Quel renouveau pour le non-alignement ?
La capitale malaysienne abrite le XIIIe Sommet des pays non-alignés, du 20 au 25 courant. La présidence antérieure de la Conférence était assurée par l'Afrique du Sud sachant bien que l'entité internationale a eu une activité assez intéressante depuis sa
LE MATIN
23 Février 2003
À 17:24
Né en pleine guerre froide, «le mouvement des pays non alignés», comme l'indique l'épithète, voulait, sous la conduite des leaders historiques (Tito, Nehru, Nasser, etc.) rester à l'écart des deux blocs de l'époque et donner une voix concordante au tiers-monde, surtout au sein des Nations unies où l'Assemblée générale pouvait voter utile face à un Conseil de sécurité souvent bloqué par l'usage automatique du veto au temps de l'équilibre de la terreur.
Il est difficile de faire le bilan d'un mouvement sans en réalité dresser ses incohérences, sa fragilité organique et surtout l'effroyable disparité entre les pays le composant dont la division naissait, au cas par cas, de l'attraction centrifuge vers un bloc ou vers un autre.
La superficie planétaire que couvrent les pays non-alignés était (le demeure encore) l'objet des enjeux, des convoitises et des affrontements géostratégiques auxquelles elle a toujours servi de scène des opérations. On rétorquait alors que non-alignement ne signifiait point neutralité et l'incohérence épousait souvent la dure réalité des instabilités, des alliances plus ou moins feutrées que dictait l'intérêt strictement national dont le tiers-monde exprimait les contradictions profondes.
Mais les sommets des non-alignés, quoiqu'intermittents, servaient de haut lieu de palabres où s'exprimaient les courants, se concertaient les pays appartenant à des convictions diverses et à des régimes souvent différenciés. Le mouvement serait, à juste titre, une structure assez flexible presque «informelle» au sens où l'entend la science de l'organisation, car non permanente, très souple voire versatile. Elle aurait servi de «zone tampon» des intérêts du monde.
Après que l'effondrement du bloc soviétique ai amené la fin de la guerre froide, que l'enjeu du leadership mondial repose désormais sur l'unipolarité de puissance, bien que mal acceptée, et surtout après que des «phénomènes» planétaires aient émergé, quel renouveau peut-on attendre de ce mouvement des pays non-alignés ?
Il faudrait admettre l'état du monde actuel et ce qu'il représente comme enjeu pour les pays du mouvement (assimilés au pays du Sud) pour appeler à un renouveau de ses objectifs et de ses structures de fonctionnement.
Sans tomber dans l'excès d'une littérature extrémiste, que justifie souvent un humanisme messianique, et l'idéal d'équité, l'état du monde assez déplorable démontre que «le non alignement» est toujours un concept crédible mais qui exige une actualisation à tous les niveaux.
La fin de la guerre froide a en effet brusquement changé le monde. Mais elle n'a fait en réalité que dévoiler l'effroyable démesure des tensions qui l'animaient. Parmi les traits saillants du «monde mondialisé», la réalité de la succession d'îlots de prospérité et de richesse «flottant dans un océan de peuples à l'agonie» (J. Ziegler, Les nouveaux maîtres du monde, Fayard 2002).
Si la mondialisation est un phénomène durable et imposant, l'ordre de puissance militaire est sa condition intrinsèque: «l'Empire» qui semble qualifier les Etats-Unis est néanmoins mis à l'épreuve par une Europe, puissance économique et commerciale certes, mais entité incohérente sinon divisée au plan de la politique de défense et de sécurité. D'autres contrepoids existent mais relèvent peut-être du «latent» (Chine, Japon…).
Le mouvement des non-alignés saura-t-il se frayer l'idoine chemin pour négocier une mondialisation plus équitable, des positions solidaires face au déploiement des forces de l'Empire et des tensions qu'il génère ?
