L'humain au centre de l'action future

Comédie dramatique, Summer of Sam de Spike Lee : chronique d’un été mémorable

Inspiré d’un fait divers qui a secoué New York lors de la canicule spectaculaire de 1977, « Summer of Sam » est moins un thriller qu’un drame social. Gros plan sur la pression engendrée par la peur ou les normes sociale sur fond de saga généra

19 Août 2003 À 17:43

La coupure d’électricité survenue sur la Côte Est des Etats-Unis et au Canada la semaine dernière a rappelé celle, gigantesque, qui avait frappé New York pendant la canicule mémorable de l’été 1977. Pillages, paniques étaient venus secouer une population prise entre torpeur et terreur depuis plusieurs semaines : un tueur en série assassinait à coups de calibre 44 des jeunes femmes et des couples de jeunes gens dans leurs voitures.

Il se faisait appeler « le fils de Sam », par référence au chien d’un de ses voisins (un certain Sam Carr) qui aboyait à le rendre fou. Selon le meurtrier, c’était animal, maléfique, qui lui donnait l’ordre de tuer. Le fils de Sam, David Berkowitz de son vrai nom, a fait douze victimes entre le 29 Juillet 1976 et le 10 Août 1977.

«Summer of Sam» illustre ces événements sur fond d’ambiance disco et punk. Car «Summer of Sam», c’est aussi la chronique d’une génération débridée et fêtarde, celle qui avait 25-30 ans à l’époque. Celle, précisément, que visait le fils de Sam.

Le gros des personnages de Spike Lee campe dans la quartier italo-américain. Entre emplois réguliers (serveur, coiffeur) et magouilles (deals, contrebande), tous ont grandi dans le quartier et se connaissent depuis l’enfance. Une nuit, Vincente dit Viny (John Leguizamo) rentre de discothèque avec sa femme (Mira Sorvino), et tombe sur une voiture que le fils de Sam vient de « visiter ». Traumatisé, Viny sombre en pleine psychose : il se persuade que le tueur l’a vu, qu’il veut le tuer et que c’est le châtiment que Dieu lui réserve pour punir son comportement adultérin et ses fantasmes non conformes aux règles de la bienséance.

Au même moment, Richie revient traîner dans le quartier. Viny a du mal à reconnaître son ancien ami : alors qu’eux tous se revendiquent de la mouvance disco, Richie, les cheveux dressés en piques sur la tête, un drapeau anglais sur le T-Shirt, s’inspire résolument du mouvement punk émergeant en Grande Bretagne. Dans cette communauté italo-américain très repliée sur elle-même et prisonnière d’une idéologie normative, Richie n’est plus le bienvenu. Machismes et racismes en tous genres s’exacerbent pendant que le tueur joue au scrabble : M.U.R.D.E.R

Vague psychotique

« Summer of Sam » n’est pas a proprement parler un thriller : on suit l’enquête policière de loin, comme tous les citoyens, via la radio, la télévision, les journaux et les bruits qui courent. Ce n’est pas non plus un film à énigme : le criminel est montré dès le début, on connaît son visage, on le voir hurler seul dans sa chambre et sortir trucider ses victimes. C’est drame social qui se fait l’écho de la vague psychotique qui a secoué New York lors de cette canicule sans précédent.

Hormis quelques séjour dans la chambre froide d’un restaurant et des scènes de pillages pendant la coupure d’électricité, Spike Lee s’est servi des événements pour le décors et l’ambiance. Son propos, sa cible, c’est la pression sociale et morale subit par les individus.

Menacés, terrorisés, les gens s’enferment chez eux et se méfient. Les caïds mènent leurs propres enquêtes, s’arment eux-mêmes et forment des commandos de quartiers. Leurs suspects ? Tous ceux qui échappent aux normes de la communauté décrite par Spike Lee : les noirs, les juifs, les hippies, les homosexuels, les punks... Les punks surtout qui, de par leurs choix vestimentaires et capillaires et leur côté provoc’ ont constitué des proies de premier ordre pour une société excitée par les délires d’un fou qui se disait la main de Satan.

«Depuis quand c’est la coiffure qui détermine si on est un tueur ?» demande Richie ulcéré, (Adrien Brody -Le Pianiste-, personnage triste et particulièrement attachant). «Je remercie Dieu que le tueur ne soit pas noir, crie une femme, car New York aurait connu la plus grande émeute raciale de tous les temps ». Mais le tueur n’était ni punk, ni noir, ni quoi que ce soit. Il était complètement dérangé.

En dépit d’une version française déplorable (le pseudo accent de Mira Sorvino est tout à fait agaçant) la mise en scène est particulièrement séduisante et très maîtrisée. A rythme soutenu, Spike Lee fait alterner registres comique et dramatique, saga générationnelle et faits divers sur une BO d’anthologie. Sans perdre de vue son vrai cheval de bataille : le droit à la différence.

« Summer of Sam », film américain de Spike Lee avec John Leguizamo, Mira Sorvino, Jennifer Esposito, Adrien Brody.

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Spike Lee, réalisateur engagé
Porte parole de la communauté noire, passionné de jazz, adepte de la comédie, Spike Lee est né le 20 mars 1957 à Atlanta aux Etats-Unis. Ce fils d’un jazzman s’est dirigé rapidement vers le cinéma. A l’Ecole du Cinéma de New York, il réalise « Joe’s bed-study barbershop : we cut heads » qui obtient l’Oscar du meilleur film étudiant (1982). Le jeune réalisateur peut monter sa propre maison de production : « 40 Acres and a Mule ». En 1986, il réalise un premier long métrage en douze jours avec une équipe réduite : « Nola Darling n’en fait qu’à sa tête » est couronné par le prix de la jeunesse au Festival de Cannes.

Des deux côtés de l’Atlantique, le succès critique et public est tel que Spike Lee est propulsé nouveau porte-parole du cinéma afro-américain. Viennent alors « School Daze » (1988), « Do the right thing » (1989) et « Jungle Fever » (1991), films dont l’engagement est couronné en 1992 par une biographie, d’ailleurs assez controversée, du leader noir américain Malcom X.

Spike Lee signe « Mo Better Blues » (1990), un documentaire musical qui reflète sa passion pour le jazz. Mais ses sujets ont toujours un arrière-fond social. « Crooklyn » (1994) décrit la vie à Brooklyn, quartier où il vit depuis l’enfance, « Girl 6 » explore l’univers des opératrices de téléphone, « Summer of Sam » (1999) s’intéresse à un tueur en série qui a terrorisé New York pendant l’été 1977, et récemment, « La 25ème heure » raconte la dernière journée d’un dealer avant son emprisonnement. Aussi à l’aise dans la comédie que dans le drame, Spike Lee s’amuse parfois à mélanger les deux genres, d’où un ton décalé et un propos souvent efficace.

Le réalisateur également comédien ne se prive pas d’apparaître dans ses films. Dans “Summer of Sam”, il campe un journaliste télé diffusant des informations sur les intentions du tueur, l’avancée de l’enquête et bien-sûr, les précautions à prendre…
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