L'humain au centre de l'action future

Festival de Cannes : encore enfants, déjà adultes

Inspirée du roman «Le garçon aux yeux gris» de Gilles Perrault, «Les Egarés» de André Téchiné, qui concourt pour la Palme d’or, est un film très classique, presque convenu. Mais la sobriété de la mise en scène et l’excellence des acteurs en fo

18 Mai 2003 À 16:56

Après un choc, quand le temps suspend son vol, il peut se passer de drôle de choses… C’est ce qu’illustrent, en partie, les personnages des Egarés, dernier film de André Téchiné en course pour la Palme d’or. Le choc, c’est la seconde guerre mondiale : en juin 40, Odile et ses deux enfants quittent précipitamment Paris en direction du Sud. Bombardés sur la route, ils sont tirés d’affaire par un jeune homme, Yvan, avec qui ils se réfugient dans une belle maison abandonnée en pleine campagne. Là, loin de la guerre, le temps s’arrête, un quotidien s’improvise et les liens entre les personnages se tissent, se tendent, s’emmêlent. La frontière entre enfance et âge adulte s’assouplit, celle entre raison et folie aussi.
Chacun doit gérer son petit soi-même et ses relations avec les autres. Odile doit assumer la perte de son mari, la responsabilité de ses enfants, les mensonges qu’elle leur fait pour les protéger, l’ébranlement de ses principes et son trouble en présence d’Yvan. Dépassée par les événements, la jeune femme aurait bien besoin de quelqu’un pour l’assister, lui parler, s’occuper d’elle aussi. Son fils Philippe l’a bien senti. Il n’a que treize ans mais il est vif, mûr, attentif. Il voudrait protéger sa mère mais elle le considère encore comme un petit garçon. Il l’aime trop pour s’opposer à elle. Il ose, quand même, sous l’influence de Yvan. Ce jeune homme d’à peine dix-sept ans, plein de mystères et si débrouillard, le fascine. Philippe le voudrait comme ami, comme frère. Il va même jusqu’à lui offrir la montre de son père pour s’assurer sa protection. Improvisé chef de famille, Yvan coure de droite à gauche pour trouver gîte et couvert à la petite compagnie. On le sent fort et fragile, toujours au bord de la chute ou de l’explosion. Kati, sept ans est un peu dans son coin, mise à l’écart par les grands, s’isolant elle-même pour vivre ses petites histoires: la perte de son chat, ses jeux de princesse et de grenouille. Elle est là, elle virevolte, petite voix off encore insouciante mais déjà bien conscient.
Quatre personnages, plusieurs combinaisons serpentant autour d’un noeud : l’intrusion d’un étranger difficile à cerner dans une cellule familiale en plein chamboulement. La victoire de André Téchiné c’est d’avoir réussi à donner autant d’importance et de consistance à tous. Outre Emmanuelle Béart, dans un « grand rôle de femme française» qui semble fait pour elle, et Gaspard Ulliel (Yvan), une révélation, Grégoire Leprince-Ringuet (Philippe) est tout simplement excellent. Quête d’eux-mêmes et des autres, recherche de repères, explosion des désirs, leçons d’apprentissage : ils parviennent tous les quatre à faire briller avec sensibilité et retenue des personnages complexes et chahutés. Sorte de huis-clos à ciel ouvert, contre-point insolite au conflit qui hante le film, la campagne est bien trop belle et tranquille, Yvan est un peu trop boy-scout et Kati un peu trop « poupée Jacadi». Mais la dernière scène est un exemple de l’équilibre et de la sobriété que dispense André Téchiné dans ce film qui s’annonce comme un de ses meilleurs. Si bien que cette histoire très classique et de facture presque convenue, devient une véritable aventure pleine de suspense et d’émotions, serrée entre quatre personnages.
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