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Entretien avec Omar Métioui, musicologue et conférencier : «On se sent infiniment petit devant l’immensité du savoir du grand Sheikh»

Omar Métioui est né à Tanger. Musicologue et spécialiste de l’œuvre d’Ibn Arabi, il a fondé, en 1997, le groupe de musique soufi, Al-Shushtari, et l’ensemble Al-Ala Al-Andalusiyya. Il donne des concerts et des conférences en Europe

08 Juin 2003 À 17:14

Ibn 1rabi a choisi le vers arabe classique pour exprimer les principes de sa philosophie qu’il a lui-même commentés. Vous avez, pour votre part, réaliser la transcription et la translittération de la nuba al-istihal. Quel est l’apport de cette œuvre dans votre œuvre ?
Muhyî ad-Dîn Ibn ‘Arabî, a plutôt utilisé la langue arabe dans toutes ces formes d’expression littéraire pour échafauder sa théorie concernant le principe de l’Unicité de Dieu. Nous rappelons qu’il est le premier à utiliser la poésie strophique ou muwashashah dans le domaine très herméneutique de la poésie soufi. Cependant, son dîwân « Turjumân al-Ashwâq, l’Interprète des Désirs » utilise, à quelques exceptions près, la métrique arabe classique telle qu‘elle a été définie par Ibrâhîm al-Khalîl (VIII ème s.). Dans cette œuvre majeure, le maître suprême choisit Nizâm, fille du gardien de la Mecque, comme expression de l’Essence divine et des attributs de l’Amour avec toutes ses manifestations dans le cosmos et dans l’être humain. En tant que femme parfaite pleinement réalisée, Nizâm devient le lieu épiphanique à travers lequel Ibn ‘Arabî contemple toutes les formes de manifestations de l’Amour universel. Ces vers qui font référence à la poésie arabe antéhislamique et utilisent des expressions qu’on pourrait confondre avec l’amour profane, soulèvent une vague de protestation de la part des dogmatiques d’Alep. Pour répondre à ces détracteurs, le grand maître écrit un commentaire qui s’intitule, Dakhâ’ir al-‘A’lâq où il explique, à la lettre près, la signification de son message chargé de paraboles et de vérités divines dont seuls les soufis versés peuvent saisir le sens profond.
L’apport de cette œuvre dans ma formation poético-musicale est important dans la mesure où l’on se sent infiniment petit devant l’immensité du savoir du grand Sheikh. Afin de réaliser l’enregistrement de mon CD qui s’intitule, « Ibn ‘Arabî, l’interprète des désirs », j’ai été confronté à plusieurs difficultés. En effet, la poésie du grand maître n’est pratiquement pas usitée dans le milieu des confréries religieuses du Maghreb. C’est l’une des grandes questions qui fera objet de débat au cours de cette rencontre.
Depuis plus de sept siècles, l’œuvre d’Ibn Arabi n’a cessé d’être lue, méditée, commentée dans toutes les langues. Ce penseur a, en outre, exercé une influence majeure sur le « soufisme ». Quels enseignements peut-on en tirer aujourd’hui ?
Plus que jamais, on a besoin de l’enseignement de grand maître pour retrouver le vrai dialogue entre les civilisations et les religions. Malheureusement, la politique anime les différences entre les croyances au service d’intérêts bassement matériels. N’oublions pas que le soufisme est la voie la plus tolérante de l’Islam et n’oublions pas le rôle historique joué par les confréries religieuses du Maghreb depuis les Almoravides (XIe s.). A une époque où des questions sur l’intégrisme! et l’islamisme! font la une des journaux dans le monde entier, on a besoin de prôner le dialogue pour éviter des guerres qui n’ont d’autres objectifs que la spoliation illégale des richesses et l’instauration de la loi du plus fort en oubliant par la même occasion qu’on est entrain d’alimenter les mouvements radicaux incendiaires qui risquent de déstabiliser l’équilibre éphémère des régimes actuels et qui sont menacent la paix mondiale. Tout au contraire, Ibn ‘Arabî, voyait que malgré les multiples manifestations et croyances le but escompté reste le même, l’union avec l’Unique :
Mon cœur est devenu capable
D’accueillir toute forme.
Il est pâturage pour gazelles
Et abbaye pour moine !
Il est un temple pour idoles
Et la Ka’ba pour qui en fait le tour,
Il est les Tables de la Thora
Et aussi les feuillets du Coran !
La religion que je professe
Est celle de l’Amour.
Partout où ses montures se tournent
L’amour est ma religion et ma foi !
Ibn ‘Arabî


Vous avez donné de nombreuses conférence en Europe, en Asie et dans le monde arabe. Quelle est la perception de ces publics différents à l’égard du soufisme et des doctrines prônés par Ibn Arabi ?
Le vide spirituel que vit l’Occident amène les gens à l’autodestruction et au suicide. Beaucoup de régimes totalitaires ont essayé d’anéantir les croyances religieuses. Malgré le développement monumental des sciences modernes, les questions de base que se posent l’être humain restent les mêmes depuis l’éternité des temps. Hélas, la plupart des problèmes qui rongent le cœur de l’homme restent sans réponse en dehors des religions.
L’avantage de la musique et de la danse mystique c’est qu’ils constituent un langage lénifiant qui parle au cœur. Mowlana, Jalâl d-Dîn r-Rûmî, nous dit : Plusieurs chemins mènent à Dieu, j’ai choisi celui de la musique et la danse. Quand au grand maître Ibn ‘Arabî il qualifie le samâ’ comme l’effet des calames sur le livre de l’existence. La perception du public est plus proche de la musique que du discours. Revêtir les vers d’Ibn ‘Arabî, et par conséquence sa pensée, de musique aide à entrer dans un univers plein de sens et de vie. Selon ma modeste expérience, les gens se convertissent plus facilement à l’Islam après l’écoute intérieure du samâ’.
En tant que coordinateur, avec l’institut français de Tanger de ce séminaire autour du thème de Ibn ‘Arabi et le samâa, quel est le but recherché ?
J’espère que ce séminaire offre, pour la première fois à ma connaissance, une occasion précieuse pour que des chercheurs et experts puissent débattre des interprétations des liens possibles existant entre la pensée d’Ibn ‘Arabî et le samâ’.
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