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«Héros sans gloire » de Mehdi Bennouna : une page de l'histoire

Le livre de Mehdi Bennouna, Héros sans gloire. Echec d'une révolution 1963-1973, est le phénomène éditorial de l'année 2002 au Maroc : entre 13 000 et 14 000 exemplaires vendus depuis sa parution en juillet dernier. Un record pour une période si courte qu

09 Janvier 2003 À 16:02

Sans compter que les ventes de cet ouvrage, qui s'essouflaient un peu en novembre, ont repris depuis qu'il a reçu, le 12 décembre, le Prix du Grand Atlas et le Prix des libraires. « Ce livre, écrit par un anthropologue, est le premier qui essaie d'esquisser une histoire du temps présent» a expliqué Mohamed Arkoun, président du jury du Prix du Grand Atlas. Comprendre : une page de l'histoire du Maroc contemporain. Car Mehdi Bennouna a enquêté pendant cinq ans pour retrouver les acteurs directs d'un mouvement élaboré entre 1963 et 1973.
«Tout en recoupant les témoignages et en manifestant les doubles ou triples jeux avec la vie des autres, ce livre retrace le parcours d'au moins deux générations qui se tiennent par la main, celle des partisans de l'Armée de Libération du Maghreb et celle des jeunes de «l'option révolutionnaire». Prolongeant la lutte de libération, le projet était de faire avancer la justice sociale par la construction nationale», annonce en introduction René Gallissot, professeur d'Histoire à l'université Paris VII et directeur de l'Institut Maghreb-Europe. Une histoire «peu et mal connue», «qui commence tout juste à émerger» selon l'auteur, bien conscient de l'audace de sa démarche, écrit-il en ajoutant : «On ne remue pas impunément le passé.» Surtout quand il s'agit d'une époque subversive. Il s'agit, certes, d'un livre engagé, principalement pour faire la lumière sur une période restée dans l'ombre. Comme déclencheur, une motivation personnelle : le père de Mehdi Bennouna, Mahmoud Bennouna, fut un des chefs de ce mouvement. Il est mort le 6 mars 1973 lors d'un accrochage. Pendant des années, son fils n'en a rien su : cette perte «a été entourée d'un mystère destiné autant à me préserver d'hypothétiques représailles qu'à enfouir une blessure qui ne parviendrait pas à se cicatriser faute de trouver des réponses aussi élémentaires que pourquoi ? comment?» Face à un tabou, cet universitaire «rompu à la recherche de terrain» a cherché des témoins. Pour livrer ni véritablement un essai ou un recueil de témoignages mais un document, à considérer comme tel, avec sa part de subjectivité assumée, ses zones d'ombres et surtout, la somme d'informations qu'il récèle.
L'auteur observe un ordre chronologique partant des pères du mouvement qui, comme Mehdi Ben Barka ou Abderrahmane Youssoufi, se sont regroupés à partir de 1953 dans un but anti-colonial de libération nationale. Puis la mort de Mehdi Ben Barka a déclenché «l'Option révolutionnaire», une deuxième génération d'activistes influencé par la lutte pour la libération de la Palestine et le guévarisme. Jusqu'à l'émergence d'un mouvement vers 1970, El Tanzim. Réseaux clandestins entre le Maroc, la France, l'Algérie, la Syrie, entraînements militaires, convois d'armes, préparation d'insurrections, répressions, emprisonnements : toute une mobilisation qui a abouti à un échec en 1973.
Il manque à Héros sans gloire une vue d'ensemble, des précisions, des rappels, qui permettraient à ceux qui ne savent rien de cette période d'en recomposer toute la progression. En revanche, le souci des détails sur l'organisation, les lieux, les dates, en font un récit intéressant. Le plus important restant les portraits et les témoignages de ces hommes (qui étaient-ils ? Pour quoi se battaient-ils ?) qui, sortant de l'anonymat, ont accepté de parler.

Héros sans gloire. Echec d'une révolution 1963-1973
Tarik Editions, 374 pages.
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