Jawad Kerdoudi, consultant économique, fondateur de l'IMRI : «Il n'y a pas que les politiques qui doivent décider»
Diplômé de HEC, animateur du groupe de travail Relations Maroc-Union européenne à la CGEM, Jawad Kerdoudi vient de publier Le Maroc face au défi européen. Un constat et des critiques.
LE MATIN
01 Décembre 2003
À 20:13
Vous venez de publier un essai sur les relations du Maroc et de l'Union européenne : Le Maghreb face au défi européen (Editions publishing, 100 dirhams). C'est un sujet que vous maîtrisez très bien depuis fort longtemps. Il s'agit d'un condensé d'occasions manquées entre les deux protagonistes et en même temps d'occasions nouvelles. Pourquoi ce livre?
J'ai réalisé ce livre, d'une part parce que j'estime que le moment est venu de faire connaître un double message. Le premier c'est la nécessité pour le Maghreb de s'unir. Parce que dans la conjoncture mondiale actuelle il est absolument nécessaire qu'il y ait des ensembles régionaux. Le deuxième c'est la consolidation avec l'Union européenne, vu la situation géographique, historique et les relations économiques que nous avons avec ce groupe et cet ensemble économique
Quelles sont ou ont été à votre avis jusqu'ici les entraves qui ont fait que ce rapprochement n'a pas eu lieu ? Les reproches qu'il y a lieu de se faire réciproquement?
Je pense qu'il y a deux causes à la non union du Maghreb. La première est d'ordre politique il faut bien le dire, et c'est le problème de la récupération de nos provinces sahariennes qui a fait l'objet de la part de l'Algérie d'une opposition systématique et cela depuis 1975. La deuxième raison à mon avis est l'absence des structures opérationnelles de l'UMA . Il y a lieu de les réviser afin de les rendre plus efficaces.
L'UE propose au Maroc un nouveau concept qui s'appelle le concept de voisinage, qui intéresse bien sûr les pays du Maghreb mais aussi tous les pays du sud de la Méditerranée. Est-ce-que, à votre avis, cela va dans le sens souhaité par le Maroc d'une part et par l'UMA d'autre part ?
Absolument. Je pense qu'effectivement il faudrait des rapports beaucoup plus étroits entre le Maroc, le Maghreb et l'UE, ce que S.M. le Roi Mohammed VI a appelé un «statut avancé» et qui est entre l'association et l'intégration. Je pense que ce sentiment est partagé également par l'Union européenne qui souhaiterait donc consolider les liens avec le Maghreb et le Maroc en particulier.
Est-ce-que vous pouvez justement expliciter un peu plus ce concept de statut avancé ? Comment il se présente exactement par rapport aux opérateurs, aux peuples concernés, aux entités culturelles…?
Le statut avancé consiste d'abord à ce que le champ d'action des rapports entre le Maroc et l'Union européenne soit élargi à d'autres secteurs comme par exemple celui des services qui jusqu'ici n'a pas du tout été étudié et concrétisé.
Il y a aussi par rapport au Maroc l'important volet agricole. Vous savez que notre pays exporte la majeure partie de ses produits sur l'Union européenne, mais malheureusement nous avons eu jusqu'ici des blocages de la part de l'Union européenne du fait de la Politique agricole commune (PAC).
Donc nous souhaitons également dans ce secteur agricole beaucoup plus d'ouverture des marchés européens. Un troisième volet à mon avis, qui est aussi important sur le plan culturel, qui est, disons-le, lié à la libre circulation des Maghrébins vers l'UE, en tout cas aller vers une facilitation de la circulation des personnes car sans celle-ci on ne peut pas construire quelque chose de concret ni d'efficace.
Le Maroc ne se trouve-t-il pas de nos jours devant un dilemme cruel, à savoir traiter de libre-échange avec l'Europe et en même temps une négociation très avancée d'un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Est-ce-qu'il n'y a pas une contradiction ? Comment vous voyez les choses ?
Non je ne pense pas. Sur le plan juridique le Maroc a tout à fait le droit de conclure des accords avec autres que l'Union européenne, et notamment des accords de libre-échange. Je pense que cet accord avec les E.U. sera complémentaire avec celui que nous avons déjà avec l'U.E.
Comment voyez- vous à terme l'évolution du dossier d'intégration des pays maghrébins ?
En tant que Maghrébin, et j'ai toujours défendu dans mes écrits et dans mes paroles la nécessité de faire le Maghreb et donc je voudrai être optimiste pour que ce Maghreb soit réellement fait. Mais il y a effectivement ce problème du Sahara qu'il faudrait discuter de façon franche et non pas utiliser la langue de bois comme malheureusement cela se fait dans plusieurs réunions maghrébines. Il faut en parler et essayer de le résoudre car c'est ce qui bloque actuellement l'Union du Maghreb.
Une question d'actualité, aujourd'hui, on a officialisé la fusion entre BCM et Wafabank ; qu'est-ce-que vous en pensez?
Je pense que c'est une excellente chose, car quand le Maroc et le Maghreb, lorsqu'ils vont s'associer plus étroitement avec l'Union européenne, il aura besoin d‘institutions et notamment d'institutions financières très fortes. Le fait que BCM et Wafabank vont être la première banque au Maroc est je pense une très bonne chose pour le pays et pour l'avenir des relations entre notre pays et l'U.E.
Vous êtes optimiste sur ce qu'on appelle actuellement la mise à niveau qui est opérée au niveau des instances politiques et des institutions de l'environnement économique ?
Cette mise à niveau est absolument nécessaire. Il faut rappeler qu'en 2012, les frontières seront complètement ouvertes et nous risquons d'avoir une concurrence très vive de la part des produits de l'Union européenne sur notre marché.
Cette mise à niveau a déjà commencé il y a quelques années. Il faut dire que la CGEM a beaucoup agi dans ce sens, le gouvernement aussi. Alors, petit à petit les entreprises sont maintenant sensibilisées à ce problème et commencent à prendre des mesures accompagnées de moyens de financement qu'aussi bien l'Union européenne que le gouvernement marocain et les banques mettent à la disposition des entreprises marocaines.
Votre livre tombe à point nommé dans le contexte actuel ?
Je le pense et souhaite vraiment que ce livre puisse contribuer à sensibiliser tous les moyens. J'insiste sur le fait que la société civile, marocaine mais bien sûr maghrébine, doit se mobiliser. Les politiques ne doivent pas à eux seuls régler tous les problèmes. Nous avons nous aussi une responsabilité. Et je souhaite que les milieux intellectuels, les artistes, les femmes et les hommes d'affaires se réunissent et se fédèrent pour créer une opinion publique favorable au Maghreb.