on évoquait les funérailles d'une «Queen Mum» rappelée au souvenir du combat royal contre la barbarie (entendre les Nazis) l'allusion est vite saisie car la sémantique joue sur les signes : la barbarie est là, Blair et Bush entendent la vaincre. Or, la T.V. ne montrait en ces moments que celle de l'absent du trio : Sharon tuait toujours à Jenine, à Naplouse, à Tulkarem et assiégeait la légitimité palestinienne à Ramallah et investissait le haut lieu du Christianisme sous l'œil de la Nativité…
L'expression d'une paix au Moyen-Orient venait au Texas comme une sorte du «donnant donnant» auquel des navets de la série télévisée nous ont habitués lorsqu'il s'agit du dialogue entre preneurs d'otages et responsables de la sécurité. «Donnez-nous l'Irak pour en finir avec Saddam «source des maux» qui risque d'utiliser les «armes de destruction» dont il (certitudes de Bush et Blair) perfectionne la technologie pour menacer la région et «nous trouverons la solution appropriée en Palestine» (Etat palestinien, Jérusalem-Est et tutti quanti…).
Le plan esquissé à grands renforts de ballet diplomatique américain après le Sommet réussi de Beyrouth semble montrer que les solutions de «replâtrages» sont à l'œuvre pour la question palestinienne. Mais la certitude de l'alliance anglo-américaine va vers une phase II de la guerre contre le terrorisme (War against terror) qui sera en réalité dirigé contre l'Irak (et peut-être demain contre l'Iran). On aura ainsi réussi , si cela venait à se concrétiser, à reconduire la guerre du Golfe dans ses ultimes conséquences. Une doctrine se met ainsi en place sur la base de la «violence pour la violence» car au bout de cette phase II, Bush n'avance aucune philosophie de l'espoir.