Mohamed Achaâri s'explique : la culture, ce rempart contre l’obscurantisme
Après le 16 mai, la vie continue et les festivals aussi : Fès, Essaouira et bientôt Rabat. Dans quelle mesure la culture peut-elle être une forme de résistance ? >Nous avons immédiatement réagi aux attentats du 16 mai et dit que le Maroc ne devait pas
LE MATIN
10 Juin 2003
À 20:25
Les attentats du 16 mai ont eu lieu le jour même de l’ouverture du festival Mawazine qui a poursuivi son programme. Nous avions un grand moment avec le festival arabe de la poésie, et les poètes arabes présents ont publié un communiqué où ils en appelaient à la solidarité avec le Maroc et les intellectuels à livrer résistance contre toutes les formes de terrorisme, d’intégrisme et d’obscurantisme. La culture peut devenir un véritable rempart contre tous ces attentats qui ne sont pas que matériels car ils sont aussi perpétrés contre l’esprit. Ce n’est pas un hasard si les forces obscurantistes sont anticulture, anti-art, antifemmes, antimodernistes, antisémites. Cela fait partie plus de leur idéologie, de leur raison d’être. Ils ne peuvent exister que par ces attaques contre la vie.
La culture est le parent pauvre du gouvernement. Votre ministère a-t-il aujourd’hui les moyens de répondre à l’extrémisme par la culture ?
Il ne faut pas focaliser sur le budget public et sur celui octroyé au ministère de la culture. La culture est une affaire beaucoup plus large qu’un ministère et touche les collectivités locales, les régions, les associations et plusieurs départements ministériels. Le ministère de la Culture met en place une stratégie nationale de développement culturel, encourage la création, veille à la mise en place d’une industrie culturelle, etc. Si on prend en considération tous les budgets alloués à la chose culturelle, je puis vous assurer que la culture n’est pas un parent pauvre. Il y a des réalités qu’il faut mettre en évidence : au Maroc, on consomme très peu de culture par rapport au nombre d’habitants. Nous publions moins d’un millier de titres par an, ce qui est insignifiant. Nous produisons annuellement une dizaine de films. Et nous avons moins de 3 heures de diffusion télévisée par jour de production nationale véritable. Dans le même temps, chaque année des millions de titres obscurantistes déferlent sur le marché marocain. Vendus à très bon marché et bénéficiant de réseaux de distribution archaïques mais efficaces, ils ont plus d’influence sur les esprits que les livres sains et créatifs proposés aux lecteurs par l’intermédiaire de l’édition libre que nous avons au Maroc. Une telle réalité doit absolument changer en augmentant la consommation du produit culturel moderne : musique, cinéma, télévision, chanson, livre. Il faut multiplier par 10, par 20 le nombre de consommateurs que nous avons pour le produit culturel moderne. C’est la manière essentielle de combattre l’obscurantisme. Nous n’allons pas le combattre avec des slogans. Ce n’est pas en disant que nous sommes un pays démocratique et moderne que nous le deviendrons immédiatement. C’est un processus très lent et c’est en investissant dans la culture que nous préparons notre peuple à une condition culturelle et intellectuelle beaucoup plus proche de la modernité et des valeurs humanistes du monde.
Mais il y a des carences flagrantes en matière d’infrastructures culturelles ?
Le problème des infrastructures est très important mais il ne faut pas l’amplifier. Nous avons beaucoup plus d’infrastructures que de productions. Je prendrais pour exemple le théâtre : dans les grandes villes, les salles qui fonctionnent annuellement à 30 jusqu’à 40% de leurs capacités. Il n’y a pas de production au Maroc à la recherche d’une infrastructure introuvable. Par contre, dans les quartiers populaires, dans les villes périphériques et le monde rural, il y a très peu d’infrastructures culturelles. J’ai en la matière une option minimaliste en demandant aux collectivités locales de construire de petits locaux destinés à la culture et d’abandonner d’une manière définitive la folie des grandeurs et la folie des complexes culturels. En partenariat avec les collectivités locales nous sommes en train de mettre en place des points de lecture, des espaces modestes mais utiles qui peuvent devenir des espaces de dialogue et d’échange.