Noureddine Ayouch, publicitaire, président de la Fondation Zakora : «Je ne peux pas vivre en faisant un seul projet, je m'ennuierais»
LE MATIN
12 Novembre 2003
À 17:00
Noureddine Ayouch publicitaire et acteur engagé de la société civile. Lequel de ces deux rôles vous va le mieux ?
Comme je dis toujours, l'un c'est pour vivre, l'autre c'est la partie du cœur. Maintenant, je ne peux pas vivre sans chacune des deux parties. J'ai besoin de vivre, mais j'ai besoin aussi de réaliser des choses sur le plan social, économique, politique et culturel. Je ne peux pas vivre sans cette partie du cœur, c'est-à-dire tout ce que j'entreprends au niveau de la Fondation Zakora.
Vous faites vôtre cette phrase de Jacques Séguela : « Ne dites pas à ma mère que je suis dans la pub…» ?
Non, moi je revendique mon travail. Je vais vous faire une confidence : je n'ai jamais pensé faire de la pub, je ne pensais pas que j'allais continuer à en faire. Au bout d'un an, j'avais quitté Havas où je travaillais en disant que j'allais réintégrer l'enseignement. Mais entre-temps j'ai attrapé le virus de la communication.
Aujourd'hui, je n'envisage pas un autre métier parce que j'ai besoin de vivre des expériences différentes. Je me sens parfaitement bien dans la communication. Je n'ai aucune honte à en faire. Je le revendique totalement et je voudrais que mes parents le sachent. La communication m'a permis de faire des choses que j'affectionne : Kalima, la Fondation Zakora.
Le nom choisi pour Zakora est un coup de cœur ou une sorte de retour aux sources ?
C'est une reconnaissance à mes parents d'abord. C'est auprès d'eux que j'ai découvert ce qu'est le partage et le don de soi. Depuis, tout jeune, j'ai vu mon père recevoir des pauvres avec beaucoup d'égards, un respect et une certaine dignité. J'ai vu ma mère également donner tout ce qu'elle avait à toute personne démunie, qu'elle soit de la famille ou étrangère. Vous comprenez que ma voie était tracée. J'ai lancé Zakora en témoignage de respect pour ma mère. C'est un projet qui me tenait à cœur depuis très longtemps.
Vous êtes à la tête d'un groupe d'entreprises qui opèrent dans le domine de la publicité et de la communication. Le projet que vous n'avez pas encore réalisé ?
J'ai un projet très important. C'est celui du lancement d'une chaîne de télévision éducative et civique. Il est temps au Maroc de ne pas avoir que des chaînes généralistes. Il ne faut pas laisser la place à n'importe quel obscurantiste pour essayer de manipuler les gens.
Vous êtes publicitaire, vous avez un fils réalisateur et un autre journaliste. Le projet de télévision, c'est pour la famille ?
(Eclat de rires) Une question perfide et pernicieuse. La télévision n'est pas du tout pour la famille. Nabil (tbarkallah alih) est totalement indépendant depuis plusieurs années. Il n'a jamais rien demandé. Certains ont dit que je l'ai aidé. C'est vrai que je l'ai un peu fait au début. Pour l'anecdote, je lui ai prêté de l'argent pour faire son film Maktoub, il me l'a rendu intégralement. Hicham qui est journaliste est totalement indépendant aussi. Il travaille. Il est correspondant pour plusieurs chaînes de télévision étrangères et il est en train de créer sa propre société.
Ce n'est donc pas du tout pour la famille. C'est pour mon pays. C'est pour les familles de mon pays, pour les couches populaires, démunies et analphabètes qui sont manipulées, qui sont prêtes à souscrire ou à adopter n'importe quel mouvement intégriste parce qu'elles n'ont pas les moyens de comprendre, de se prémunir contre cette agression qui vient quelquefois de l'extérieur. Cette chaîne veut participer à l'émergence d'un citoyen responsable, qui a l'esprit critique développé, qui veut apprendre, qui veut être solidaire et qui veut participer à la construction d'un Maroc moderne et démocratique.
