Naissance de SAR Lalla Khadija

Ahmed Benmoussa : des souvenirs plein la mémoire

Né à Rabat en 1938, Ahmed Benmoussa est l’un des grands compositeurs qui ont investi le paysage artistique au Maroc. Avec pas moins de 43 ans de travail avec l’Orchestre Royal et à la RTM, un répertoire musical riche, son nom restera sûrement

30 Mars 2003 À 21:32

Les attestations de mérite qui lui ont été décernées tout au long de son parcours aussi bien au Maroc qu’en France, les grandes photos de soirées artistiques encadrées simplicité et accrochées au mur du salon à l’entrée de son appartement sur l’avenue «La Victoire» à Rabat, les montagnes de vidéocassettes
qui entourent le magnétoscope qu’il visionne l’une après l’autre comme pour que vous soyez témoin avec lui d’une glorieuse époque ou pour ressusciter des souvenirs que les temps ont maladroitement et injustement enfouis, …
l tout montre que vous êtes en face d’une mémoire vivante, d’un personnage qui a tout simplement quelque chose à dire…
C’est à Derb El hassan Frej à Souika où il est né en 1938, qu’Ahmed Benmoussa a nourri son amour pour la musique.
Il avait en fait deux voisins artistes: Mohamed Griss, un luthiste de renommée à l’orchestre national, figure de proue de la musique andalouse et Hassan Frej, un grand pianiste qui organisait chaque vendredi une soirée à laquelle prenaient part les artistes de l’époque.
C’est le premier qui l’avait initié au luth. Ahmed Benmoussa a fait par la suite le conservatoire et a travaillé avec d’éminents compositeurs comme Abdennbi Jirari et Abdelkader Errachdi. J amais il ne lui est venue l’idée de devenir un jour compositeur. Ce n’est qu’en 1956, après le retour du Roi Mohamed V de l’exil qu’il s’est frayé un chemin dans la composition musicale, une carrière qui l’accompagnera pendant plus de 40 ans.
Il a, en effet, composé à l’occasion et pour la première fois une chanson intitulée «Soultana Mohamed El khames» qu’il avait lui-même lors chanté d’une soirée aux Oudayas «c’était une grande réussite, le public a beaucoup aimé cette chanson qui est venue à un moment très sensible de notre histoire.
Je l’ai par la suite enregistrée pour la RTM et l’ai chantée au cinéma Royal car à l’époque, le Théâtre National Mohamed V n’existait pas encore», explique A.Benmoussa non sans fierté. Commence alors une série de chansons qui lui ont valu l’amour du public et une grande notoriété : charrafta ya ramadan, ya charel bali, koulou lih oumri manisitou, zina bent bladi…
A.Benmoussa a travaillé avec l’orchestre national qui était dirigé à l’époque par Ahmed El Bidaoui et a composé pour de grand chanteurs comme Isamïl Ahmed «ana oua habibi», Maâti Benkasem «linsani», Bahija Idriss «laïlati»… Une autre chanson qui a marqué le début de son parcours était «Habibi la taloum hobbi» dont les paroles ont été écrites par le poète Ouajih Fahmi Salah dont A.Benmoussa a composé la majorité des oeuvres.
A.Benmoussa a rejoint l’orchestre de Casablanca et a pu travailler avec de remarquables chanteurs, découvrir et présenter au public des talents comme Touhfa El Madkkouri, Raja Bellemlih pour qui il a composé «kabas annouboua», Mouna Asâd et Aziza Malak…
A l’occasion de voyage du défunt Roi Hassan II à Smara, il a composé «Sidi Smara trahheb bik» du poète Mohamed ben Abdellah et qui a été interprétée par Nadia Ayyoub et Bachir Abdou, A. Benmoussa a composé la musique d’une chanson du poète soudanais Kamal Charaf à l’occasion de la construction de la mosquée de Hassan II, chantée par la diva mauritanienne Addimi Bent Abba.
Mais celle qu’il chérit le plus et considère comme le fleuron de sa collection est «farhat echaâb» «c’est la chanson dont je suis le plus fier.
J’en ai écrit les paroles et composé la musique et je l’ai chantée moi-même à l’occasion de la naissance du prince héritier Sidi Mohamed en 1963».
Avec ce compositeur, vous ne vous ennuyez jamais : il a toujours des souvenir à égrener , des effluves d’un passé délicieux, qu’il vous livre avec générosité et vous sort toujours une anecdote qui réussit vous arracher un sourire «C’était à Casablanca en 1965, j’allais faire ma première apparition sur le petit écran. C’était une chanson que j’ai composée pour Ismaïl Ahmed. Alors que Ismaïl s’apprêtait à chanter, un journaliste m’a appelé pour une interview. J’ai laissé mon luth sur la chaise sur l’estrade.
Quand j’ai fini, le spectacle a déjà commencé et Abderrahim Sekkat qui a pris le luth et jouait à ma place. Je l’ai reçu comme une douche froide. C’était une grande surprise pour moi, j’étais très enthousiaste pour accompagner Ismaïl avec le luth dans une chanson dont j’ai moi-même composé la musique», se souvient-il en se fendant la pêche. Il a accompagné les grands changements qu’a connus la RTM et il a travaillé à une époque où il n’a y avait pas d’enregistrements où tout passait en direct : «je me rappelle qu’au mois de Ramadan, je devais être à la radio au moment du ftour j’y restais usqu’à ce que le muezzin appelle à la prière pour chanter “ Charrafta ya ramadan», avant de retourner chez moi pour rompre enfin le jeûne».
Raconte-t-il, le visage éclairé par un sourire.
Aujourd’hui encore ce sexagénaire, travaille, compose, il préfère écrire et composer au bon matin ou juste après le petit déjeuner comme si la première fraîcheur matinale l’inspirait, lui susurrait l’air qu’il faut.
Pour A.Benmoussa, la production de chansons a perdu de sa dynamique d’autrefois : avant la RTM recrutait beaucoup de compositeurs et d’instrumentistes. 6 à 7 nouveaux chansons étaient composés chaque semaine qu’on présentait dans une émission intitulée «Al jadid mina alalhan».
La télévision présentait trois soirées par semaine où chacun des trois orchestres (l’orchestre national, celui de Fès et celui de Casablanca) présentait ce qu’il avait de nouveau.
Selon l’artiste, on ne doit pas oublier les grands compositeurs qui ont bataillé dur pour la chanson marocaine prospère, une fois à la retraite parce que la notion même de retraite «ne devrait pas exister lorsqu’on parle des gens de l’art».
Ou encore «plus l’artiste avance dans l’âge, plus il est plus productif».
Benmoussa pense en disant cela à Mohamed El Hachmi, El Haj Boubker Talbi et à celui qu’on appelait «le prince de la guitare» Abdessalam El Haddaoui. «C’est malheureux il y a des compositeurs qui vendent leurs luths une fois retraités car il savent que leur mission est terminée», se désole le compositeur. Les années qui passent ne semblent émousser en rien la verve et l’enthousiasme de ce sexagénaire mais ce n’est pas surprenant pour quelqu’un qui a toujours eu une véritable dévotion pour la musique.
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