L'humain au centre de l'action future

Phénomène de société : sacré Harry Potter !

Magie des livres secondée par la fée cinéma et enveloppée de poudre marketing : le sortilège Harry Potter s'étend au Maroc, comme partout dans le monde. L'adaptation au cinéma du second tome de Harry Potter, Harry Potter et la chambre des secrets, sort au

21 Janvier 2003 À 20:30

De quoi enchanter les «potteriens» marocains qui ont réussi à faire passer Harry Potter de la cour d'école à l'intérieur de la classe : certains enseignants ont choisi le roman de Joanne Kathleen Rowling comme support de
lecture.
Pour que les choses soient claires, «Harry Potter», c'est d'abord un livre. Ou plutôt le nom du héros d'une série de livres, initialement pour enfants, née il y a quelques années en Ecosse sous la plume d'une certaine et discrète J. K. Rowling. Propulsé par le bouche à oreille, publié en France en 1998, le premier livre a explosé comme un secret impossible à garder. Vendu à près de 150 millions d'exemplaires dans 140 pays et traduit en une cinquantaine de langues (dont l'arabe), Harry Potter est l'un des livres les plus lus du monde. Plus que cela, ses aventures «passent de main en main, animent les cours de récré et s'immiscent à grande vitesse dans le quotidien des adultes», résume le site des éditions Gallimard, qui détiennent les droits en langue française.
C'est donc via l'éditeur français et ses distributeurs au Maroc que Harry Potter a pénétré le Royaume. «Ça fait trois ans environ, raconte Myriam Kabbaj de Sochepress. Nous vendons, en moyenne, entre 400 et 600 exemplaires de chaque tome par an, soit le double des autres romans jeunesse. C'est considérable au Maroc pour des éditions grand format et haut de gamme (environ 250 DH).
Et je n'ai pas compté les formats poche (70 DH environ) qui se vendent deux fois mieux encore. Enfin, la Sochepress n'a pas l'exclusivité : certains libraires se les procurent par leurs propres moyens». Soit de nombreux Harry Potter en circulation.