Vous avez le temps de tout faire ?
Je ne peux pas vivre autrement. Je ne peux pas vivre en faisant un seul projet. Je m'ennuierais.
Cela fait quoi d'être le père de Nabil Ayouch ?
Je suis rempli de joie. Je suis très heureux d'avoir des enfants que j'aime beaucoup. Hicham, qui est journaliste et qui a travaillé dans des chaînes françaises comme TF1, TV5 et France 3 ; Nabil, qui est un garçon que j'aime et que je respecte pour ses idées, pour son intelligence et pour ce qu'il apporte à ce pays ; j'aime mes deux enfants. Ils ont pu réussir en France et ils ont tenu tous les deux à vivre dans leur pays et de l'aider à aller loin. Je trouve cela extraordinaire.
Vous regardez «Lalla Fatima»
Bien sûr. Je la regarde moins ce Ramadan parce que je suis parfois invité à l'extérieur ou bien j'ai du travail. Je trouve que cette série est meilleure que celle de l'année dernière. Je trouve qu'il y a eu beaucoup de nouveauté. Je pense que le réalisateur d'Ali n'y apporte beaucoup. Je pense que les acteurs sont intelligents et que les thèmes qui sont abordés cette année touchent beaucoup plus la société.
D'ailleurs, j'ai demandé à droite et à gauche, j'ai remarqué que des gens appréciaient. L'audience de Lalla Fatima est la plus forte de toutes les émissions. Elle frise quelquefois les 50 %. Ce qui est colossal. Cela prouve que le peuple aime et que le papa de Nabil et de Hicham aime aussi. Il souhaiterait que ça s'améliore plus et je pense que Nabil est conscient de cela. Il faudrait aussi donner la parole à d'autres réalisateurs pour faire des émissions et des téléfeuilletons. 2M fait ça depuis un certain nombre d'années. J'espère qu'elle va continuer et que la RTM en fait de même. La meilleure télévision est une télévision de proximité qui fait appel aux talents marocains.
Qu'est-ce-que cela fait de vivre dans «Le plus beau pays du monde» ?
Moi je considère que le Maroc est le plus beau pays du monde. Ca n'est pas du tout une forfanterie ni un mensonge. Je le vis profondément. Je suis quelqu'un qui voyage beaucoup. J'ai visité une centaine de pays et je dois dire qu'à chaque fois que je voyage, je n'ai qu'une envie : celle de rentrer dans mon pays. Il n'y a qu'une chose qui me manque c'est mon pays : les plages de mon pays, les paysages de mon pays, les habitants de mon pays et l'ambiance de mon pays. Je suis très fier d'être Marocain. J'estime que ce pays mérite plus que ce qu'on lui donne actuellement. Au lieu de continuer à le dénigrer comme font certains, il faut participer à sa construction.
La réforme de la Moudaouana vous inspire-t-elle un commentaire ?
Je suis infiniment heureux de cette réforme. Toute ma vie j'ai accordé une place importante à la Femme. Kalima a été créé pour la Femme. 98 % des bénéficiaires des crédits de Zakora sont des femmes. C'est une ségrégation positive que je revendique. 65 % de jeunes filles bénéficient des cours de l'éducation non formelle et 85 % des cours d'alphabétisation pour femmes.
La Moudaouana ouvre un champ fantastique à l'évolution et au développement économique, social, culturel et politique de ce pays. En donnant leur chance aux femmes dans tous ces domaines, nous libérons 50 % de l'énergie qui était endormie. La chape qui pesait sur le Maroc, qui l'empêchait de progresser et d'atteindre un niveau économique décent et de rejoindre les pays développés, va être brisée avec la nouvelle Moudaouana. Même notre image sur le plan extérieur va être améliorée.
A nous maintenant de veiller à son application et de faire en sorte que les juges ne la déforment pas. Cette réforme n'est pas dirigée contre l'Homme. Elle touche aussi bien la Femme que l'Homme et l'Enfant. Elle est dans l'intérêt de tous les membres de la famille.