Ce qui reste, de Rachid O. : A Papa, là-bas
Né à Tanger en 1970, Rachid O. a grandi dans la fascination de la France. Où il vit aujourd’hui. Où il a écrit Ce qui reste, son quatrième livre, un récit sur la quête de l’écrivain qui est en lui et de l’enfant qu’il n’est p
LE MATIN
10 Juillet 2003
À 17:32
Il ne sait pas pourquoi il est devenu écrivain. Ça lui est comme tombé dessus, un peu par hasard. Il avait vingt-quatre ans et se rendait pour la première fois à Paris avec un amoureux qui lui répétait : «C’est très beau, ton histoire, il faut absolument l’écrire». Ce conseiller bien inspiré et bien entouré a tapé les textes de Rachid O. et les a donnés à l’éditeur et écrivain Philippe Sollers. Lequel les a publiés dans la revue L’Infini et aurait demandé à leur auteur d’en faire un recueil. Ainsi naquit L’enfant ébloui, où Rachid O. raconte sa naissance à Rabat en 1970 dans une des familles les plus riches de sa rue. Mère décédée, père boulanger adoré et adorant, Rachid O. a grandi au milieu des femmes avant de découvrir son attirance pour les hommes. Ce qu’il développe, plus mûr et plus cru, dans Plusieurs vies. Son troisième livre, Chocolat chaud, a jailli de sa mauvaise conscience : il avait menti à un journaliste qui lui demandait s’il préparait un prochain roman. Le chocolat chaud, c’est la boisson qu’il buvait chez ses amis français au Maroc, le symbole de sa fascination d’adolescent pour la France.
«Ne soyer dupes d’aucun de mes livres», prévient-il dans son dernier, Ce qui reste, qui tente de rectifier l’image donnée dans les précédents. «On aurait dû me prévenir, que le premier texte laissait le champ libre jusqu’à celui-ci. Que ça met forcément dans des états pas beaux à voir, mais un livre en appelle un autre, et comment raconter une vie ?» Par exemple, en devenant le livre lui-même. Sa crainte : tomber des mains de ses lecteurs qu’il appelle doucement «vous». Mais aucun risque. Rachid O. trébuche parfois et ses quelques faux pas perturbent une avancée étonnamment fluide. Mais son intimité enveloppe, prend par la main et invite immédiatement à saisir le vol gracile et fugace des sentiments. L’amour, la solitude, l’angoisse, la peur du sommeil et puis les sursauts de conscience où l’on se dit que «l’important c’est de ne pas mourir». Brûlé ici par la menace de l’impudeur, tiré là par la nécessité de combler les non-dialogues, Rachid O. se cherche et se construit, dans une quête oscillant de la parole à l’écriture.
Il écrit pour «se dessecher de l’isolement». Il «chuchote l’histoire d’un amour très triste».
Le sien : «Un homme adore deux hommes et ça dure depuis qu’il est enfant, disons son père et son oncle». Il les a perdus tous les deux, son oncle parce qu’il est mort, son père parce qu’il est au Maroc. «Il est de l’autre côté de l’océan, et moi je suis seul perdu dans la foule parisienne.» Dans cette distance, on entend aussi le cri d’un enfant que les années ont arraché des bras paternels, le privant de leur chaleur et de leur sécurité. Rachid O. devenu adulte voudrait «faire la fête sur l’histoire d’une perte», assumer d’être un homme tout en voulant redevenir petit garçon. Il retourne souvent au Maroc pour être saisi chaque fois par cette même joie mêlée de larmes devant son père. Il voudrait la dire, lui dire. Mais on ne l’a pas «habitué au moindre mot». Alors il l’écrit, plein d’espoir :«Si seulement mon père pouvait une seule fois voir en moi, il serait bouche bée». Mais il sait bien que son père ne lit pas le français. Et cette langue qui les sépare, elle s’est imposée presque malgré lui, par-dessus les silences qui les lient.
Ce qui reste, de Rachid O., Ed. L’Infini Gallimard, 118 p.