«La presse écrite au Maroc, distribution et diffusion» de Mohammed Berrada : les exigences éthiques du cercle vertueux
Il y a quelques mois, le 10 janvier 2003 exactement, paraissait un petite livre de quelque 120 pages et intitulé : “ Quel journal pour quel lecteur ? ”, publié par les éditions SAPRESS pour célébrer son 25è anniversaire. Il réunissait les communications e
LE MATIN
27 Novembre 2003
À 18:26
Il tombait à point nommé à un moment où cette même presse, déchirée par un malaise, perdait aussi ses repères. Il posait en tous cas la question centrale pour une profession qui, au gré des événements, semblait évoluer sur les charbons ardents d'une conquête à la fois de son statut et de sa moralisation. Cette semaine, c'est au tour de Mohammed Berrada, président du groupe Sapress, d'offrir au public une somme de réflexions condensées sur «la presse écrite au Maroc»(1)
Le champ de cette réflexion comprend quelque 700 titres marocains et 1700 autres, importés de l'étranger. C'est-à-dire un vaste domaine qui est, tant bien que mal, l'illustration vivante de la société marocaine en ce qu'elle incarne d'unité et de diversité. La presse écrite marocaine ne baigne pas dans la prospérité, tant s'en faut. On l'aura compris et le livre de Mohammed Berrada nous décrit avec minutie ses difficultés, ses dysfonctionnements, ses problèmes et ses espérances.
Pour avoir vécu dans la presse depuis quelque trente-cinq ans et s'être, comme un gant à la main, colleté à son évolution, pour en être aussi le diffuseur attitré et inventif, il est en droit d'en parler mieux que quiconque. Fondateur et dirigeant de la Sapress depuis 1977, il a assuré son succès et contribué très largement à son épanouissement. Combien de titres lui doivent leur lancement, leur développement et parfois leur survie.Tant et si bien que le distributeur et le diffuseur qu'il est, se sent volontiers porteur d'une mission qu'il a assumée avec un sens aigu du devoir et de l'abnégation.
«Tout a été soumis à la critique chez nous, à l'exception de la presse». L'affirmation est d'autant plus vraie que la presse écrite, dans ses variantes extrêmes, se prévaut – use parfois – de son pouvoir sans garde-fous. On connaît assez les dérives auxquelles elle n'a pu échapper pour que l'on n'y revienne pas. L'autocritique n'existe pas chez nous, la remise en cause encore moins. Comme si, pour sacrifier au mythe, ce «quatrième pourvoir» était réellement inexpugnable et ne souffrait aucun regard qui ne fût de crainte ou d'adulation.
L'analyse que nous propose Mohammed Berrada nous éclaire sur une évolution en dents de scie de la presse. Du statut obligé de militantisme à celui de la réalité du marché, elle est passée comme on dit par pertes et profits, s'adaptant tant bien que mal à la gestion rigoureuse et transparente. Il le dit avec conviction : «Une véritable entreprise de presse en tant que structure qui réunit tous les critères de l'entreprise ou de la coopérative selon les normes du marché est la seule capable de surmonter les obstacles et de vaincre les difficultés de toute nature qui se posent dans ce domaine aujourd'hui».
Ce rappel tombe aujourd'hui comme une aubaine. Il éclaire une réalité à la fois fugace et persistante : si la presse écrite marocaine n'opère pas sa propre révolution, elle est vouée à périr. En aval, le problème de la diffusion reste entier.
Les ventes sont d'autant plus faible pour l'ensemble des titres que ces derniers se font nombreux et éparpillent un lectorat fragile, difficile à conquérir et encore plus rebelle à fidéliser. A cela plusieurs causes et Mohammed Berrada en cite quelques unes : «Le niveau d'analphabétisme chez nous est trop important, le pouvoir d'achat est faible et les habitudes de lecture ne sont pas suffisamment ancrées dans le quotidien des gens».Voici une vérité lancée comme un couperet.
Elle est cœur de la problématique, secoue gravement nos certitudes et nos vanités. La conclusion du livre souligne les aspects de ce paramètre indispensable qu'est la diffusion de la presse, sans laquelle il n'est pas de lecture ni d'information. Boucle de tout un processus, la distribution a aussi ses propres exigences et ses règles. L'histoire de la presse marocaine en est liée et le diffuseur, comme partout, reste celui par qui l'audience se fait ou non.
Comme le laitier chaque matin, il nous apporte cette valeur nourricière et dans un geste régulier nous procure l'extrême bonheur d'être en prise avec le reste du monde. Cheville ouvrière de Sapress, qui distribue la quasi totalité des titres, Mohammed Berrada avance une dizaine de propositions concrètes où se conjuguent des exigences professionnelles et morales. Un véritable bréviaire pour toute entreprise de presse.
(1)Mohammed Abderrahmane Berrada , " La presse écrite au Maroc ”, distribution et diffusion. Editions Stouky, Rabat.