Il faudrait d'ores et déjà faire cas des instances de concertations spécifiques aux pays du Sud, régionaux ou plus universels (Ligue arabe, Union africaine, G77 et au sein de l'OMC, de la CNUCED, etc.) pour se rendre compte de la tâche ardue visant à se défaire de la cacophonie des pays peu avancés. Un checking-list est-il possible pour servir de guide dans le temps mondial afin de rendre plus utile la concertation entre non-alignés ?
D'abord, la crédibilité du mouvement doit impérativement passer par une structure d'organisation et agissante qui puisse garantir une présence active sur la scène mondiale. C'est par une telle structure que le mouvement pourra fidéliser les appartenances alors que les alliances qui se tissent à l'échelle planétaire tentent de sortir des cadres traditionnels. Les zones de libre-échange ambitionnent le plus souvent de lier pays du Sud et pays du Nord et les accords de sécurité et de défense s'efforcent d'aller dans le même sens. L'enjeu du non-alignement est de favoriser davantage tous les fronts où la coopération multilatérale peut avancer au profit d'une économie plus juste et d'un monde plus stable.
Des phénomènes spécifiques
L'exigence organisationnelle permanente est rendue davantage impérieuse par l'excessive rapidité des événements due à la complexité des phénomènes (E. Morin) et aux réponses qu'elles requièrent.
Ensuite, des phénomènes spécifiques et qui, par leur extrême gravité, exigent une plus grande concertation des pays non-alignés.
Le phénomène du terrorisme figure en bonne place pour mériter une véritable politique de coopération pour l'éradiquer.
Cependant, la fidélité au credo de la doctrine du non-alignement ne saurait faire l'économie de la distinction entre «terrorisme» (des individus, de groupuscules ou d'Etats) et «résistance». Le distinguo est, à notre humble avis, intrinsèque pour la survie du non-alignement sur une base philosophique et opérationnelle.
Or, la notion de «résistance» peut être approchée de diverses manières au plan interne comme au plan international. La résistance à l'ordre mondial «prédateur» et à ses moyens jugés inéquitables ne doit être en aucun cas perçue comme assimilée à une menace pourvu que la mobilisation se fasse au sein d'instances concertées et par des moyens pacifiques. Ethique et résistance vont de pair. De même, la dévastation de la nature et de ce qu'imposent les nouvelles mesures pour y faire face (protocole de Kyoto) mérite une forme de résistance. Les pays non-alignés font souvent les frais de la dégradation des écosystèmes (des forêts, des climats, etc.) et leur politique de développement «durable» en dépend.
La résistance à la tendance grave de renverser les régimes politiques quelle que soit leur nature et d'en faire ainsi un principe de droit international (appuyé par l'ONU sous couvert de menaces hypothétiques) est une question centrale qui mérite de figurer dans l'agenda des «non-alignés». La fâcheuse tendance mue par l'hégémonie concerne directement les pays du Sud et le «non-alignement» servirait mieux la paix mondiale en actualisant la doctrine sur ce plan. Des pays non-alignés sont confrontés au jour d'aujourd'hui à l'examen de dure conscience d'utiliser leurs voix au Conseil de sécurité dans l'affaire irakienne.
Enfin, le non-alignement mérite de réfléchir plus en profondeur les bases d'une meilleure position face à la trilogie souvent incontournable du temps mondial ; l'OMC, la Banque mondiale et le FMI. Les systèmes productifs nationaux, insérés dans la logique de l'intégration au système économique mondialisé, l'incohérence du Sud proviendrait d'une dépendance accrue par l'Etat, ou petits groupes d'Etats, face aux centres mondiaux et surtout d'une intégration régionale Sud-Sud défaillante.
Le «non-alignement» est de chercher la coopération Sud-Sud et comment diminuer les dépendance et l'usage des ressources du tiers-monde contre la pauvreté.
Le mouvement des pays non-alignés, réuni au Sommet de Kuala Lumpur, saura-t-il sortir avec un minimum de principes pour guider l'actualisation de son credo dans «un monde, encore privé de sens» sinon dominé par la puissance ?