La biodiversité de la vallée de Tizguite et de la source Vittel menacée
Site emblématique, la ville d’Ifrane abrite des peuplements végétaux et animaux exceptionnellement riches en endémiques et sub-endémiques. Les hauts indices en vigueur, tant de biodiversité (qualitatif) que de populations (quantitatif) en font dR
LE MATIN
07 Mai 2003
À 16:09
En effet , comme la décrivait le naturaliste français Michel R. Tarrier, auteur d’une recherche scientifique sur «Les papillons diurnes du parc naturel d’Ifrane: biodiversité, affinités écologiques et conservation» (Papilionoidea et Zygaeninae), la ville d’Ifrane, noyée dans son arboretum, apparaît comme dans un parc à la gloire de la nature avec ses lacs peuplés de canards sauvages, ses cours d’eau bordés de frondaisons de frênes et d’érables, ses prairies et coteaux enchanteurs aux merveilleuses inflorescences, tout un Eldorado de papillons aux mille couleurs, son clair bois tapissé de violettes aux senteurs printanières, de bouquets de pivoines sylvestres, des cèdres centenaires et des chênes vétérans aux charmants magots de lisière, ses bucoliques nids de cigognes et groupes de hérons perchés sur les rives, ses rolliers au vol bleu, son chant matinal et vespéral d’une multitude d’oiseaux, ses douces soirées estivales aux grillons mélodieux, sa communauté végétale spontanée dans le finage de la ville où se complaît tout un microcosme d’insectes, avec des fleurs, encore des fleurs, toujours des fleurs. Tel est ce cadre de vie hors pair, véritable réminiscence du « Jardin des délices ». Station climatique créée en 1929, elle fut visitée de tous temps par les naturalistes du monde entier. C’est à cette époque d’ailleurs que le célèbre entomologiste anglais Harold Powell, grand découvreur des papillons de l’Atlas, y installa sa « pharmacie des Lycènes ».
Seulement voilà, ajoute Michel R.Tarrier, L’homme a fait d’Ifrane un lieu sélectif pour ses séjours, aussi bien en hiver qu’en été. Et le milieu naturel enregistre ses premières altérations et atteintes résultant de cette pression anthropique, avec comme grave conséquence un substrat affecté. Vu la situation et afin de pérenniser la valeur de ces sites régionaux, le Maroc a inscrit le parc d’Ifrane dans le contexte d’un ambitieux programme national de préservation du patrimoine naturel.
L’empire du cèdre
La création d’une telle méga figure de protection entend désormais soulager de sa traditionnelle vocation forestière et pastorale quelque 54000 ha, vaste territoire inscrit dans la portion occidentale du Moyen-Atlas central, milieu formé de calcaires et dolomies, avec des schistes et des épanchements volcaniques, empire du Cèdre de l’Atlas et de quelques autres essences comme le Chêne Zéen qui participent à la typicité du site. Cette zone forestière est aussi par excellence un exceptionnel château d’eau (précipitations annuelles de 650 mm à plus de 1200 mm sur les sommets exposés). C’est donc une composante bio-écologique essentielle de l’«écran vert» qu’il est de toute première urgence de mettre à l’abri des agressions si l’on entend chercher à ralentir le processus fatal de la remontée du désert, et de ses corollaires érosion et translation de la flore et de la faune, phénomène menaçant et désormais indubitablement documenté. Notre vœu le plus cher est aussi d’y voir si ce n’est l’éradication, du moins un contrôle très rigoureux des parcours. Le pacage trop intensif des ovins et des caprins est à l’origine de graves altérations, déjà par places irréversibles car sa conjugaison à des périodes de sécheresse drastique a littéralement « scalpé » certains espaces.
