L’assaut sanglant de Grozny, une leçon à méditer pour les Américains
En quelques jours, environ 2.000 soldats russes avaient été tués dans l’assaut de la capitale tchétchène Grozny en 1995: une leçon que les troupes américaines devront retenir, alors qu’elles risquent d’affronter le même type de guérilla
Galina Kovalskaïa, une journaliste russe qui se trouvait à Grozny cette nuit du Nouvel An 1995 où les forces fédérales ont lancé leur attaque contre la capitale tchétchène, se souvient d’avoir vu des dizaines de chars calcinés dans le centre-ville, dont le sol était jonché de cadavres.
«Les combattants tchétchènes étaient accroupis sur les chars. L’un d’eux est venu vers nous en jubilant: Nous les avons tous détruits, nous les avons explosés. Qu’il en vienne encore, nous les détruirons aussi. L’invincible armée russe est en flammes!», raconte-t-elle.
Perdus dans le dédale de Grozny, les chars russes qui ne pouvaient circuler que dans les quelques grandes avenues, se sont retrouvés bloqués dans les lacis de ruelles constituant l’essentiel de la ville, devenant des cibles faciles. L’attaque n’avait manifestement pas été préparée et les soldats russes, mal entraînés, se sont jetés dans un guet-apens.
«Tous les soldats russes faits prisonniers ont raconté la même chose: l’ordre était de suivre le char ou le blindé devant eux, ils n’avaient aucune idée de l’endroit où ils allaient. Les commandants n’avaient même pas de carte de la ville», a affirmé Mme Kovalskaïa à l’AFP.
Bombardement aveugle
Photographe de la European Photo Agency, Anatoli Maltsev, qui était également à Grozny, estime que l’assaut était voué à l’échec.
«Les appelés russes avaient 18 ou 19 ans et n’avaient que deux mois d’entraînement. Ils étaient totalement incapables de combattre. Ils étaient des proies faciles», assure-t-il.
Un des combats les plus sanglants a eu lieu à côté de la gare, où des centaines de soldats russes ont trouvé la mort alors qu’une colonne entière de chars a été littéralement balayée. Après quelques jours de bain de sang, l’armée russe s’est retirée de la ville pour laisser place à un intense bombardement aveugle.
«Il n’y avait plus un seul endroit sûr, les obus tombaient partout», se rappelle un journaliste de l’AFP ayant couvert tout le siège de Grozny, Sebastian Smith.
«Ils ont entièrement rasé le centre-ville. Il y avait de très nombreux civils à Grozny et beaucoup d’entre eux ont été tués», ajoute-t-il. Le bilan estimé fait état d’environ 25.000 civils tués.
Deux mois après le début du siège, les Russes sont enfin maîtres de Grozny. Mais en mars 1996 les rebelles tchétchènes reprennent brièvement la capitale, puis à nouveau en août, et Moscou accepte alors un traité de paix et le retrait de ses troupes de la république caucasienne.
Dans le cadre du conflit actuel, déclenché le 1er octobre 1999, l’armée russe se montre plus prudente. Un intense bombardement aérien a frappé Grozny des semaines avant que les troupes au sol ne prennent la ville quartier par quartier.
La pluie d’obus a vraisemblablement tué des milliers de civils et cette perspective apparaît comme un dilemme pour la coalition anglo-américaine à Baghdad où les forces irakiennes pourraient se fondre dans la population.
Les forces américaines sont, elles, bien entraînées, bien renseignées, dotées d’armes de haute précision et de blindés parfaits pour la lutte urbaine, rappelle cependant à Moscou l’expert militaire indépendant Pavel Felgenhauer. Toutefois, «les pertes sont inévitables de part et d’autre» et «les victimes civiles risquent d’être innombrables si les autorités irakiennes décident d’emmener avec eux dans la tombe des milliers de personnes», prévient-il.