Cette flambée éditoriale a été encore renforcée, l'an dernier, par la sortie d'un film adapté par Chris Colombus du premier tome : Harry Potter à l'école des sorciers. Au Maroc, ce film aurait «moyennement marché» d'après Maghreb International Distribution comparé à des raz de marées comme Titanic. Pour une bonne raison : il a été présenté comme un film pour enfants. Alors que dans les salles de cinéma américaines ou européennes, les jeunes générations ont parfois dû pousser les suivantes pour s'asseoir.
Avant le film, le phénomène Harry Potter avait déjà touché la terre marocaine mais le grand écran a néanmoins contribué à son expansion : tous les enfants qui ont lu Harry Potter ont vu «Harry Potter». L'inverse n'est pas toujours vrai. Le cinéma finissant par renvoyer la balle à la littérature : après ce deuxième film, ceux qui voudront savoir ce qu'il advient au petit Harry n'auront pas d'autres choix que de se précipiter sur les deuxième et troisième volume, laissant les allergiques à la lecture ronger leur frein jusqu'à l'hiver prochain.
Au départ, Harry Potter, c'était un livre et son auteur. Aujourd'hui, c'est une gigantesque machinerie commerciale relayant le livre et le film, les précédant souvent, par un énorme matraquage publicitaire : figurines, peluches, cartes à jouer, jeux de société, jeux vidéos, déguisements, vêtements, matériel scolaire. Sans oublier bandes annonces, DVD, cassettes vidéos, CD, audio-book. Toute une cargaison de produits dérivés qui, via la télévision ou le grand bazar de Derb Ghalef, se répandent dans les foyers. L'avantage étant que des couches sociales les plus aisées, attentives aux phénomènes de mode, aux plus populaires, qui ont moins accès aux librairies et aux salles de cinéma, tout le monde connaît ou a entendu parler de Harry Potter. Mais l'inconvénient, c'est que ces objets, s'ils ont magnifiquement réussi à implanter le petit sorcier dans le monde des hommes, ont tendance à rallonger le chemin jusqu'au livre et à recouvrir de vernis marketing leur qualité littéraire.
Dans la tradition
du fairy tale
L'oeuvre de J.K. Rowling s'inscrit dans la tradition britannique du fairy tale, «contes de fées», auxquels se mêlent histoires de fantômes et influences du roman gothique.
Orphelin, Harry Potter a grandi martyrisé par son oncle et sa tante jusqu'à ce qu'il apprenne, le jour de ses onze ans, qu'il est un petit sorcier destiné à une lourde tâche : lutter contre " Voldemort ”, un sorcier si maléfique que son nom même ne doit pas être prononcé. Harry entre alors au collège Poudlard, l'école des sorciers, pour un apprentissage et des aventures qui doivent durer sept années (une par volume). A l'heure actuelle, J.K. Rowling est en train d'écrire le tome V qui devrait paraître en Angleterre le jour de l'été, le 21 juin sous le titre Harry Potter et l'Ordre du Phénix. Jean-François Ménard, son traducteur en français, a beau toujours travailler "dans l'urgence”, il faudra quand même compter quelques mois avant la publication en France. Pour la prochaine rentrée scolaire, peut-être. D'ici là, l'impatience des lecteurs pourrait tourner à l'hystérie.
Un scénario incroyable, une écriture riche allant jusqu'à inventer un vocabulaire spécial pour les sorciers, un univers fantastique en perpétuelle métamorphose, et un imaginaire rebondissant fertilisé par des auteurs comme Tackeray, Lewis Carroll, J.R.R. Tolkien ou Edgar Poe ou même Charles Dickens : Harry Potter a tout pour passer du phénomène de mode au panthéon des classiques. Pour preuve : le dernier terrain conquis par Harry Potter est l'école.
Quelle meilleure formule pour démocratiser le phénomène et revenir, en même temps, à sa source littéraire ? Car l'école a vu les livres envahir la cour de récréation, passer de main en main, remplacer les jeux de ballons, monopoliser les conversations. L'école a été le premier théâtre du succès Harry Potter. Et le berceau de son histoire puisque les aventures de Harry Potter se déroulent en grande partie dans un collège. Dernier tour du petit sorcier : passer de la cour de récréation (où les élèves s'arrachaient les livres), entrer dans la classe et s'octroyer une place conséquente dans les programmes scolaires.

