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Politique et médias, le couple infernal : la démocratie n’est pas toujours un long fleuve médiatique

Comment concilier vocation de médias s’essayant à la mission de contre-pouvoir et préservation de l’éthique et de la déontologie dans une presse en constante ébullition et transformation ? Comment faire pour que les pouvoirs publics admettent

30 Septembre 2003 À 19:57

Depuis que le mot « transition » a fait son entrée dans le lexique marocain, médias et politique sont devenus un couple infernal, traversant toutes les rencontres, colloques et tables rondes.

Dans le difficile exercice de l’apprentissage de la démocratie, les médias ne sont plus ce long fleuve tranquille où pensée unique et information aseptisée et sous cellophane étaient les seules denrées consommables.

L’interrogation a été soulevée de nouveau, à l’occasion d’un forum maroco-allemand, sur la « stratégie de développement vers une société démocratique. Processus de transformation et liberté de la presse », tenu au début de cette semaine à Rabat.

Le thème avait déplacé du beau monde, des « ceux qui pensent », des « ceux qui exercent » et des « ceux qui ont forcément un avis sur la question ». Dans un exercice de style plutôt original, les organisateurs ont voulu se faire confronter deux expériences, allemande et marocaine, aux antipodes l’une de l’autre. Confirmation de la vice-présidente du Bundestag, Antje Vollmer : en Allemagne, les médias sont devenus une force importante dans la vie politique sans pour autant qu'ils n'apparaissent dans la loi fondamentale en tant qu'organe constitutionnel.

« En laissant largement ouverte, dans la constitution, la question de la structure organisationnelle, on voulait permettre un développement libre des médias qui en font partie », dit l’Allemande Antje Vollmer. Petite phrase où les Marocains peuvent se retrouver : « C'est aux citoyens eux-mêmes de faire preuve d'initiatives et de s'entendre sur la manière d'organiser leur espace public et les médias qui en font partie ». Re-petite phrase qui peut aussi donner à réfléchir : « Il n’y a pas de démocratie sans médias autonomes et indépendants».

Médiateurs entre gouvernés et gouvernants

La définition du rôle des médias, livrée par la vice-présidente du Bundestag, devrait donner à réfléchir aussi bien aux pouvoirs publics qu’à la communauté médiatique. « Les médias sont un système de détection des problèmes et des attentes des citoyens. C’est un champ d’essai des réactions de la population par rapport aux décisions prises par les gouvernants.

Les médias doivent être le miroir de la société. Dans le même temps, les journalistes doivent se soumettre à un constant examen de conscience et voir s’ils respectent les principes de démocratie, et de dignité humaine ». Ce n’est pas le ministre de la communication, ancien patron de presse dans une vie pas si autre que cela, qui démentirait le propos. « Le dénominateur commun au triptyque médias-politique-démocratie, le ciment qui les fait cohabiter et surtout qui fait leur crédibilité aux yeux de l’opinion publique dont ils sont l’émanation, la représentation et dont l’adhésion est la finalité de leur action combinée, ce ciment est l’éthique et la responsabilité ».

A la liberté de presse est confrontée l’éternel discours sur la responsabilité, devenu le mot-tendance de ces dernières années. Le PDG de l’Economiste s’insurge contre cette conditionnalité. Pour Abdelmounaïm Dilami, « la liberté de presse est l’image du degré de démocratisation d’un pays ». « La société n’évolue plus selon ce que souhaite la majorité mais selon les désirs d’une minorité qui accapare le pouvoir et est justement contre la liberté de la presse, seule capable de remettre en cause le système », fustige ce patron de presse.

« Oui mais », tempère la toute nouvelle directrice de la communication au ministère de la Communication, journaliste par-dessus tout, Fatiha Layadi. Absence de déontologie, manque de professionnalisme parfois, confusion des genres, entre position et information, Mme Layadi sait de quoi elle parle, en professionnelle, même jusqu’au bout de ces habits d’officielle.

C’est la tentation du journaliste-justicier qui a retenu l’attention de la journaliste politique, Khadija Ridouane. « Il faut aller vers plus de professionnalisme et donc être suffisamment outillés pour éviter les écueils de la manipulation. La liberté de presse ne prend son sens plein et entier que dans le respect des règles professionnelles ». La liberté a-t-elle un prix ? Surtout si elle est de presse.

La liberté de presse doit-elle être préservée et protégée comme un bien précieux car bien trop rare de ce côté-ci de la Méditerranée. Oui, semble penser le directeur du quotidien indépendant arabophone « Al Ahdath Al Maghribya ». « Depuis 1999, des efforts importants ont été consentis dans le sens de la liberté de la presse, n'excluant cependant pas l'existence de plusieurs paradoxes. Certains journalistes n'ont pas su exploiter le climat de liberté qui existe. Il y a eu des dérapages », reconnaît Mohamed El Brini.

"La presse doit jouer un rôle d'éclaireur et d'éveilleur de la conscience collective et c'est dans le cadre de cette équation douloureuse que le Maroc doit préparer la relève pour envisager une restructuration du paysage médiatique de manière générale parce qu'il y va de la crédibilité et surtout de l'enracinement des valeurs démocratiques. Il faut que les médias rectifient en quelque sorte les erreurs de la politique et jouer un rôle civique, de responsabilisation et de vision de la société », résume Ali Sedjari, président du GRET.

Et l’intellectuel dans tout cela ? Est-il acteur de son temps et de la transition ou spectateur d’une démocratie qui se construit non sans dérapages ? « L'intellectuel a un rôle de citoyen à jouer, qui consiste à promouvoir l'éthique de la responsabilité impliquant une fonction de vigilance par rapport aux dérapages autoritaristes. L’intellectuel est aussi la conscience critique de la société même si en l’absence d’un statut de l’intellectuel chez nous, on a tendance à le prendre pour un prophète », répond Mohamed Tozy, l’universitaire qui se refuse de faire sienne l’idée selon laquelle « le doute est un horizon fécond, une idée absolue, fatale pour les sociétés ».
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