"Le Droit coutumier au Maroc" de Houcine Séfrioui : Kaléidoscope à cheval sur la modernité
Au moment où, coïncidence remarquable, l’Association Fès Saïss organise une cérémonie dans la ville spirituelle en mémoire de l’un de ses fondateurs,Moulay Ahmed Alaoui,s’y tient pas loin le premier congrès des notaires du Maroc. L’
LE MATIN
27 Février 2003
À 17:55
Le livre est à lui seul un programme d’une grande discursivité et d’une érudition peu communes. Qui mieux que lui peut prétendre aborder un sujet aussi vaste et profond, aussi complexe et livresque à la fois. Il y faut naturellement la sensibilité de ce notaire invétéré, son expérience et son entregent, mais surtout sa curiosité intellectuelle et combative ! Houcine Séfrioui nous gratifie aujourd’hui d’un ouvrage sur l’histoire du droit coutumier au Maroc, il nous fournit une des clés majeures de notre système juridique. Docteur en droit, chargé d’Affaires aux Nations unies, membre de l’Union internationale du notariat latin (!), vice-président de l’Institut international d’histoire du notariat, les titres sont nombreux et méritoires.` On peut y ajouter aussi consul général du Maroc à Paris au moment où, entre 1965 et 1970, les relations franco-marocaines connurent une période de glaciation suite à l’affaire Ben Barka. Il est surtout l’auteur de quelque 32 ouvrages. Le livre reprend, en effet, un long exposé fait par l’auteur le 24 janvier 2002 à l’Institut international d’histoire du notariat. Il décrit l’évolution du droit depuis les berbères en s’appuyant sur les deux mots clé, qui sont autant de postulats fondateurs, izref ( chemin et voie) et orf (communément connu et admis). Le droit prit une connotation de protection dès le départ, notamment sous le prophète Sidna Mohammed. Coutumier, il le fut dans le sens ancestral parce que familial.Tant et si bien que Houcine Séfrioui voit «la famille comme la base de la société coutumière,composée de tous ceux qui vivent sous la même tente et soumis à l’autorité du chef de famille». Le prolongement de la famille en droit est, pour lui, le clan, la tribu, la confédération et la casbah où, au fil du temps, s’est instaurée une tradition de droit coutumier qui règle litiges et codifie la vie sociale.
Un code de moralité
Les «institutions coutumières de droit public» traitées au deuxième chapitre est un descriptif qui survole les structures comme la Jemâa, la commune moderne où concertation et légifération vont de pair. «Les réunions de la Jemâa, écrit-il, ont lieu généralement sous la tente ou dans la maison de l’amghar ou du plus prestigieux dignitaire». Et ses attributions consistent dans le renouvellement de l’allégeance Royale, la conclusion des accords de paix intertribale, de régler judiciairement les problèmes de succession, de tracer les limites des propriétés immobilières riveraines et d’administrer le village. Les agents d’autorité sont élus par la collectivité : il s’agit de l’Amghar, cheikh ou Jarry et du Moqaddem. La Jemâa, acte fondateur La Jemâa a constitué l’un des fondements majeurs du droit marocain. Elle délibère et organise la vie dans la cité.Sur elle repose une tradition écrite, elle est à l’histoire du Maroc - notamment dans les provinces sahariennes - ce que le symbole est à la nation.C’est elle qui organise et présente l’allégeance au Souverain et sur laquelle a été fondée l’argumentation du Maroc devant la Cour de justice de la Haye. «La coutume, écrit Houcine Séfrioui, se transmet de génération en génération, à travers tous les âges, par la tradition orale, du plus vieux au plus jeune».Contrairement à la chriâa, loi musulmane et coranique qui ne change jamais, le droit coutumier peut subir des transformations, notamment en matière de procédure pénale avec l’assentiment des membres de la Jemâa. Les principes sacro-saints du droit coutumier sont dominés par l’allégeance (beiâa) au Trône où s’expriment fidélité,attachement indéfectible par les populations de tout le territoire.Le livre dresse un rapide kaléidescope de l’ancrage d’une dynastie à l’autre, de cette notion.De Moulay Idriss 1er à S.M. le Roi Mohammed VI, l’allégeance a marqué le cours de l’histoire des relations entre le Souverain et son peuple. L’exemple de Mâa al-à Smara en 1872, celui de Khatri Joumani en 1975, ou des populations de Dakhla en 1979 illustrent cette continuité où s’est articulée une préeminence historico-juridique.
Le pape Clément et la Qaraouiyine
Avec une érudition remarquable, Houcine Séfrioui a puisé un fonds d’archives de documents officiels et de photos qui viennent soutenir la démonstration de ce recueil original qui, en dépit de quelques mastics typographiques, constitue une précieuse contribution.Impétueux, l’auteur n’épargne aucun détail pour convaincre ses lecteurs.En témoigne cette volonté rageuse qu’il a mise, à l’occasion du XXème colloque international du notariat sur le droit canonique où il était question du pape Clément et la langue arabe, où il a sorti sa plume, dégainant son argumentaire pour souligner que Clément était bel et bien imprégné des valeurs et de l’enseignement de la Qaraouyine de Fès. «Il était attiré par la soif d’apprendre la pratique et la théologie musulmanes, écrit-il dans le revue Le Gnomon, l’usage des chiffres arabes, pour être le premier à les introduire en Europe, tels qu’ils sont enseignés par les savants de l’Occident musulman, après y avoir étudié la charia musulmane et surtout le droit canonique enseigné en arabe à l’université Al Karaouyine». Le propos est ici significatif : le pape Clément était parti à Fès, il a appris les us et coutumes arabo-musulmans, s’est familiarisé avec le droit et la théologie du monde islamique. C’est-à-dire, exactement, ce qui constitue l’objet du livre de Houcine Séfrioui.