«L’Amour, roman» de Camille Laurens : de moi à vous
Après Dans ses bras-là, best-seller auréolé du prestigieux Prix Femina, Camille Laurens reprend son enquête sur le sentiment amoureux. Articulé sur des maximes de La Rochefoucauld et les relations amoureuses des aïeux de la romancière, L’Amour, roma
LE MATIN
21 Août 2003
À 16:57
«L’Amour, roman», rien que ça. Et Amour avec un grand A s’il vous plait. On le trouverait presque prétentieux ce titre : le roman de l’Amour selon Camille Laurens... L’agrégée de lettres se mesurant à La Rochefoucauld, ses expériences à elle entre les maximes du Duc du XVIIème proche de Mme de La Fayette (La princesse de Clèves). Le moraliste est cité en exergue : «Il est du véritable amour comme de l’apparition des esprits : tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu». Avant cette question, récurrente, de la romancière : «Est-ce ça, l’amour ?» Audacieux. Jusqu’à cette phrase : «considéré sous l’angle littéraire, l’amour n’est pas une maxime, l’amour, c’est du roman». Au moins, elle ose, à l’heure de Loft Story et de l’Ile de la tentation, s’attaquer à ce sujet «dépassé» au nom désuet, quasi préhistorique.
L’amour, Camille Laurens en a fait une spécialité. Mieux, une «étude» : «Ce qui se passe quand on baisse un peu l’abat-jour, ce qui se produit et se reproduit derrière les verrous tirés, j’ai cherché à l’apprendre dans les livres et dans les rêves.» Dans son best-seller Dans ces bras-là (lauréat du Prix Femina 2000), elle parlait de l’Amour à travers ses amours, ses hommes, de son père à ses amants. Avec L’Amour, roman elle poursuit son enquête depuis La Rochefoucauld jusqu’aux histoires d’amour de ses aïeux. Ses arrière-grand-parents, ses grands parents, ses parents: se sont-ils aimés ? Comment se sont-ils rencontrés ? Quelle fut leur vie de couple ? Et depuis leurs temps anciens, leurs époques révolues, leur France profonde jusqu’à elle-même, les questions ont-elles changé ? Les attentes sont-elles les mêmes ?
Le mot invente la chose
Qu’est-ce que l’amour ? Y a t-il une filiation dans la façon d’aimer ? («une source, une origine, un sens, un air de famille ?»). Elle décline des questions agençant des réponses parfois un peu sentencieuses, parfois contradictoires, en tout cas personnelles. Selon elle, il faut avoir entendu parler d’amour pour aimer : «le mot invente la chose». Chose indéfectiblement liée pour elle à la littérature : «Tragédies, poésies, romans ont fait mon savoir, mon éducation sentimentale ; ils ont été pour moi cette école d’amour qui est leur seule raison d’être, car à quoi servirait la littérature si elle ne nous apprenait pas à aimer ?» Mais aimer qui ? Son mari? Son amant ? Un prince charmant ? Dans cette caverne qu’est l’amour, Camille Laurens n’entrevoit qu’une clarté évidente : l’amour pour ses enfants.
Elle relate des anecdotes, signes d’amour ou de non-amour, drôles ou ternes : sa grand-mère la surprenant nue dans une chambre avec un garçon et le dialogue qui suivit devant une corvée de patates ; la rencontre dans un amphithéâtre de la Sorbonne avec son futur mari «piqué du regard» à une copine qui lui demandait comment elle trouvait le garçon ; le spectre d’un bébé mort devenu livre (Philippe) pour qu’il ne disparaisse pas. Et puis cette toile de fond qui prend de plus en plus les devants, cette rupture latente avec son mari, leurs échanges désenchantés qui pourraient figurer parmi les meilleurs passages. «La rupture, voilà un bon sujet de roman» lui jette-t-il, atteint.
Camille Laurens avait réussi à parler d’amour gaiement, légèrement. Jusqu’à ce livre, né des ombres d’une séparation. Comme si, l’amour ne demandait jamais autant à être défini que lorsqu’il s’efface.
«Que devient l’amour quand on ne dit plus les mots ? Que devient l’amour qu’on ne fait plus ?» Alors cette amoureuse des mots cherche, derrière ceux qu’elle entend, les jalousies, les rancoeurs, les mensonges, les faux-semblants ou les absences de sens. Elle reste facile à lire, écrivant comme on papote, passant du sérieux au léger, du grave au tendre, du «je» au «tu» (comme si son livre lui parlait d’elle). De références littéraires en scènes intimes, elle glisse avec une petite frénésie provenant sans doute du plaisir de raconter, de se raconter.
Camille Laurens s’inscrit en plein dans ce qu’on appelle l’auto fiction, faux genre qui mêle autobiographie et inventions. Elle se cache derrière un pseudonyme, mais son vrai nom est connu, il figure d’ailleurs en fin de livre. Elle s’amuse à mélanger vrai et faux, que la réalité n’apparaisse pas trop. En général, elle change les prénoms de ses protagonistes. Sauf un, celui de Yves, qui, parce qu’il est complètement le «mari», n’a pas eu droit à un déguisement romanesque.
Il en souffre, il le dit. Au point d’attaquer aujourd’hui en justice sa romancière d’ex-femme pour «atteinte à la vie privée». Triste fin de leur histoire.
Si Camille Laurens sait si bien dire les impressions, elle a plus de mal avec les mots de l’amour physique. On dirait une timide qui afficherait subitement l’impudeur totale, avec des termes non pas choisis par elle mais tirés d’un précis de prêt-à-dire sexuel. Ils sonnent un peu vulgaire, et bien plats en regard du reste. De quoi suggérer à celle qui publie en parallèle Grains de mots, un prochain travail : L’amour physique, les mots...
* Camille Laurens est née en novembre 1957 à Dijon. Agrégée de Lettres, elle a enseigné en Normandie puis au Maroc où elle a vécu pendant 12 ans avant de regagner le Sud de la France puis Paris.
Camille Laurens, L’Amour, roman, 268 p., POL.