Un sorcier dans les programmes scolaires

"Harry Potter a envahi notre école depuis deux ans, explique Anne Bensimon enseignante dans l'établissement Narcisse Leven à Casablanca. Les journaux en parlaient, les enfants sont arrivés avec tout un tas de gadgets, je me suis dit qu'il serait intéressant de voir ce que représentait cette histoire pour eux. J'ai inscrit le tome I à mon programme de CM1 l'année dernière, j'ai emmené les enfants voir le film, ce fut notre première sortie. L'expérience a été concluante : passés en CM2, ils ont réclamé l'étude du tome II et moi je recommence le premier avec mes CM1 de cette année. ” Le livre lui sert de support de lecture pour des fiches de compréhension et de vocabulaire. Les élèves ont réalisé de belles pancartes qu'ils exposent dans l'école ou à la bibliothèque. Pour préparer des exposés, ils vont chercher des informations complémentaires sur Internet, récoltent des articles de journaux et se réunissent chez eux. " Harry Potter est au centre des échanges. C'est devenu une véritable culture ” continue cette enseignante dont les élèves, qui se menacent parfois de se faire cracher des limaces, ont l'air bien imprégnés. " Mais ils font quand même la part entre le réel et l'irréel. ” assure t-elle.
Harry Potter, c'est la preuve que les enfants peuvent lire plus de 300 pages. Forcément, les parents n'y trouvent rien à redire, quand ils ne dérobent pas subrepticement les ouvrages pour découvrir, par eux-mêmes, ce qui occupe autant à leur progéniture.
Au CM1 B, même engouement : " Harry Potter c'est unique ”, " Avec la magie on peut tout faire ”, " ce serait bien d'avoir une cape d'invisibilité comme Harry ” et puis " Harry Potter c'est connu dans le monde ”. Une bonne moitié a déjà lu les volumes suivants, " à cause du suspens, on voulait savoir ce qui allait se passer ”, mais la plupart avoue préférer le film. Ils ne sont pas dupes des effets spéciaux, pour les avoir souvent vu " décortiqués ” à la télévision, et font bien la part des choses mais parfois, film et livre se mélangent : Harry le personnage ou Harry l'acteur (Daniel Radcliffe) ? Une chose est sûre : à neuf ans entre l'antenne parabolique, internet et les copains, ils brassent déjà un maximum d'informations sur le sujet.
Un ou deux quand même jugent l'histoire " trop compliquée ” ou " trop longue ”, se perdent un peu dans tous les personnages, et préfèrent Le Petit Prince ou la Comtesse de Ségur, " Les malheurs de Sophie, c'est plus vrai ”. Il y en aurait même un, plus sensible que les autres (ou comprenant plus de choses) qui trouverait Harry Potter «trop violent». Mais peu de livres atteignent les suffrages du petit sorcier, à part peut-être Titeuf ou Charlie et la Chocolaterie de Roald Dahl, récente star dans l'établissement.
Sylvette Faure, leur maîtresse, qui reconnaît avoir choisi Harry Potter " pour être dans le coup ”, met l'accent sur le fantastique et le mystère en étendant à d'autres textes : "Les enfants aiment ces univers, il suffit qu'on leur parle de fantômes pour que leurs yeux s'allument ”. Harry Potter fait presque partie de sa classe maintenant : " quand la porte claque sous un courant d'air, on a pris l'habitude de dire : c'est Harry Potter ”. Elle travaille le livre scène par scène : le cours de botanique, la visite au géant Hagrid " comme si c'était du théâtre, je leur dit de visualiser chaque tableau ”. Car la principale vertu pédagogique de cet ouvrage, tous les professionnels la rejoignent, est d'étendre le vocabulaire d'une part mais surtout de stimuler et développer l'imaginaire. " Pour les devoirs d'expression écrite, je leur dis : remettez-vous Harry Potter en tête, souvenez-vous des mots qu'il employait quand il était enfermé dans le placard… Avec Harry Potter, la recommandation : «Sers-toi de ton imagination», veut enfin dire quelque chose. ”
Et cela même chez des élèves plus âgés : " Nos gamins sont tellement passifs devant la télévision que des livres comme Harry Potter les incitent à créer, leur donne plus de souplesse dans les idées, plus de permissivité. Ils se disent qu'on peut tout écrire à partir du moment où l'on structure ses idées ” estime une enseignante de cinquième dans un lycée de Casablanca. Pour sa part, elle n'aime pas le fantastique, a " horreur de cet illogisme ” mais s'est laissée prendre au jeu Harry Potter parce que " pour faire lire les enfants, je ferais n'importe quoi ”.
Et puis " le personnage est sympathique ” : " il n'est pas tout blanc, il éprouve des sentiments contradictoires et montre les ambiguïtés de l'être humain. Harry Potter est un personnage auquel les enfants peuvent parfaitement s'identifier. D'autre part, il prouve qu'on peut lutter contre le mal et se confronter à l'idée de la mort ”. Harry, une forme de substitut. " Certains élèves ont quand même été tentés par le personnage de Voldemort : n'est-il pas encore plus magique que les autres ? Après chaque victoire de Harry sur lui, il revient encore. Pour eux, c'est l'image de la réussite ”.
Comme sujet de devoir, elle avait donné : " Harry Potter arrive au lycée et vous entraîne dans une de ses aventures. Racontez ”. L'un de ses élèves en échec scolaire a imaginé que Harry s'introduisait dans un ordinateur pour changer les mauvaises notes en bonnes. Et son professeur de conclure : " Si la magie séduit autant les enfants, c'est parce qu'elle leur propose des solutions qu'ils ne trouvent pas ailleurs ”.

