Fête du Trône 2006

Chronique : le grand chantier de la communication

Dans un Etat qui dispose encore, en cette époque contemporaine, d'un ministère de l'Information (ou de la Communication), un bon titulaire de ce département est très certainement celui qui travaille, raisonnablement et d'une manière cohérente, à condamner

29 Novembre 2003 À 20:09

Cela pour tant soit peu qu'on se veuille de vocation démocratique dans un Etat tendant à inscrire toutes ses actions dans le cadre des principes du droit.
Ce mois de novembre 2003 qui finit, a été propice à une réflexion multiforme autour de ce thème.

Même si ces considérations n'ont été ni directes ni, à proprement parler, conscientes. Avant et après la célébration de la Journée du 15 novembre, celle de l'Information, de la Communication et de la Presse, il y a eu plusieurs moments non négligeables où il y a eu possibilités diverses de réfléchir à la situation de ce domaine essentiel qui n'intéresse pas seulement les professionnels, les spécialistes et autres techniciens de la chose.

Il y a eu, en premier lieu, l'instauration effective du «Grand Prix national de la presse» dont l'institution avait été instaurée et annoncée par Sa Majesté le Roi , une année auparavant lors de l'anniversaire 2002 du Code des libertés publiques promulgué en 1958.

La désignation par le jury des onze lauréats des cinq prix de cette compétition a eu lieu, nous pouvons en attester, selon les règles de la transparence et de l'honnêteté sans que jamais il y ait eu tentative de pression ou de dénaturation. Si quelques incidents mineurs ont pu être relevés, l'essentiel a été que cette première édition s'est déroulée dans des conditions qui ont été un gage de crédibilité pour l'avenir. D'autant que des leçons ont été tirées pour réajuster le décret dans le sens de la plus grande efficacité possible d'un prix appelé à durer pour devenir une tradition dont toute la presse pourra se louer.

Malgré un moindre succès à cause de nombre de dysfonctionnements dans l'organisation, il est possible de considérer que la manifestation «Noujoum Biladi» destinée à honorer les femmes et les hommes de la télévision nationale, a été, elle aussi, un moment fort de ce mois de novembre de la communication. Mais on est en droit de se demander pourquoi la manifestation intitulée «Jamour», qui avait à son actif une expérience de deux années consécutives, s'est effacée inexplicablement pour faire place nette à «Noujoum Biladi» sans aucune tentative de faire fusionner les deux afin d'obtenir, par l'effet de synergie, une meilleur performance spectaculaire.

C'est ce mois-ci également qu'a été dévoilée la liste des membres du «Conseil supérieur de l'audiovisuel» qui sont nommés par S.M. le Roi et le Premier ministre ainsi que par les présidents des deux Chambres du Parlement. Toutefois, autant la désignation du directeur général, de cette institution, il y a quelques semaines, avait été fort bien accueillie, il est difficile de dire qu'il en a été de même lorsqu'a été connue cette liste. De larges pans de l'opinion publique ont semblé plus ou moins interloqués par le profil de la plupart des personnalités composant un aéropage considéré comme devant être marqué surtout par une expertise avérée dans les divers secteurs de l'audiovisuel.

Est-ce un réflexe pareil qui a empêché que le texte concernant l'organisation de l'espace audiovisuel ait pu être adopté par le Conseil du gouvernement. Le renvoi pour plus d'examen retardera, par conséquent, le cheminement de ce texte essentiel attendu par tous les acteurs nationaux et autres qui piaffent d'impatience. Le redéploiement de la «Radiodiffusion télévision marocaine» en trois entités indépendantes comme la création de nombreuses radios et télévisions dépendent bien évidemment de la mise en application de cette loi. En attendant, il faut que cette dernière passe par les embranchements nécessaires que sont, après le Conseil de gouvernement, le Conseil des ministres, la Chambre des représentants, celle des conseillers sans oublier la validation par le Conseil constitutionnel et enfin la publication par le département du Premier ministre des décrets d'application de cette loi.

C'est dire que plus que probablement les délais de janvier 2004 ne pourront pas être tenus, mais qu'importe un petit retard de quelques semaines si l'on se met tous en tête que le Maroc s'est lancé dans une réforme importante de son dispositif communicationnel qui nécessite circonspection et sens de la responsabilité dans la mise en forme de tout l'aspect légal. Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que l'année 2004 sera celle du grand tournant, du chamboulement de son visage audiovisuel, et qu'ainsi le Royaume poursuivra ses grands chantiers de modernisation et de démocratisation.

Mais puisqu'on sait si bien attendre chez nous, même lorsque ce n'est pas toujours bien nécessaire ou impératif, on se demande, à bon escient, pourquoi le gouvernement actuel s'est empressé de répondre à la demande des autorités américaines de voir leur radio de propagande “Sawa” émettre dans notre pays. Autorisation provisoire, nous dit-on de source responsable, en attendant une validation du CSA, une fois qu'il deviendra institution active ! En ce qui nous concerne personnellement, nous ne sommes nullement étonnés par cette hâte à faire plaisir à Washington puisque nous avions déjà eu à voir les dérogations accordées à la radio «Médi 1» ou à la télévision «2M» à une époque certes où était absente, manifestement, toute législation en ce domaine.

Espérons que bientôt toutes ces inconséquences et ces dérives ne seront bientôt que de mauvais souvenirs et que le Conseil supérieur de la communication, saura faire la preuve que les Marocains savent se ressaisir pour prendre le droit chemin de la raison dictée par la légalité. Le CSA, nous le jugeons à l'usage essayant de nous éloigner, autant que possible, de tout préjugé et de toute aigreur.
A l'intérieur du CSA désigné, nous savons qu'il y a quelques individualités qui pourront, sans conteste, imprimer un sceau de qualité, d'expertise et même d'excellence au fonctionnement à cette institution déjà malheureusement bien décriée par la presse et l'opinion publique.

