« L’Autre mondialisation » : pour une cohabitation culturelle à l’échelle mondiale
« La mondialisation de l’information rend le monde tout petit mais très dangereux. Chacun voit tout, sait tout, mais réalise aussi ce qui le sépare des autres, sans avoir forcément envie de s’en rapprocher », écrit Dominique Wolton dans l̵
LE MATIN
28 Août 2003
À 17:13
« L’Autre, hier, était différent mais éloigné. Aujourd’hui, il est tout aussi différent, mais omniprésent, dans le téléviseur de la salle à manger comme au bout des réseaux. Il va donc falloir faire un effort considérable pour se comprendre, en tout cas pour se supporter.
Longtemps considérée comme un facteur d’émancipation et de progrès, l’information peut devenir un facteur d’incompréhension, voire de haine. L’information ne suffit plus à créer la communication, c’est même l’inverse. En rendant visibles les différences culturelles et les inégalités, elle oblige à un gigantesque effort de compréhension. C’est probablement l’une des ruptures les plus importantes du XXIe siècle ». Directeur de recherche au CNRS et directeur de la revue Hermès, Dominique Wolton a consacré plusieurs ouvrages -dont « Internet et après ? » « Une théorie critique des nouveaux médias » à l’analyse des rapports entre la communication, la société, la culture et la politique.
Pour lui, rien n’est plus illusoire, voire dangereux, que l’idée de la globalisation du monde par les seuls moyens techniques et économiques. Pour les tenants de cette idée, le monde se serait mué en un gigantesque village en raison de l’ouverture des frontières à la faveur de la globalisation de l’économie, la télévision satellitaire, et internet. C’est le point de vue des industries culturelles et de la communication, devenues plus puissantes que jamais, et qui veulent faire croire à la possibilité de l’émergence d’un citoyen du monde accessible à toutes les modes, capable d’assimiler les héritages les plus divers, et bricolant dans la bonne humeur une sorte du culture mondialisée, quitte à écraser les cultures et les traditions des plus faibles. Or, les événements qui ont marqué l’histoire au cours de ces deux dernières décennie ont eu valeur de démenti à ces assertions. De la guerre civile de l’ex-Yougouslvie, aux attentats meurtriers du 11 septembre à New York, l’effondrement de la nouvelle économie aussi bien que les négociations difficiles de l’Organisation mondiale du commerce, c’est la revanche de la culture et de la politique sur la technique et l’économie qui sont à l’œuvre.
D’où la problématique que Wolton se propose d’examiner dans ce livre : « Penser les conditions de la mondialisation de l’information et de la communication afin qu’elle ne devienne pas une sorte de bombe à retardement ». En d’autres termes, quelles sont les conditions qui permettent aux différentes cultures de cohabiter dans un climat de tolérance et de comprhension ? A quelles conditions la révolution des techniques de l’information et de la communication peut-elle rester à l’idéal de progrès et de rapprochement des peuples, et éviter de devenir un facteur de guerre ? C’est ce qu’il appelle « L’autre mondialisation », celle qui prend en compte le facteur culturel en tant que levier de la mondialisation qu’il appelle de ses vœux.
Pour Wolton , la mondialisation si elle a pu réduire les distances entre les hommes sur le plan physique, elle a en revanche mis à nu l’immensité des distances culturelles. La grande erreur est de confondre information et communication en comptant de la sorte, réduire les distances : « La mondialisation de l’information n’est que le reflet de l’Occident, lié à un certain modèle politique et culturel. Il n’y a pas d’équivalent entre le Nord et le Sud : la diversité des cultures modifie radicalement les conditions de réception. Si les techniques sont les mêmes , les hommes d’un bout à l’autre de la planète ne sont pas intéressés par les mêmes choses…ni ne font le même usage des informations. L’abondance d’informations ne simplifie rien, elle complique tout ». L’information n’est pas communication, celle-ci suppose une relation donc des rapports de dialogue et de passage de l’information dans les deux sens. L’un des effets majeurs de la mondialisation de l’information est la mobilité rendue possible par la révolution technique. C’est l’une des faces de la modernité. Or, plus la mobilité devient une nécessité, plus le besoin d’affirmation identitaire s’impose au niveau des individus comme à celui des communautés et des sociétés.
Cet équilibrage est nécessaire, ou ressenti comme tel, un peu partout dans le monde, pour se retrouver dans un monde toujours plus ouvert et donc plus incertain.
C’est la culture collective qui offre ce substrat à cette identification. Par culture, Wolton entend l’ensemble des modes de pensée et d’être, et de se représenter le monde, ce sont aussi les goûts et l’art de vivre marqueurs de la tradition d’un peuple et d’une société. C’est l’enracinement dans leur culture, en toute confiance en soi et en leur identité qui permet aux hommes de s’ouvrir sur les autres .
L’enjeu politique d’aujourd’hui est de pouvoir organiser au niveau mondial une cohabitation des cultures. C’est une condition incontournable pour réussir une mondialisation qui se fait dans la paix et la compréhension. Le grand danger aujourd’hui, c’est le développement de la culture-refuge qui pousse à l’enfermement et aux tensions avec l’Autre considéré comme envahisseur.
«L’autre mondialisation»
de Dominique Wolton.
Ed. Flamarion, 211 p.