L'humain au centre de l'action future

«Les Jours d’ici» de Siham Benchekroun : les choses de la vie

Après « Oser vivre » et « A toi », Siham Benchekroun vient de publier, aux éditions Empreintes, un recueil de nouvelles sous le titre évocateur « Les Jours d’ici ». Les jours d’ici c’est le quotidien tel qu’il est vécu par des gens

08 Mai 2003 À 17:03

Le Matin : Lorsqu’on parcourt vos écrits depuis votre roman « Oser vivre » jusqu’à l’actuel recueil de nouvelles, « Les jours d’ici » en passant par les poèmes publiés il y a deux ans sous le titre « A toi », on est frappé par l’éclectisme des thèmes abordés. Autant votre premier roman est une invitation à la vie et à l’affirmation de soi, autant les nouvelles sont frappées du sceau de la noirceur. Avez-vous eu le temps de déchanter entre temps ?

Siham Benchekroun : Pas du tout. Je n’ai pas l’impression d’avoir manqué à ma démarche, sauf que l’approche est différente entre le roman où il y a une histoire unique, tandis que là il s’agit d’égratigner, de caresser à travers des petites histoires qui, toutes racontent la société marocaine dans ses contradictions, ses hypocrisies, mais aussi dans son authenticité ce que je trouve passionnant. Finalement c’est la même démarche, et s’il y a une difference c’est au niveau de l’écriture, le souffle du roman diffère de celui de la nouvelle, c’est la différence qu’il y a entre le sprint et le marathon. Dans une nouvelle, on raconte plusieurs choses de manière condensée.
Dans « Oser vivre » vous procédez à une opération chirurgicale, d’un couple en difficulté, et j’avoue qu’on en apprend des choses sur l’univers de la femme.

Là, c’est une série de peintures des difficultés quotidiennes de gens ordinaires, mais aussi différents qu’une employée de bureau qui passe sa vie entre deux écrans, un couple de vieux, une mendiante sénile, un paumé etc …et là j’avoue également qu’on ne traverse plus la rue comme avant…

J’ai conçu certaines nouvelles, comme celle du psychiatre comme un jeu de miroir où un personnage renvoie à un autre puis à un autre encore au point où on ne sait plus qui est qui. C’est un jeu d’écriture où l’auteur et le lecteur deviennent eux-mêmes des personnages. D’ailleurs on démarre par un jeu de personnage où on ne sait pas qui est le personnage de l’auteur ni qui est le personnage du lecteur pour arriver à une espèce de labyrinthe.

En fait chaque nouvelle peut être une ébauche d’un roman. Votre jeu d’écriture laisse penser à des notes que vous jetez sur le papier dans l’espoir d’écrire un roman .

Ce sont plusieurs romans qui auraient pu être écrits, c’est vrai, mais ce n’était pas mon intention, dans ces nouvelles je ne fais que raconter des histoires de gens que je croise dans la rue. Ce qui est important pour moi, c’est ce temps de la rencontre, le temps qu’il faut pour les frôler et de repartir. Mais c’est vrai qu’on peut faire un roman à partir de chacun des personnages, par exemple cette fille qui n’a pour d’autres horizons qu’un écran, d’ordinateur le jour, et de télévision la nuit, c’est un personnage de roman incroyable . Comment concevoir cette vie-là enfermée dans un univers où il n’y a que des écrans, l’écran du jour et l’écran de nuit. Où l’histoire de cette fille tombée enceinte qui, au fur et à mesure qu’elle sent la vie monter en elle, se prépare à la mort, parce qu’il n’y a aucune possibilité pour elle pour que cette vie qui monte en elle soit bien accueillie dans une société repliée derrière ses rigidités.

Chaque nouvelle est une sorte de coup de poing envoyé à la gueule du lecteur, mais derrière il y a en fait une tendresse qui ne veut pas s’avouer, un appel au secours presque.

C’est exactement cela, l’histoire de la fille condamnée à passer sa vie devant un écran inspire la tristesse sinon la colère, mais en même temps nous pousse à nous poser des questions. De même, l’histoire de cette femme incapable de pleurer tranquillement sa mère qui vient de mourir, parce qu’elle doit d’abord s’occuper de la foule de gens qui viennent pour les condoléances comme dans un festin. C’est une aberration que de devoir recevoir des gens comme dans une fête, qui ne respecte même pas le deuil, alors que l’on souffre terriblement . C’est cette valeur que nous donnons aux apparences qui me choque.

A lire ce recueil on se pose la question de savoir dans quel monde nous vivons. Dans lequel d’après vous ?

C’est une question gravissime qui se pose dans toutes les sociétés, surtout aujourd’hui où c’est le profit qui domine. C’est un grand mensonge que de croire que c’est l’argent, le pouvoir, la puissance armée qui constitue des valeurs sûres de la société. Il est grand temps de revenir à certaines valeurs simples, l’amour, la tendresse, la compassion.
L’histoire de cette fille qui quitte son village natal et qui travaille pour un salaire de misère, qui mène un semblant de vie sans possibilité de changement, c’est terrible.

Ou bien cette autre qui a réussi quand-même sa vie professionnelle mais pour n’être pas mariée à 37 ans, se fait tout le temps harcelée par les siens.

Pourtant c’est une femme épanouie, qui joue un rôle dans la société et pourtant aux yeux de la société, elle n’a pas de valeur pour ce qu’elle est ou pour ce qu’elle représente en tant qu’être humain tant qu’elle n’est pas mariée, c’est-à-dire tant qu’elle enfreint la norme .

Vous êtes quand même très dure avec les hommes, vous écriviez : « il n’y a pas un seul homme au monde qui se plaint de n’avoir pas assez donné ».

Oui, c’est dans l’histoire du psychiatre. Ce dernier est dégouté d’entendre les patients se plaindre tout le temps. Le mari de sa femme, la femme de son mari, le salarié de son chef etc.. mais personne ne vient lui dire que c’est sa faute si ça ne marche pas dans son couple ; qu’il ne donne pas assez pour recevoir. Cela vaut pour les hommes comme pour les femmes.

Vous trouvez le temps d’écrire alors que vous vous occupez de la revue Espérance, une revue médicale spécialisée ? Ça vous laisse le temps de regarder les gens vivre et d’en tirer des histoires ?

Très difficilement. J’essaie de m’arranger un temps pour la beauté et pour l’utile.

Votre secret pour ça

La conscience aigue d’être en vie mais que c’est éphémère.
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