Au Festival de musique des cimes : Imilchil réinvente la fraternité
« Que Dieu te garde », crie le vieil homme en djellaba blanche immaculée à l’adresse du poète venu déclamer ses vers composés pour le Festival de musique des cimes d’Imilchil. Il est monté sur scène, droit et digne comme savent l’être ce
LE MATIN
01 Septembre 2003
À 20:53
Des hommes, des femmes, des jeunes et des « anciens » jusque sur les terrasses de cafés et les toits de maisons construites en terre et pisé.
A Imilchil, la première édition du Festival de musique des cimes organisé du 29 au 31 août par le Centre Tarik Ibn Zyad, en partenariat avec deux associations locales dédiées au développement, « Adrar » et « Akhiam », a traversé la carte postale et l’envers du décor. Imilchil n’était plus la légende du village perché dans le Haut-Atlas, à plus de 2000mètres d’altitude, le village des Aït Hdiddou, des mariages collectifs célébrés en un moussem, une curiosité pour amateurs d’exotisme en vadrouille.
Imilchil n’était plus que ce qu’elle est vraiment : des hommes, des femmes et des enfants en quête de dignité, de développement, de vie tout simplement. En ce dernier week-end d’août, tous ceux qui ont fait le voyage jusqu’aux cimes pour assister au festival ont eu à le découvrir. Derrière la carte postale, la misère et les attentes, immenses, à la mesure du dénuement de la population, Imilchil n’était plus un produit de consommation, une étape de passage pour l’aventurier en expédition jusqu’aux confins du désert et il faut en rendre grâce au Centre Tarik Ibn Zyad.
La rencontre artistique est donc venue redonner vie à ce hameau. Le Moussem des fiançailles s’essoufflait, les autorités s’en mêlaient et toute la spontanéité d’un acte d’amour finissait doucement par s’estomper. « La marque de fabrique existait. Nous n’avons rien inventé, notre objectif étant de redonner un nouveau souffle au moussem des fiançailles d’Imilchil », explique Hassan Aourid, président du Centre Tarik. Ibn Zyad.
L’expérience du bivouac et d’une vie difficile
Ici, on se rappelle du sit-in de mars dernier et de ces citoyens venus scander leurs attentes et revendiquer des droits élémentaires comme celui à la lumière ou à la santé. Presque dans l’indifférence. Plusieurs mois plus tard, l’organisation de ce festival d’Imilchil avait de fortes consonances de solidarité : la culture peut être aussi un levier de développement. « Avec des moyens dérisoires mais beaucoup, beaucoup d’enthousiasme. A Imilchil, on est toujours forts pour les belles idées, quant aux moyens, c’est une autre histoire », confient les organisateurs locaux. Et l’enthousiasme ressemblant fort à cet foi qui déplace les montagnes, a fait déplacer ces 29, 30 et 31 août des ministres et une directrice générale, celle de l’Office national marocain du tourisme. Une délégation de hauts responsables, pour reprendre l’expression consacrée, qui a fait l’expérience du bivouac, de l’auberge au confort rudimentaire et de la piste. Adil Douiri, Mohamed El Gahs, Najima Ghzali Taï-Taï, Fathia Bennis et tous les autres sont venus. Et ils ont vu ce Maroc d’en bas, bien loin des agitations politico-médiatiques.
A l’ombre du Saint patron d’ici, Sidi Ahmed Oulmaghni, ils ont assisté au lieu-dit Moussem Imilichil, aux fiançailles et au marché annuel où tout se vend et s’achète. Dans les vents de poussière et sous un ciel menaçant, ils ont eu à voir des hommes et des femmes qui ont fait la fête envers et contre tous, oubliant le temps d’un moussem autour duquel s’est greffé un festival, de dures, très dures conditions de vie. « Vas-tu à l’école ? » demande la secrétaire d’Etat en charge de l’Alphabétisation à une petite fille d’Imilchil qui ne va pas à l’école. En une question et une réponse, le défi revêt une dimension énorme. A des années- lumière des salons, entre Rabat et Casablanca, plus que jamais anachroniques. Au cœur du souk annuel, alors que cinq jeunes couples viennent de contracter mariage –l’instant est immortalisé par des touristes venus découvrir les mariages d’Imilchil vantés par le site Internet consacré au village qui dispose de lumière trois heures par jour- Mohamed El Gahs, toujours de l’autre côté de la barrière officielle, n’en finit pas d’être accosté. On veut une photo de groupe avec le secrétaire d’Etat à la Jeunesse, lui raconter telle ou telle expérience de développement, l’entretenir du projet d’association qu’on veut monter.
Vu à Imilchil, là-haut dans le Haut-Atlas- un ministre à qui on demande de signer des autographes… La nuit tombée, au centre de la place du village, le festival a commencé. Le ministre du Tourisme s’est enveloppé dans un burnous blanc. Il fait déjà froid ici et la corvée de bois –ce sont les femmes qui en ont la charge et il peut se vendre jusqu’à 30 centimes le kilo- a repris de plus belle. Troupes folkloriques de la région et vedettes du chant en Tamazight défilent. Oulhoucine, Tamawayt, Ahidous Aït Hdiddou, Moha Oulmoudene et tous les autres ont donné corps à un festival qui a été résolument des retrouvailles dans un espace enclavé et surtout tribal. Fraternité et ouverture. C’est un peu la signature portée cette manifestation. « Après le 16 mai, c’est aussi une réponse à la vie par la culture », dit un jeune de la vie, impliqué dans l’associatif. Les Aït Hdiddou vivent l’Islam en toute intelligence comme ils l’ont toujours vécu depuis des siècles. En ce Festival des musiques de cimes, le village a voulu témoigner de son ouverture avec une Françoise Atlan, la Kabyle spécialiste des chants castillans du 14ème siècle en invitée surprise et un Belaïd El Akkaf, « père-porteur » de la modernité dans la musique amazigh.
Puis il y a la cérémonie de mariage chez les Aït Hdiddou, dans la soirée du samedi 30 août, en tomber de rideau. En guise d’au revoir surtout, l’Ahidouss s’est donné en spectacle et en opérette. En dix tableaux, du badinage à la demande de mariage et jusqu’au rituel des festivités, les coutumes parfois héritées d’un temps lointain ont investi la petite place d’Imilchil. « L’amour occupe une place nodale dans la société ici. En fait, l’amour est plus important que tout le reste », murmure cet anthropologue d’Imilchil, Hassan Aït Lfqih, auteur de deux ouvrages sur la région. Et dans les hauteurs de ces montagnes ce soir-là, les cimes du festival sont venues le remémorer dans un hymne à la vie. Et si la fraternité se réinventait là-bas à Imilchil ?