La magie de lire


Les aventures de Harry Potter :
Harry Potter à l'école des sorciers, tome I, Gallimard.
Harry Potter et la chambre des sorciers, tome II, Gallimard.
Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban, tome III, Gallimard.
Harry Potter et la coupe de feu, tome IV, Gallimard.
(Traduits de l'anglais par Jean-François Ménard. Grand format : environ 250 DH. Format poche, folio junior : environ 70 DH. Existe aussi en coffret).
Pour en savoir plus sur Harry Potter :
Le Quidditch à travers les âges, Gallimard.
Les animaux fantastiques, Gallimard.
Rencontre avec J. K. Rowling, interview de Florence Meyere, critique de livres pour enfants.
Des études pour mieux comprendre le phénomène :
Harry Potter, les raisons d'un succès, Isabelle Smadja, PUF.
L'enchantement Harry Potter, la psychologie de l'enfant nouveau, Benoît Virole, Pluriel.
D'autres livres un peu de la «même famille» :
Peggy Sue et les fantômes, Serge Brussolo, Plon.
Chroniques de Narmia, Clivres Staples Lewis, Gallimard.
A la croisée des mondes, Philip Pullman, Gallimard.
Mondes de Chrestomancia, Diana Wynne Jones, Gallimard.
Qadehar le Sorcier, Erik L'Homme, Bragelonne.
Tom Cox, Franck Krebs, Seuil.
Kevin et les magiciens, Le Rocher
Darren Chan, Pocket.

A peine huit ans, déjà l'envoûtement


Simon vient d'avoir huit ans et il a déjà lu tous les Harry Potter : quatre tomes d'environ X pages, tant de pages au total en un an. Il a beau lire tous les soirs dans son lit, " sinon [il] ne dors pas ”, aucun livre ne lui fait le même effet que Harry Potter, à part Peggy Sue peut-être (héroïne de Serge Brussolo). Harry, c'est " son premier livre de sorcier ”. Le premier tome, Harry Potter à l'école des sorciers, il ne l'a pas lu lui-même. Sa grand mère l'avait offert à sa sœur. Le livre est resté quelques temps sur les rayons de la bibliothèque jusqu'à ce qu'un " copain de France ” vienne pour les " vacances d'avril ”. " Il nous a dit qu'il connaissait et que c'était bien. Alors pendant toutes les vacances, une amie de Maman nous en a lu un chapitre par jour. Une fois, j'ai même eu droit à deux chapitres pour moi tout seul parce que je n'avais pas pu aller au parc d'attraction avec les autres. A la fin des vacances, on avait fini le premier. Mais j'avais envie de savoir ce qui allait se passer dans les autres alors j'ai continué tout seul. Un peu tous les soirs. ”
Sa sœur lui paraît moins mordue : " ça fait au moins un an qu'elle ne le lit plus» avance t-il d'un air entendu. Preuve irréfutable en effet : tout potterien qui se respecte ne peut décemment pas s'arrêter avant le dernier tome disponible. Simon, ce qu'il aime dans Harry Potter, c'est d'abord le quidditch (sport aérien où les petits sorciers doivent attraper des balles volantes à califourchon sur leur balais) et les épreuves : «comme ils sont plusieurs héros, ils ont plus de chances d'y arriver». Et puis aussi «les potions magiques, les plantes carnivores, et surtout, les transformations» énumère t-il les yeux rieurs. «Les trucs de magie», il n'y croit pas vraiment mais ça l'amuse et puis ce doit être pratique. «Ce serait bien une école comme celle de Harry».
Pour Simon, le petit sorcier n'est pas seulement le héros d'un livre mais un personnage très présent qu'il retrouve aussi à la télévision, sur ses cartes à jouer, sa playstation, et même l'ordinateur : «J'ai fait un test sur Internet : Es-tu Harry, Ron ou Hermione ? J'étais Ron ”, dit-il un peu déçu. Il a vu le premier film évidemment, " et même le deuxième en DVD alors qu'il n'est pas encore sorti au cinéma ”. Le circuit Derb Ghalef ne lui a pas échappé. Nul besoin de retourner au cinéma le " voir en grand ” : il sait déjà ce qui va se passer. Autant attendre, patiemment, la publication du tome V. Dont il annonce fièrement le titre, L'Ordre du phénix, comme un message à faire passer.
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