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« Morceaux de choix » de Mohamed Nedali : exercice à l’éducation sentimentale

Ce premier roman écrit par un jeune auteur marocain reflète une parfaite maîtrise de l’outil de la langue et une admirable connaissance des mœurs, coutumes et us des habitants de la ville ocre.
>Avec ses « Morceaux de choix », Mohamed Nedali

24 Avril 2003 À 16:25

Issu d’une famille de paysans démunis, Mohamed Nedali, originaire de Tahanaoute, a bravé tous les écueils, pour réussir, grâce à des études menées rondement, d’abord à Marrakech et ensuite en France, à faire un pied de nez au destin. Enseignant aujourd’hui dans sa ville d’origine, il a publié au début de ce mois son premier ouvrage. Avec l’œil aiguisé de l’observateur qui en connaît long sur les faiblesses de l’âme humaine et les tentations illicites, Nedali a brodé son histoire en usant d’une langue truculente. Il a revêtu son héros de toutes les vertus et a laissé à toutes les créatures, fort nombreuses, qui croisaient sa route le mauvais rôle de pêcheresses. Elles succombaient corps et âme, et même trop facilement, à sa virilité débordante. Dans les souks, dans les dédales des ruelles et les venelles de la ville ocre, la femme, cet obscur objet de désir, s’offre et se dérobe aux regards. Le «chasseur» averti peut néanmoins goûter aux plaisirs interdits. Et dans ce sens, « Morceaux de choix » se présente, dans une certaine mesure, comme une anthologie du savoir-faire amoureux.
Thami, le héros de Nedali, aurait dû connaître, à l’instar de son auteur, un destin tout tracé. Fils d’un adel, descendant d’une famille docte et distinguée, Thami aurait dû marcher sur les pas de son père, perpétuer la lignée de Alem de la famille paternelle. Mais à 16 ans, il décide de quitter la medersa où pourtant il avait brillé pour embrasser le métier de boucher. Les menaces, les bastonnades, les privations et même l’indifférence, prodiguées par un père cruel et sévère n’arrivèrent guère à faire changer le jeune Thami de trajectoire. « Contrairement à la medersa, raconte le jeune héros, la boucherie me paraissait un lieu respirant la santé et la joie de vivre, un havre de bien-être et d’abondance. Parfois, je m’oubliais devant l’étal au point d’attirer l’attention de M’allem Djebbar (…) Jamais je ne me suis expliqué cet amour pour la boucherie. Il me semble qu’il provient de l’essence même de mon être, un sentiment profondément enraciné en moi, une passion innée, naturelle, une chose d’Allah ».
De guerre lasse, mais aussi parce que les hommes devaient travailler de leurs dix doigts, le père finit par céder au fils et l’emmène chez un Maâlem Boucher. Le héros excelle tellement dans ce métier qu’il parvient à dépasser le maître. Le Adel, contre toute attente, donne un coup de pouce à la « carrière » de son fils en l’installant dans sa propre boucherie.
Le marché stipulait, néanmoins, que Thami devait remettre tous les soirs la recette et les clefs du magasin au père et que sa vie devrait, désormais, se dérouler entre le travail, la boucherie et la mosquée. Le commerce florissait. Les connaissances amoureuses de Thami aussi. Mais c’est la belle Zineb, co- épouse d’un vieux retraité, qui ravit son cœur. Malheureuse en ménage, la jeune femme succombe. Pour Thami, même si la belle berbère est unique, son cœur appartient à toutes celles qui acceptent de l’écouter, de l’aimer, même pour un petit moment.
Le mariage de Thami, arrangé par son père, avec une cousine laide, maigre et sans attraits, est tout d’abord subi en silence par le jeune boucher. Mais les événements vont par la suite se précipiter et conduire à la rupture définitive avec le Adel.
« Morceaux de choix, les amours d’un apprenti boucher » est de ce fait un roman d’initiation amoureuse, une invitation à une éducation sentimentale, faite d’interdits, de tabous et parfois même de mœurs légères. C’est aussi une chronique douce-amère d’une société à la recherche de ses repères et une mise à l’index de l’éducation autoritaire de parents qui n’ont pas encore assimilé le fait que l’enfant est une personne et que l’adolescent peut faire et assumer ses propres choix dans la vie.

« Morceaux de choix » de Mohamed Nedali, Ed. Le Fennec, 278 pages
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