L'humain au centre de l'action future

«L’arbre des possibles et autres histoires» de Bernard Weber : la cinquième dimension

Voilà vingt petites histoires drôles, fantastiques et poétiques pour plonger, sans reprendre son souffle dans le monde du passé et du futur, de goûter à la verve d’un auteur aux idées foisonnantes. Ecrits sous forme de contes, de légendes et de mini

24 Juillet 2003 À 17:28

Bernard Weber le dit lui-même. Il a été nourri d’histoires et de contes depuis son plus jeune âge et il a commencé à en inventer lui-même et à se les raconter très tôt.

Cette technique, peaufinée au fil des ans, permettait à l’auteur de pousser à l’extrême certains raisonnements : Et si on envoyait une fusée vers le soleil, et si une météorite tombait sur le jardin du Luxembourg, et si un homme arrivait à avoir une peau transparente… Autant d’hypothèses, autant d’histoires au dénouement inattendue et parfois résolument savoureux.

Pour mener à bien cette entreprise, Bernard Weber utilise savamment «le regard d’êtres différents pour parler de nous, les humains». Aussi, dans ces vingt petites histoires, l’humain, cet être si fragile et si infiniment petit dans l’univers, est «vu» ou plutôt décortiqué à travers un autre regard et souvent il ne gagne pas au change.

La première nouvelle donne le ton de ce roman plaisant. Dans Apprenons à les aimer, l’humain devient un jouet dans les mains de créatures supérieures. Il est observé, jaugé. Ses mœurs, ses habitudes, sa façon d’évoluer, de vivre et de croître donnent lieu à des explications farfelues. «Depuis quelque temps, on sait, en effet, qu’il existe une planète où vivent des humains à l’état sauvage, et qui ne se doutent même pas de notre présence. On situe ce lieu étrange près du raccourci 33. Là, ils vivent ensemble en totale liberté. Ils ont créé de grands nids, savent utiliser des outils, disposent même d’un système de communication à base de piaillements qui leur est spécifique…»

Et si ces humains vivaient effectivement dans des cages, des «humanières» ? S’il en existait certains apprivoisés et d’autres demeurés à l’état sauvage qu’il faut exterminer avec un humanicide ? La théorie est promptement développée. Et des conseils sont donnés à tous ceux qui désirent cultiver ces «jouets» en appartement. Le narrateur conseille même aux propriétaires, quand ils s’en lassent, de s’en débarrasser en les donnant aux plus pauvres, plutôt que de les jeter dans les égouts.

Dans Le règne des apparences, l’auteur nous entraîne sur les traces d’un homme qui ne voit plus les objets, mais plutôt leur configuration : des étiquettes qui en donnaient l’exacte définition. Cette forme d’hallucination atteint son paroxysme, lorsque l’homme, en se mirant dans une glace voit à la place une étiquette sur laquelle était inscrits sa taille, son poids et son allure et qu’il «existe pour détecter les erreurs du système».

Fragrance met en scène une météorite de soixante-dix mètres de diamètres, déposée un beau matin au cœur de Paris, dans les jardins du Luxembourg. L’énorme boule, qui dégageait une affreuse odeur, avait obligé non seulement les riverains à déserter le quartier, mais toute la ville à s’éloigner de Paris. Pour remédier à la situation, on commença à recouvrir la météorite de multiples couches de béton, de plâtre et enfin de verre. Ces travaux qui occupèrent les ouvriers pendant huit mois eurent raison de la mauvaise odeur.

La météorite, qui a retrouvé un joli aspect policé et brillant est désormais considéré comme une merveille, admirée, photographiée. C’est à ce moment précis qu’un joaillier futé, habitant d’une autre galaxie, songea récupérer son bien. Un joli bijou commandité par une cliente. Le succès fut telle que le bijoutier décida de mettre ces météorites (qui ne sont pour lui que de simples boules nauséabondes, achetées dans les magasins de farces et attrapes), et d’en déposer des dizaines dans les capitales de la planète Terre. Les petits humains se chargeraient du reste.

Dans L’Arbre des possibles, Bernard Weber laisse encore libre cours à une imagination débordante et échafaude une théorie selon laquelle tout serait clairement défini de manière à permettre à l’individu de voir, de visu, toutes les conséquences de ses actes : «L’Arbre des possibles aiderait les politiciens à surmonter leur peur de déplaire pour revenir à plus de pragmatisme…»

Le Mystère des chiffres nous entraîne sur les travers d’un peuple qui pensait qu’au delà du chiffre 20, rien n’existait. La découverte de l’infini possibilité du nombre, par quelques éclairés, n’eut pas l’heur de plaire aux dirigeants de cette peuplade . «Désormais, il était un esprit libre. Libre de penser le monde au delà de toutes les limites chiffrées ou numériques. Sa pensée pouvait sortir de son crâne et jouer avec l’infinité des nombres», songeait le héros du récit. Les autres contes, fantastiques ou poétiques, se lisent avec le même bonheur et le même plaisir.

C’est l’histoire des dieux qui vont à l’école pour apprendre à mieux gouverner les peuples, d’une expédition vers le soleil et de la rencontre avec des êtres qui vivent sur l’astre, de vacances organisées dans le temps… «L’arbre des possibles et autres histoires» est de ces romans d’été qui se dévorent d’une traite et ouvrent des perspectives insoupçonnées. Et si, effectivement, nous n’étions pas seuls dans l’univers ?

«L’arbre des possibles et autres histoires» de Bernard Weber, Ed. Albin Michel; 302 pages
Copyright Groupe le Matin © 2025