Nous verrons bien quand il faudra faire un bilan dans cinq ans. Pour le moment, ce qui semble le plus urgent est de trouver au CSA une adresse, c'est-à-dire tout bonnement un local pour que tous ceux qui en ont besoin dans le public, notamment ces quelques dizaines de personnes physiques et morales qui ont préparé des dossiers de demandes, sachent vers où diriger leurs recherches. Reste qu'il ne faudrait pas se laisser aller à croire que puisqu'on s'intéresse tellement à la nécessaire régulation du secteur délicat de l'audiovisuel, le Maroc en a fini de mettre de l'ordre dans le domaine, souvent déconcertant, de la presse écrite nationale.

Grand chantier celui-ci depuis plus d'un siècle que des journaux et des publications ont commencé à paraître. Dès la fin du dix-neuvième siècle à Tanger et à Tétouan, puis plus tard, deux décennies, à Fès puis à Casablanca et à Rabat … Remarquons au passage que la presse au Maroc est née grâce à des initiatives étrangères : européennes et arabes proche-orientales principalement. Ce trait perdurera par le fait de la double (triple ? ) colonisation du pays qui subira l'empire des groupes français (MAS et autres), des groupes espagnols (Diaro de Africa, Espagna … ).

Ce n'est qu'au lendemain du coup d'Etat manqué de Skhirat, en 1972 que cette presse étrangère fut supprimée presqu'en totalité parce que le Premier ministre de l'époque, Mohamed Karim Lamrani n'eut qu'à retirer à ces titres l'autorisation provisoire dont ils bénéficiaient tous depuis que le président du conseil Abdallah Ibrahim la leur avait accordée à la fin des années cinquante.

Apparemment, les animateurs de la presse nationale restèrent traumatisés, longtemps après l'Indépendance, par cette domination subie puisque, par exemple, il fut décidé une journée sans journaux (une grève générale de l'écrit de presse) après que la Primature ait accordé le droit au quotidien saoudien «Ach-Charq Al Awsat» la possibilité d'imprimer à Casablanca par le système de fac-similé. Quelques années plus tard, aucun journaliste ni patron de presse ne parlait plus de cette piteuse péripétie et l'on vit dans le Royaume fleurir dans les kiosques des titres, imprimés par ce même système, aussi divers que «Al Hayat», «Le Figaro», «L'Equipe», «Paris Turf», «France Soir», etc.

Ceux qui chantèrent victoire trouvant que le Maroc empruntait la voie juste de l'ouverture sur le monde, restèrent pantois lorsque, faisant fi de toute cette belle jurisprudence, le Premier ministre Driss Jettou refusa, contre toute attente, de laisser «Le Monde» imprimer une édition nationale à Casablanca et, dans la foulée, le quotidien palestinien de Londres «Al Qods Al Arabi». La loi ou plutôt la réglementation n'exigeant pas, dans ce domaine précis, des pouvoirs publics de motiver leurs décisions, on ne sut jamais du moins officiellement- ce qui avait pu justifier de telles mesures. On ne comprendra pas plus les raisons qui ont poussé la Primature à permettre à l'hebdomadaire parisien «Le journal du Dimanche» de lancer son édition marocaine par similé tout de suite après les deux rejets.

Ne perdons pas espoir, pourtant, le gouvernement déclare qu'il n'a pas fermé la porte à toutes les demandes – dont celle du journal fondé au sortir de la Seconde Guerre mondiale par Hubert Beuve – Méry – avec la toute dernière déposée par notre collègue Othmane Al Oumeir qui compte lancer son titre arabophone quotidien et international «Eilaf».

La clarification et la codification de la situation de la presse étrangère s'avèrent nécessaires et urgentes. Car compte tenu de ce qui s'est passé dans ce domaine, depuis la fin du dix-huitième siècle , ce n'est qu'en mettant de l'ordre dans la mouvance étrangère qui occupe la plus grande place dans les kiosques de nos villes, nos villages et nos campagnes, qu'on pourra envisager de songer à s'attaquer à l'immense et complexe chantier de la presse écrite marocaine.

Ce ne sont pas les incertaines tentatives de faire bouger les choses qui ont eu lieu lors des années ultimes du siècle dernier qui peuvent être appelées réformes. Allant résolument dans le sens du quadrillement ou du verrouillage du pays par un système partisan parlementariste étriqué, il ne fit rien pour la presse en réalité, si on la considère comme le plus sûr moyen d'élargir l'aire de l'expression générale, libre et démocratique.

Ce sont les partis parlementaires (représentés au Parlement) qui tirèrent profit, eux seuls, de la manne que distribuait le gouvernement selon le vœu du défunt Hassan II. Les journaux se contentaient de miettes quand le bon vouloir des dirigeants politiques le leur permettait quelquefois.

C'est donc aujourd'hui, en cette cinquième année du règne de Sa Majesté Mohammed VI, que nous espérons voir lancé le grand chantier de la réforme de la presse écrite marocaine. A côté des soldats de la presse, les journalistes, les autres partenaires que sont les imprimeurs, les diffuseurs, les publicitaires et les investisseurs, comme beaucoup d'autres que nous oublions de citer, sont appelés à participer, avec volontarisme, à cet immense effort national. Sans frayeurs irrationnelles ni pusillanimités héritées.

De cela, il sera question amplement dans la prochaine chronique qui sera la continuation et la conclusion de celle que vous venez de lire, en cette fin du mois de novembre qui a été, malgré des hésitations et quelques défaillances, le mois vraiment inaugural des grands chantiers de la communication.
Copyright Groupe le Matin © 2025