Un appel est ici lancé par le naturaliste Michel R.Tarrier aux spécialistes des respectives disciplines. Les insectes sont d’excellents outils de bio-indication. Ils marquent de leur présence la qualité du sol et du site, permettant un suivi méticuleux de la santé de leur habitat. Et les papillons étant intrinsèquement liés à leurs plantes-hôtes, les conserver «en l’état» c’est aussi protéger une flore sensible et toute une biocénose. Les décideurs sont désormais suffisamment à l’écoute pour que le Lycène ou la Zygène soient appréhendés à l’égal de l’aigle ou de la gazelle. Car à notre humble sens, Il ne peut y avoir de protection «à la pièce», de priorité spécifique (et subjective) en matière de conservation où «l’ensemble forme un tout !». Par la création de ce parc naturel donc, le Royaume du Maroc a pris la sage décision de pérenniser cette splendide région pour en préserver au mieux la riche biodiversité. Dans leur ensemble, les habitats dont bénéficient aussi les Lépidoptères jouissent depuis longtemps déjà d’une gestion parfaite de la part de l’administration des Eaux et Forêts responsable, les périmètres protégés du Tizi N’Trhetten, du Michliffen, de la Vallée des Roches (piste 4628 côté Ifrane), de la piste 320, et en zones limitrophes, un peu au nord-ouest d’Azrou, du plateau d’Itto supportant l’une des plus remarquables biocénoses atlasiques, en sont de bons exemples.
Secteurs en perditions
D’autres secteurs de très grande valeur biologique ont été très affectés et sont désormais en perdition, parfois depuis plus d’une décade. En dépit de leur potentiel génétique, ces biotopes n’avaient peut-être pas été appréciés à leur juste valeur. Ou bien l’enjeu économique (généralement agro-pastoral) aurait été évalué comme au-delà de l’intérêt conservatoire, ce qui nous étonne un peu. Nous n’en dresserons aucune liste.
Un troisième groupe de sites qui est en difficulté depuis peu et qui ne demande que quelques efforts et décisions administratives pour pouvoir ressusciter par le biais d’une urgente régénération, avant de se voir intégrer dans le programme du parc, pour ceux qui ne le sont déjà pas. Et leurs Papillons perdus resurgiront du néant...parce qu’ils sont irremplaçables en raison des associations entomologiques et floristiques qu’ils contiennent, il conviendrait, dans le cadre du nouveau parc naturel d’Ifrane, de classer et de sauver la station de la source Vittel et du Val d’Ifrane.
En effet, c’est là un site incomparable, abritant un pool génétique incommensurable et évalué de longue date par les spécialistes, l’un des habitats humides et boisés les plus précieux du Maghreb occidental. Ce paysage recevant de longue date les activités récréatives et vacancières des populations des grandes villes marocaines, une gestion légitime doit être mise sur pied pour en filtrer les pressions altéragènes. Avec l’avènement au Maroc de l’ère des loisirs et une hausse du pouvoir d’achat, la fréquentation des zones accueillantes du Val d’Ifrane devient exponentielle et en fonction des informations dont nous disposons, nous estimons que l’an 2002 a été le point de non retour du seuil de nuisances, avec irréversibilité de la destruction des composants naturels. Les activités du tourisme intérieur se déclinent évidemment avec la gestion des lieux. Faute de mesures légitimes, l’impact de l’affluence humaine évincera à court terme les espèces et le cadre qui font l’apanage de ce havre de verdure.
Le processus est très entamé et la mise à néant de la station ne profitera à personne. Guérir n’existe pas en matière d’écologie du milieu, la seule option est donc la prévision par une gestion appropriée. Compte-tenu de la contrainte majeure qui existe et dans le respect de chercher à ménager « la chèvre et le chou », seul un plan alternatif quinquennal, voire décimal, de mise en réserve intégrale d’une partie de ce vaste habitat est possible. Un code de conduite à imposer aux visiteurs - qui ne doivent pas confondre activités de « champ de foire » avec jouissance du patrimoine naturel - agrémenté d’un contrôle notamment dominical et estival, doivent être clairement définis. Les autres mesures accompagnatrices sont : l’abandon de la transformation du site en jardin de ville, avec tout le cortège inhérent d’artificialisation au préjudice du milieu sylvestre ; une fauchaison tardive ; le non recours aux biocides ; la restauration du réseau de ruisseaux et la lutte contre la pollution des eaux courantes ; une mise en protection des berges et de leurs ripisylves ; le respect du bois mort sur place (agents saproxyliques) et le maintien des décomposeurs primaires (valeur du sol) ; le rétablissement du sous-bois par le renoncement à l’hygiène forestière traditionnelle qui représente souvent une dérive, et ce, en vue de la reconstitution du substrat humique et de la strate herbacée ; un non piétinement (compaction du sol) des espaces ouverts ; aucune présence ovine ou caprine même en pourtour (toute la partie sud-est du Val, aux abords de la sortie par la RR 309 de Boulemane, supporte curieusement et depuis peu l’irruption d’un cheptel intensif qui y commet un violent saccage).