Activités de subsistance pour lutter contre la précarité : ces petits métiers qui font vivre
Au Maroc, il existe plus de mille petits métiers de rue. Ces «activités tertiaires de subsistance» occupent de nombreux jeunes citadins. Le rôle de ce système d'économie parallèle est décisif, eu égard à sa capacité d'absorber le flux de main-d'œuvre excé
LE MATIN
27 Octobre 2003
À 16:33
Abderrahim subsiste en faisant toutes sortes de petits métiers. Cet ancien maçon indépendant était d'abord devenu gardien de nuit dans un immeuble, mais le froid et l'inconfort ont eu raison de sa santé. Pour subsister, il a choisi de devenir porteur d'eau. «Après avoir obtenu une autorisation spéciale de la wilaya, j'ai commencé à exercer ce métier qui me permet de gagner de 5 à 20 DH par jour, avec des pointes à 50 DH pendant la saison estivale. Comme vous le savez, le métier est saisonnier. Pendant ce mois sacré du Ramadan, l'éclipse est totale.
Les gens ne boivent que le soir», déclare-t-il. La vie que mène Abderrahim ressemble à celle de beaucoup d'autres qui subsistent en pratiquant des petits métiers dans la rue, avant de sombrer dans la mendicité, seule alternative pour gagner de quoi manger. Ce sont de plus en plus les jeunes ruraux, souvent analphabètes, qui migrent vers les grandes villes pour exercer des petits métiers informels, instables et souvent précaires. C'est dans les souks des médinas que l'on rencontre le Maroc des petits métiers : les tailleurs, tanneurs, cordonniers continuent d'y reproduire les gestes de leurs pères et leurs grands-pères. Les petits métiers concernent aussi les marchands ambulants, journalier, aide commerçant, cycliste, cordonnier ...
Dans des conditions de vie très difficile, certains d'entre eux tentent de fonder leurs propres foyers, sans aucune garantie d'avenir certain. Ils se retrouvent isolés, du fait de l'individualisme régnant en milieu urbain. Ils réalisent que la solidarité communautaire rurale n'est plus de mise en ville et qu'elle a cédé la place à une vie (ou survie) matérielle. Ils se livrent à toutes sortes de petits métiers : cireurs de chaussures, vendeurs de petites bricoles, marchands de cigarettes au détail ou gommeuses au hammam pour les femmes. La majorité d'entre eux viennent du monde rural pour trouver du travail.
Leurs conditions de vie à la campagne sont souvent épouvantables. Ne pouvant pas subvenir aux besoins de leur famille, ils quittent leurs femmes et leurs enfants dans l'espoir de trouver un emploi. Très souvent, ce sont seulement les hommes qui font le déplacement. Ils étaient pour la plupart des foreurs de puits. Leurs familles viennent les rejoindre plus tard. Ils se contentent tout simplement d'expédier à leur famille l'argent qu'ils gagnent en ville. Certains d'entre eux, quand ils ont gagné suffisamment d'argent repartent dans la campagne et avec l'argent qu'ils ont économisé, ils arrivent parfois à ouvrir leurs propres commerces. D'autres mendient ou tentent de servir de faux guides touristiques dans la médina. Bref, ils occupent très souvent les emplois subalternes, mal rémunérés.
Ils travaillent aussi dans le bâtiment, dans la construction et dans les usines et ce sont toujours des métiers qui demandent très peu de qualifications. Comme ils occupent dans l'ensemble les emplois les plus mal payés, leur niveau de vie est relativement bas et n'est souvent pas comparable à celui des autres habitants de la ville où ils résident. Ils n'ont aucune protection sociale. Ils ont du mal à trouver un logement, non seulement parce qu'ils ne gagnent pas suffisamment d'argent pour s'acheter un logement ou même pour en louer qui soit correct, mais aussi parce que beaucoup de propriétaires n'aiment pas louer leurs appartements à des gens qui ne disposent pas de papiers de garantie. M'jid, 55 ans, est vendeur de journaux depuis bien des années.
Il exprime son amertume en soulignant : «Les lecteurs me connaissent depuis longtemps. Ils viennent souvent le soir chercher leurs publications préférées ici. Certains m'offrent même des pourboires. Cependant, la situation revient dérisoire en hiver avec le froid et la pluie. Je ne peux pas étaler mes journaux et magazines par terre. J'aimerais bien avoir mon propre kiosque». Chez les femmes, il existe plusieurs petits métiers à but lucratif comme les gommeuses dans les bains maures, les «hennayates» qui s'organisent en corporations avec les «neggafates» et les tisseuses de tapis.
La fabrication de tapis est une industrie millénaire au Maroc dont la technique s'est transmise par les femmes. Les industries fermant leur portes les unes après les autres, les femmes ont alors commencé le tissage de tapis à usage domestique pour subvenir aux besoins de la famille. Les femmes récupèrent des chutes de tissus dans les usines, les tissus jetés dans des dépotoirs ou encore de vieux vêtements. Elles les coupent en fines lanières de telle sorte qu'elles pourront les placer sur leur métier à tisser. Les vendeuses, brunies par le soleil, sont toujours cantonnées à côté d'une kissariat. Celle-ci comporte des herboristeries où se vendent les plantes «bénéfiques», les potions magiques, les épices, etc. Aïcha qui travaille dans un hammam public avoue qu'elle gagne jusqu'à 200 DH par jour : «Normalement, le tarif exigé pour aider une dame à prendre son bain est fixé à 20 DH. Mais, il arrive qu'on me donne plus. Certaines femmes aisées me donnent jusqu'à 50 DH.
Il arrive aussi que je gagne moins. Heureusement que j'ai mes propres clientes». Brahim, ramasseur et revendeur de papiers, de cartons, de boîtes et de bouteilles vides mène une vie beaucoup plus difficile. Il raconte son calvaire quotidien : «je me lève à 2 heures du matin pour sillonner le maximum de quartiers. Avec l'aide de ma charrette, je ramasse le maximum de marchandises recyclables que je revends à des entreprises ou à des particuliers. Mon travail se termine chaque jour vers 7 heures du matin. Ce tour de la ville me rapporte un gain quotidien de 50 DH. De cette somme, j'assure le minimum vital. Je me nourris, je paie le loyer et j'entretiens mes quatre enfants».
Tous ces gens ne demandent qu'une chose. Avoir la possibilité de bénéficier du micro- crédit. Ce dernier est reconnu un comme moyen de lutte contre la pauvreté pour le soutien des petits métiers en vue de les faire sortir de leur contexte informel.