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«De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier» de Rachid Mimouni : l’expérience algérienne

Les attentats terroristes du 16 mai à Casablanca ont relancé le débat sur les fondements idéologiques de l’intégrisme islamiste.
>C’est une réflexion que le romancier et essayiste algérien Rachid Mimouni avait entreprise dès le début des an

19 Juin 2003 À 17:16

Sans doute avait-on jugé à l’époque, l’imbroglio algérien, un peu trop spécifique au contexte de ce pays pour qu’il puisse nous affecter de quelque façon.
On s’aperçoit aujourd’hui que nous ne sommes pas, loin s’en faut, à l’abri des soubresauts qui agitent le monde autour de nous et que nul n’est plus salutaire que de se prémunir contre toute éventualité. Dans ce cadre, le livre de Mimouni est d’une actualité évidente.

Le monde sera ce qu’il était

Contrairement à beaucoup d’analystes qui appréhendent le phénomène islamiste en tant que vecteur d’une certaine modernité dans des pays sur lesquels pèse la charge très lourde d’une culture et d’une civilisation autrefois conquérantes, Mimouni y voit au contraire « une résurgence du passé, et toutes ses caractéristiques soulignent son archaïsme ». C’est donc une barrière contre toute aspiration à la modernité.

Par les structures d’abord de son mode d’organisation : « C’est un mouvement plus qu’un parti. Une multitude d’imams, sans lien oganique, le représentent. Les plus éloquents d’entre eux, presque toujours les plus virulents, en deviennent les figures de proue. Ce sont des prédicateurs, et ils s’inscrivent en cela dans la pure tradition historique maghrébine. » Ne fut-ce pas un porteur d’eau, prédicateur en ses temps perdus, du nom de Maysara qui ruina l’empire omayyade en mettant fin à sa domination sur le Maghreb ?
Depuis, la tradition fut établie.

Par la fixation pathologique contre les droits de la femme ensuite : « Si le programme des intégristes reste des plus flous, leur projet de société affiche clairement qu’il se bâtira contre les femmes ». Mimouni y voit, non un désir de renouer avec la tradition musulmane des premiers jours, comme le prétendent les intégristes, mais un retour à l’époque antéislamique où la femme avait un statut à peine supérieur à celui de l’esclave.

« Comme tous les mouvements populistes, l’intégrisme est ennemi de l’intellectuel et de la culture. Son discours fait appel à la passion plutôt qu’à la raison, à l’instinct plutôt qu’à l’intelligence » C’est le troisième aspect de l’archaïsme de ce mouvement : le refus de l’art au profit de la foi : « Toute forme de création est taxée d’hérétique parce qu’elle est perçue comme faisant une coupable concurrence à Dieu. Le projet islamiste se propose donc explicitement d’étouffer toutes les formes d’expression artistique : littérature, théâtre, musique et bien sûr peinture », sans oublier leur mépris affiché à tout ce qui a trait à la recherche scientifique et particulièrement les sciences humaines. Ce sont là quelques-uns des aspects du credo intégriste sur lesquels ce mouvement, indépendamment du pays où il prend racine, affectionne la polémique.

Comment un mouvement qui charie de tels archaïsmes, a pu malgré tout emporter l’adhésion des citoyens, en particulier celle de la jeunesse dans des pays aussi ouvert sur la modernité que l’Algérie et le Maroc ?

Rachid Mimouni ne manque pas de poser la question concernant l’Algérie . Auparavant, il dresse une véritable fresque de la situation politique qui prévalait alors dans le pays, entre autre le laxisme des autorités, dans un climat d’incertitude au lendemain des élections communales où le FIS a été le principal vainqueur : « Les Algériens vont alors vivre une période de laxisme où chaque fait accompli du mouvement intégriste, bafouant l’autorité de l’Etat et défiant ses lois, repoussait les limites du tolérable. Tous les vendredis, des dizaines de milliers de haut-parleurs des minarets diffusaient des discours d’imams qui incitaient à l’émeute et appelaient au meurtre. »
Comment s’exlique le succès d’un tel mouvement ?
« C’est sur un terreau exceptionnellement favorable qu’a pris le mouvement intégriste. Trois couches sédimentaires expliquent sa remarquable fécondité », avance Mimouni.

Crise morale

C’est tout d’abord, la crise morale généralisée qui forme le premier dépôt. C’est le sentiment de régression générale dans un univers chaotique ou toutes les règles toutes les valeurs sont abolies. En lieu et place, c’est le désespoir qui s’installe : « Si beaucoup de ces paumés finissent par se diriger vers la mosquée, c’est moins par l’effet d’une foi retrouvée que pour savourer le véhément discours des intégristes qui, chaque vendredi, les vengent de leur quotidien convenu. »
La seconde couche sédimentaire est « le retard de la pensée » par rapport au dynamisme dont elle a fait preuve durant des siècles auparavant, et le retour des vieilles idées magico-superstitieuses. C’est ce vide que le discours intrégriste ne tarde pas à remplir. Leur credo est des plus séduisant en raison justement de son caractère simpliste: « c’est l’Islam qui a fondé l’essor de la civilisation musulmane, il suffit d’y retourner pour retrouver l’âge d’or ».

La faillite du système éducatif

La troisième couche est bien entendu la politique de l’enseignement. C’est sans doute le vecteur crucial étant donné que l’école est le lieu par excellence de la circulation des idées et de la production des sens.

C’est également le creuset de la formation du futur citoyen appelé à prendre la relève. L’auteur lui consacre tout un chapitre où il dresse un bilan qui tient compte à la fois du contenu des programmes, l’évolution dans le sens de la dégradation des conditions sociales du corps enseignant, la politique de l’arabisation chaotique suivie au lendemain de l’indépendance en 1962, l’ambiance social et économique de crise qui accompagne l’école etc.. : « Il y eut chez les enseignants un sentiment de révolte qu’ils ne firent pas faute de transmettre à leurs élèves. Ces déçus ne manquent pas de détruire les valeurs auxquelles auraient pu adhérer ceux qui devaient les écoutes. Leur refus d’un système qui ne les valorisait pas se transforma en apologie de l’idéologie intégriste ».

Comment attendre alors dans, ces conditions, de l’école d’être un lieu d’éducation civique, un espace d’insertion à la société ? Comment peut-elle transmettre le savoir, affiner le goût pour l’art de vivre et les arts tout court. Mimouni n’est pas étonné de voir la montée des actes de vandalisme et le goût de destruction chez les jeunes, sans parler de la disparition de valeurs de respect, de la politesse et de tolérance. N’est-ce pas là un prélude à la banalisation de l’extrémisme et de la violence ? N’est-ce pas le retour de la barbarie ?

«De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier » de Rachid Mimouni
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