Antéchrista de Amélie Nothomb : la rêveuse et la péronnelle
Amélie Nothomb a-t-elle vécu, jeune fille, cette amitié mortifère que venge Antéchrista ? La part autobiographique dont la romancière s'est servi avec superbe dans Stupeur et Tremblements, semble l'handicaper dans ce roman où l'esprit adolescent gagne l'é
LE MATIN
04 Décembre 2003
À 16:46
Mais quelle mouche a piqué Amélie Nothomb ? Cette romancière si délicieusement ironique, si délicatement insolente, si dramatiquement drôle aurait-elle un coup de fatigue ? On le comprendrait puisqu'elle inscrit consciencieusement son nom sur le tableau de chaque rentrée littéraire depuis 1992, et en est à son quarante-quatre ou quarante cinquième ouvrage. Antéchrista marque un signe d'essoufflement. Ou de manque de rigueur ? Cela serait presque rassurant chez cette écrivain réputée méticuleuse à l'excès.
Mais plus le talent est sûr, moins il pardonne les faiblesses.
Amélie Nothomb commençait pourtant fort en attaquant, comme de coutume, dans le vif. " Le premier jour, je la vis sourire. Aussitôt, je voulu la connaître ". " Je ", c'est Blanche, jeune étudiante qui n'a jamais eu d'amie, qui n'a jamais été intégrée et pour qui" C'était ça l'université : croire que l'on allait s'ouvrir sur l'univers et ne rencontrer personne ".
Elle, c'est la fille la plus populaire de la fac qui lui fait un jour l'immense honneur de lui adresser la parole et lui apprend son " extraordinaire " prénom : Christa. Elle n'ont qu'un point commun : leur précocité scolaire (elle viennent d'avoir seize ans). Blanche est fille unique et habite à cinq minutes de la fac avec des parents enseignants qui la jugent trop sage. " Je n'avais jamais vu s'allumer, pour moi, dans l'œil d'autrui, la flamme qui seule console de vivre ". Solitaire, taciturne, ses joies consistent à lire pendant des heures et à regarder le ciel de son lit.
Quand elle invite Christa chez elle, c'est la révolution. Sa nouvelle amie, jugeant que sa chambre ne " ressemble à rien" a tôt fait d'ouvrir son armoire pour une séance d'essayage. Légère et impudique, Christa est nue en deux minutes. Moment de violence pour Blanche qui ne s'est jamais déshabillée devant quiconque : " Je ne possédais rien, ni biens matériels ni confort spirituel. Je n'avais pas d'ami, pas d'amour, je n'avait rien vécu. Je n'avais pas d'idée, je n'étais pas sûre d'avoir une âme. Mon corps ; c'était tout ce que j'avais. "
Baptême scabreux
Christa la force. Commence alors une étrange relation où l'on pourrait croire que l'une va aider l'autre à sortir d'elle-même. Ce qu'espèrent les parents de Blanche immédiatement séduits par sa lumineuse amie. Mais la jeune fille vit la situation comme une série d'humiliations successives. Christa pérore, parle comme si " elle était en pleine campagne électorale ", ponctue ses fins de phrases de " tu comprends ?", passe son temps à faire son auto-promotion. Au fond, elle méprise tout le monde et ne cherche qu'à profiter de la famille de Blanche qui a offert de l'héberger.
Déjà peu présente, Blanche devient complètement invisible, notamment aux yeux des auteurs de ses jours. Au prix d'un laisser-passer pour des soirées étudiantes et de quelques (premiers !) flirts, elle doit endurer un martyre permanent : subir l'accablante comparaison avec Christa, avaler ses vexations perfides. Ce qui lui vaut des fantasmes morbides tels que " Une jeune fille de seize ans massacre ses parents et sa meilleure amie. Elle refuse d'expliquer son geste ".
L'histoire pourrait tourner au tragique, mais la romancière a préféré une inclination mystique. Blanche rebaptise Christa, " Antéchrista " et file sa métaphore sur cette démone déguisée en pimprenelle, jusqu'à la nuit de Noël.
Ombres adolescentes et amitiés mortifères, on imagine avec effroi ce que ce scénario aurait donné sur un campus américain. Heureusement l'histoire, entre Bruxelles et les cantons de l'Est, est dans les mains d'une romancière astucieuse. Mais des répétitions ! Des poncifs ! De la psychologie facile, de l'humour juste gris et, pire que tout, une expression moins fulgurante que d'ordinaire ! Amélie Nothomb semble avoir poussé l'esprit " adolescent " jusque dans l'écriture. Ce qui, chez elle, confine presque au brouillon.
Vu le niveau de départ, Antéchrista reste honorable. Notamment parce que Blanche-narratrice est bien plus intéressante que Blanche-personnage. Elle révèle une personnalité ombrageuse qui se délecte à passer un été entier enfermée dans un appartement aux volets clos. Un esprit alerte et cynique dans un corps insipide.
Une âme d'écrivain en devenir. Une Amélie Nothomb adolescente qui attendait patiemment l'heure où, comme dans l'exaltant Stupeur et Tremblements, elle sortirait de sa chrysalide pour se venger, à coups de stylo.
Antéchrista de Amélie Nothomb, Ed.Albin Michel, 160 p.